Histoires de Mammifères

Nous sommes des Mammifères, ne l'oublions jamais !

  • Comment des Mammifères se sont envolés

    Comment des Mammifères se sont envolés

    Le rêve d’Icare, avant lui, des centaines de Mammifères l’ont réalisé et pris leur essor, tous velus et sans aucune plume pour les soutenir. Ces Mammifères planeurs s’élançant de points hauts pour gagner un autre refuge, ou volants et battant des ailes des heures entières et franchissant terres et océans pour trouver pitance, on en dénombre des milliers d’espèces depuis le Jurassique. Leurs modes de déplacement aérien  d’apparence sont variés, et au moins 10 ordres  aux ascendances diverses possèdent ce talent. Chacun a innové à sa façon pour acquérir et maitriser les fondamentaux de l’essor et du vol, ainsi que  les qualités nécessaires pour se repérer, de nuit et de jour, naviguer dans les airs en profitant des courants ascendants afin de se transporter sans fatigue, éduquer sa progéniture à cette grande et magnifique Ecole de l’Air que notre planète met à la disposition de ses hôtes. 

    Quel horloger aveugle a-t-il réglé ces mécanismes et ce à différents moments dans l’histoire des Mammifères ? Est-il possible par la simple analyse anatomique de décrypter les processus qui ont permis à tant et tant d’espèces poilues depuis le Jurassique jusqu’à aujourd’hui de coloniser les airs ?

    Le registre fossile éclaire sur l’ancienneté de l’adaptation au vol et, en 2018, j’ai fait  une recension des principales découvertes de ces animaux fossiles tous planeurs aguerris que nous ont révélés  les paléontologues chinois (http://www.dinosauria.org/blog/2018/01/31/planeurs-a-poil-du-jurassique/

     A titre d’exemple est ici figuré l’un d’eux,  Maiopatagium,  et sa reconstitution dans son milieu naturel qui montre une mère protégeant et éduquant son petit (1).

    Maiopatagium er reconstitution d’après réf 1.

    Maiopatagium er reconstitution d’après réf 1.

    Mais pour l’heure, penchons nous sur les Mammifères volants ou planeurs de notre temps, et ils sont nombreux.

    Les seuls à se déplacer en battant des ailes sont les Chauve-souris apparues voici 55 ma et représentées  aujourd’hui par plus de 800 espèces réparties sur tous les continents.  S’y ajoutent  de très nombreux autres Placentaires qui eux sont planeurs. Des Rongeurs, les anomalures d’Afrique et des écureuils volants en Asie et en Afrique ; des Primates, les colugos du Sud-est asiatique et le propithèque de Madagascar ;  s’y ajoute un Marsupial d’Australie, le phalanger volant, ci-devant « sugar glider » dans son pays (1) et qui est un youtuber confirmé youtube.com/watch?v=SqiFJSSGF1g

    On connait peu de chose sur les modalités et conditions de développement de la membrane alaire et du patagium chez ces différentes espèces. Mais on soupçonne que ce type d’évolution répétitive pourrait être dérivé de programmes de développement ancestraux partagés, dont les obstacles au redéploiement évolutif dans le derme sont soit déclenchés soit à l’inverse obérés. Dès lors, si l’on arrive à élucider les bases génétiques qui permettent la formation du patagium ou des membranes alaires, cela débouchera sur la compréhension à plus large échelle  du développement chez les Mammifères de ce type d’organe, et dans le même temps répondra à la question du comment apparaissent ces innovations  grâce à des programmes qui peuvent  rester cachés ou s’exprimer.

    Il se trouve que chez tous les mammifères volants, la formation et différenciation des structures alaires ou des patagiums se fait in utero. A une exception près : le « sugar glider » ou  phalanger d’Australie. Le jeune est expulsé par sa mère très tôt, alors qu’il n’est qu’un embryon nu de quelques millimètres. Le reste de sa croissance se poursuivra dans la poche marsupiale, et en particulier la formation de son patagium va s’ébaucher et se poursuivre alors qu’il y séjourne. Ce qui rend accessible les observations sur les  modalités du développement de sa membrane alaire  ainsi que le suivi génétique de la morphogenèse. Car de nos jours nous avons à notre disposition les  outils moléculaires qui permettent dans un premier temps de décrypter le génome puis ensuite de suivre l’action de ses différents composants.

    L’image suivante montre un phalanger au repos et sa membrane alaire plissée le long de son flanc. L’autre image jointe montre un  petit à peine né regagnant la poche marsupiale. La flèche rouge indique   le point de formation s’où se développera la membrane alaire. 

    Phalanger (photo Stutterstock) et nouveau-né entrant dans la poche (Charles Feigin).

    Il a été possible de suivre pas à pas le développement du patagium chez ce jeune alors qu’il poursuit son développement dans la poche marsupiale de sa mère (2).  Au cours des deux semaines qui suivent son entrée dans la poche, on voit peu à peu une crête qui se développe et s’étend progressivement comme illustré sur les images suivantes. 

    Maiopatagium er reconstitution d’après réf 1.

    Dans le même temps on a pu aussi suivre l’activité de milliers de gènes durant le développement du patagium et l’enchainement de leurs actions. Ainsi a-t-il pu être mis en évidence que le gène Wnt5a est fortement impliqué dans la morphogenèse dermique et la différenciation de ses différentes couches. Une des méthodes utilisée a consisté à faire des cultures de tissu de souris en laboratoire avec un additif génétique de type Wnt5a qui influe sur la formation du patagium. 

    En étendant leurs recherches aux Chauve-souris, cette même équipe de chercheurs a constaté des modes d’influence  tout à fait comparables du gène Wnt5a dans le développement de leur membrane alaire. Or on sait que Marsupiaux et Chauve-souris, qui sont elles des Placentaires, ont divergé voici quelques 160 millions d’années. On peut en conclure que le rôle de Wnt5a dans la mise en place des changements cutanés nécessaires à la formation d’un patagium ou d’une membrane alaire a probablement évolué bien avant que le premier mammifère ne prenne l’air.

    A l’origine, ce gène n’avait rien à voir avec le vol, à l’inverse il contribuait à susciter le développement d’autres caractéristiques. Tous les Mammifères ont hérité de cette « boite à outils » et nous-mêmes aussi la possédons. 

    Dans quelles conditions certaines lignées usent de ce kit pour fabriquer une membrane alaire reste pour l’heure un mystère. Par exemple, à ce jour il nous est impossible de « fabriquer » une souris volante ! Car en effet nous ne comprenons pas pour l’heure ce qui provoque le développement dans les tissus dermiques de membranes susceptibles de constituer des ailes ou un patagium, et il est probable et même certain que d’autres gènes doivent contribuer à participer à ce processus. Il n’empêche que ces études sont un premier pas.En tant qu’humains, nous ne sommes pas les meilleurs mammifères volants, loin de là ! Mais essayer de réaliser le rêve d’Icare est dans notre ADN. Ces travaux sont une première étape, un premier saut. 

    1. Meng QJ et al. 2017.  New gliding mammaliaforms from the Jurassic », Nature, vol. 548, no 7667, août 2017, p. 291–296.  DOI 10.1038/nature23476

    2) Dénommé en Australie  « sugar glider » pour sa propension outre le vol plané à se régaler de la sève des acacias et eucalyptus de son environnement naturel, Petaurus breviceps (phalanger en français)  est  un animal très sociable, au point d’être devenu animal de compagnie et objet de traffic  des officines dédiées au commerce d’espèces rares et en danger.qui hélas ont pignon sur rue à une échelle planétaire.   

    3) C. Y. Feigin et al. , 2023. Convergent deployment of ancestral functions during the evolution of mammalian flight membranes. Science Advances. 9, 

    https://www.science.org/doi/10.1126/sciadv.ade7511

  • Les hérissons : une mort annoncée

    Les hérissons : une mort annoncée

    Un hommage posthume vient d’être rendu à Thorvald, le plus vieil hérisson d’Europe, mort  au Royaume de Danemark à l’âge de 16 ans,  dépassant de loin la durée de vie moyenne de ses congénères, moins de 2 ans (1). Cependant la même étude démographique sur les populations de hérisson de la péninsule qui compile des données sur plus de vingt ans laisse entrevoir que ce cas isolé ne doit pas occulter la réalité : l’espèce Erinaceus europaeus est en grand danger d’extinction à court terme.

    Comment le dénommé et désormais célèbre Thorvald (2)  a-t-il pu survivre ?  D’autant que son domaine, la péninsule danoise, n’a pas bonne réputation dans la littérature. Un héros de Shakespeare ne la décrit-il pas rongée la corruption… Mais dans les autres pays les hérissons bénéficient-ils de plus d’attention ? On peut en douter. Les statistiques sont cruelles à leur propos, jusqu’à considérer l’espèce en déclin dans de nombreux pays d’Europe, pire menacée d’extinction. Ainsi en Grande Bretagne dans les années 50, les savants du British Museum estimaient qu’environ 30 millions de hérissons vivaient dans le pays. On en compterait aujourd’hui moins d’un million. 

    Les raisons de la chute démographique de Erinaceus europaeus sont nombreuses. Bien que les hérissons  puissent survivre dans des habitats aussi bien urbains que ruraux, leur désir de vivre et procréer en toute légalité est parsemée d’embûches, jusqu’à troubler leur rythme annuel de vie et de reproduction qui de l’automne au printemps les voit plonger en léthargie,  a contrario des activités  humaines qui elles ne souffrent aucun répit, jusqu’à détruire leurs habitats à longueur d’année. Et puis il y a la fragmentation des paysages due aux infrastructures routières, ferroviaires et aquatiques, et réquentées à longueur de nuit et de journée, autant d’obstacles qui voient périr nombre d’animaux, en particulier au moment du rut alors que les mâles  cherchent à procréer. A cela s’ajoute que jardins et cultures regorgent de produits chimiques toxiques, rodenticides et autres, qui empoisonnent sournoisement les proies éventuelles des hérissons, insectes, vers, reptiles et batraciens. Sans oublier que leurs prédateurs , renards et blaireaux sont tout aussi affamés qu’eux… 

    Afin d’évaluer avec précision les tendances démographiques à long terme pour cette espèce dans leur pays, des chercheurs danois ont mobilisé 300 volontaires sur une longue période, 20 ans, afin de collationner les restes osseux de hérissons et  estimer l’âge de chacun. 

    Lieux de prélèvement des restes de hérisson au Danemark . D’après réf. 1

     

    Pour ce faire ils ont eu recours au rythme de croissance en calcium que l’on peut évaluer à partir de leurs ossements : dans la mesure où les animaux hibernent environ 6 mois, il y a arrêt de la croissance osseuse dont le calcium est un marqueur, et on peut donc comme on le fait sur un arbre compter les anneaux de croissance qui se succèdent au fil des ans. 

    La mâchoire du hérisson peut être utilisée pour déterminer son âge

     

    Avant de relever le record de leur doyen Thorvald avec 16 ans,  sur les 700 squelettes expertisés, ils ont pu estimer que certains avaient atteint entre 9 et  13 ans. 

    Au final l’étude montre que les mâles vivent plus longtemps que les femelle, en moyenne 2.1 ans contre, 1.6 pour ces dernières, loin donc des records précédemment relevés.  En extrapolant ces chiffres, on peut avancer que l’espérance de vie des hérissons s’est vu récemment divisée par cinq.

    La route est particulièrement meurtrière pour ces animaux : 56% de leur échantillon y ont perdu la vie, et ce sont les mâles qui paient le plus lourd tribu; le coeur de l’été leur étant le plus défavirable. A terme il sera difficile d’inverser la tendance à moins que comme le propose l’humoriste Ed McLachlan un coup de baguette magique n’inverse  ce fatum « poids lourd ». 

     

    Rêve de hérisson d’après Ed McLachlan

    Dans l’état, on doit constater que l’avenir des hérissons sur notre planète est sombre, très compromis à très court terme. Comme celui de tant et tant d’espèces sauvages réduites à la survie au cours du dernier demi siècle dans des conditions de plus en plus précaires : insectes, oiseaux, reptiles, batraciens et mammifères grands et petits, toutes leurs populations sont en « chute libre ».  Expression casse-cou qui sous-entend que leur avenir s’apparente au néant.

    ) S.L.; Berg, T.B.; Martens, H.J.; Jones, O.R. Anyone Can Get Old—All You Have to Do Is Live Long Enough: Understanding Mortality and Life Expectancy in European Hedgehogs (Erinaceus europaeus). Animals 2023, 13, 626. https://doi.org/10.3

     (2) L’étymologie de ce prénom nordique rare propose « fils d’Ulvald », donc fils de loup. 

  • Pour un retour à la cuisine paléolithique

    Pour un retour à la cuisine paléolithique

    Alors que s’annoncent les agapes de fin d’année, en même temps on nous incite à la mesure, voire à  la frugalité, menace de guerre oblige. Alors pourquoi ne pas revenir aux cuisines de nos ancêtres, à la fois naturelles et riches de saveurs ? 

    Voici un demi siècle Joseph Delteil et sa  « cuisine paléolithique » imagina 14 menus susceptibles de combler les appétits semainiers d’une famille souhaitant  mettre du naturel dans ses assiettes  (1).  Réfugié dans sa thébaïde de Massane, au milieu des vignes et proche de Montpellier, le poète vigneron  concocta un bréviaire à la fois savoureux et déjanté, dominé par l’esprit de sobriété mais, surtout plein d’humour.  . 

    C’est la soupe qui tient la  plus grande place dans ses recettes. Un rituel du soir avec des variantes aussi riches de goût qu’inattendues. Sans souci de l’Histoire, on y propose  des ingrédients soit disant venus du passé que nous autres européens n’avions aucune chance de déguster avant que Christophe Colomb ne fit son grand aller-retour : tomates, fayots, pommes de terre, maïs.

    Aux enfants et invités de marque on réserve un met de choix, riche en vitamines : la  sanquette. J’en ai bénéficié à mon heure dans notre maison familiale au pied des Cévennes, peu après les « restrictions » de pétain  et laval, ici privés de majuscules mais pas de mémoire. La recette est simple : alors qu’on saigne une volaille, on laisse s’écouler ses humeurs dans une poêle  à peine ointe additionnée d’une pointe d’ail. Un délice en résulte. 

    Les viandes sont le plat de résistance des menus de Delteil. Mais il n’y a aucune chance que l’on puisse aujourd’hui leur apposer le label « paléolithique ». Le bestiaire des cavernes dont se régalèrent Néandertal et Cro-Magnon  est feu. De nos jours on ne trouve d’ure que dans les mots-croisés ; mammouths,  bisons et grands cerfs ne figurent plus qu’en squelettes dans les musées ; quant aux rennes, ils ont migré au septentrion, non pour son climat mais pour nous  échapper et survivre. 

    Alors nous devons nous contenter pour satisfaire nos appétits en protéines animales de l’inventaire de Perrette : veaux, vaches, cochons, poulets, en y ajoutant les exotiques dindes venues des Amérique voici peu, à défaut d’oies et canards frappés par les fièvres.  

    A la fin de son livre, Joseph Delteil propose une recette de rôti de lapin qui mériterait pour être réalisée de griller vingt-cinq hectares de pinède, pas moins  ! C’est bien sûr une galéjade destinée à brocarder ces nemrods du dimanche qui lorsque on leur interdit de fréquenter un coin de forêt afin d’en protéger la faune n’hésitent pas à y laisser trainer pour se venger quelques mégots ou culs de bouteille.

    Mais peut-on se fier à un poète pour nous guider vers un tel retour aux sources ? La tête emplie de ses rêves ne risque-t-il pas de nous égarer ? Encore qu’en son temps l’oeuvre fut couronnée « Grand Prix International de Littérature Gastronomique »  et doit être inscrite au patrimoine de la cuisine française. 

    Pour ma part, quitte à me pencher sur les goûts de mes ancêtres, je préfère plus de rigueur et les découvertes récentes d’un groupe d’archéologues sur les habitudes alimentaires des peuples néandertaliens du Moyen-Orient jettent un jour nouveau sur le sujet (2). Certes les chasseurs cueilleurs d’il y a quelques dizaines de millénaires  de Grèce et du Kurdistan se régalaient de viandes produits de leurs chasses. Mais de nombreux végétaux cuisinés faisaient partie aussi de leur régime et ce au quotidien. 

    Par de savantes analyses on a pu déceler dans leurs menus cuits et préalablement broyés voici 70 000  et 40 000 ans des amendes, des pois, des lentilles, des fèves et vesses sauvages et même des graines de moutarde devenues si rares aujourd’hui sur nos marchés depuis que cette culture au début bourguignonne fut externalisée aux Amériques : une sécheresse surprise survenue en 2021 a privé les grands groupes de cette manne venue des fonds des âges, et l’a effacée des rayons de nos épiceries. 

    L’image ci-dessous que proposent ces savants de la cuisine néanderthalienne est peu engageante et ne risque guère d’émoustiller les papilles. Mais il faut préciser qu’il s’agit de restes très anciens, abîmés par le temps. Et puis il faut s’y faire : la vérité scientifique manque souvent d’élégance et n’est pas faite pour  plaire. Il faut retenir que ces clichés sont riches d’informations et leur analyse par les méthode modernes  permet d’affirmer que nos ancêtres ne se contentaient pas de bâfrer des gibiers de tout poil. Sans être tout à fait « vegan », ils dégustaient aussi pour  accompagner  leurs bidoches de nombreux végétaux qu’ils cuisinaient, broyaient, apprêtaient, aromatisaient  afin de les rendre plus appétissants comme on peut le lire sur les lèvres de leurs foyers.  

     

    Restes de cuisine de la grotte de Franchthi et Shanidar. Crédit Ceren Kabukcu.

    Et on peut se douter que le spectre de l’alimentation végétale était dans les temps anciens plus riche que ne le laisse supposer ces recherches savantes. En premier, il y avait le cru, les salades sauvages, si nombreuses et diverses que plus d’un livre leur a été consacrées. J’en ai choisi un, proximité oblige (3). On peut y ajouter les fruits et desserts d’alors, toujours offerts aujourd’hui à notre gourmandise. Au moins en treize exemplaires suivant une tradition récente , voire plus : arbouse, jujube, fraise, mûre, prunelle, nèfle, noisette, pignon, figue, datte, miel, poire, pomme, raisin, melons  conjugués sur le mode arc-en-ciel. 

    Et puis il est un fruit aussi  roboratif que délicieux que cette saison de fin d’année propose alors que ses bogues épineuses le délivrent : la châtaigne. On peut la consommer en soupe, en purée, en dessert après avoir fendu sa coque. Si l’on est patient, on le dégustera confit : le bon dieu en culotte de velours titillera alors nos papilles pour ce dessert de roi. 

    Mais alors quels breuvages associer à ces agapes ? Pour les enfants, c’est fou ce que l’eau de Vergèze et ses bulles dans leurs gobelets vont  déclencher de rires parce que cette soif étanchée est riche de promesses de concours de rots et pets plus ou moins furtifs  qui feront froncer le sourcil à leurs aînés en même temps qu’ils feront marrer à se tordre leurs auteurs. Sans sucre et autres « édulcorants » cette saine boisson les préservera de voir s’arrondir bides et fesses 

     N’oublions pas les adultes. Pour eux je recommande afin qu’ils se libèrent des angoisses que déclenche la scrutation quotidienne des médias  la consommation sans retenue des produits de la grappe. De Tavel à Limoux, en passant par Saint-Chinian, Embres et Castelmaure, Fitou, sans oublier un crochet par Banyuls, nos terroirs offrent de quoi trinquer à plus soif, et manifester sa joie de vivre.  

    Alors tchin-tchin , à la Nouvelle Année!

    Jean-Louis Hartenberger

    (1) Joseph Delteil. 1964 La cuisine paléolithique. Robert Morel Edit. Réédition Max Chaleil 2015. 

    (2) Ceren Kabukcu et al. 2022. Cooking in caves: Palaeolithic carbonised plant food remains from Franchthi and Shanidar.  Antiquity  2022 page 1 of 17 https://doi.org/10.15184/aqy.2022.143

    3) Les salades sauvages. Ecologistes de l’Euzière. 4ème édition 2017. 

  • Les poux et l’alphabet

    Les poux et l’alphabet

    Une  phrase inscrite dans la plus ancienne écriture alphabétique voici 4000 ans évoque un problème qui aujourd’hui encore nous préoccupe : les poux. 

    Ce n’est pas d’hier que ces parasites irritants colonisent nos chefs. Un objet archéologique en fait foi : un peigne d’ivoire découvert en 2016 à Lachisch près de Jérusalem  et daté de  1700 à 1550 BC. Armé de 14 dents, l’objet mesure 3.66 x 2.51 centimètres et est épais d’environ 4 millimètres.  

    Dans un premier temps l’inscription gravée en lettres minuscules est passée inaperçue. Jusqu’au jour en 2021, où Madeleine Muncuoglua, chercheuse associée à l’Université d’Etudes Hébraïques  de Jérusalem a saisi un cliché de ce peigne en zoomant avec son Iphone. Sont alors apparus sur la photo imprimée une suite de lettres en langue Canaanite, calligraphie en usage dans la région entre 3500 et 1150 BP dans un périmètre qui inclut aujourd’hui la Syrie, la Jordanie et le Liban.  

    L’inscription gravée en  lettres minuscules est faite de 17 lettres qui composent trois mots. Traduite par les experts, elle dit : « « Que cette racine d’une défense  vous aide à vous débarrasser des poux de vos cheveux et barbes ». 

    Peigne d’ivoire où est gravé: »Que cette racine de dent vous aide à vous débarrasser des poux de vos cheveux et barbes ». Crédit Dafn Gazir Direction des Antiquités d’Israêl.

     

    Relevé des 17 lettres de l’inscription (d’après réf. 1)

     

    On ne peut pas douter que l’on a usé de cet objet domestique à cette fin  : entre deux dents apparaissent les restes d’une tête de pou que l’on peut qualifier de sub fossile. 

    Tête de pou entre les dents du peigne de Lachish (d’après réf. 1)

     

    Depuis 1932, date de sa découverte, le site de Lachish a  fait l’objet de sept campagnes de fouilles. Plusieurs, ont révélé outre différents types d’objets domestiques et structures architecturales, des inscriptions alphabétiques de type Canaanite datées de l’âge du Bronze et du Fer. On doit préciser que nul autre site de la région n’en a autant révélé et de ce point de vue Lachisch est à la fois une référence et une exception. 

    En ce qui concerne la gravure de ce peigne, c’est la première fois que l’on peut dater avec précision son support fait d’ivoire par une méthode radio chronologique fiable, en l’occurence le Carbone 14. Elle est donc un élément important dans la compréhension de l’évolution de l’écriture Canaanite en usage dans la Moyen-Orient durant plusieurs siècles. et que l’on peut considérer le berceau de l’écriture alphabétique. 

    Mais alors si les poux sont si favorables à l’écriture, pourquoi aujourd’hui les chasser des chevelures  de nos écoliers ? 

    (1) Daniel Vainstub, Madeleine Mumcuoglu, Michael G. Hasel, Katherine M. Hesler, Miriam Lavi, Rivka Rabinovich, Yuval Goren and Yosef Garfinkel, 2022. A Canaanite’s Wish to Eradicate Lice on an Inscribed Ivory Comb from Lachish. Jerusalem Journal of Archaeology 2: 76–119. doi.org/10.52486/01.00002.4

  • L’aye-aye : les doigts dans le nez, et autres usages

    L’aye-aye : les doigts dans le nez, et autres usages

    Dans les hautes futaies de la forêt malgache, sur la côte orientale  de cette ile continent, il est un petit Primate aux  moeurs nocturnes et regard dérangeant  qui montre une aisance à courir  de branche en branche tel le furet du bois, Mesdames. Jusqu’à inquiéter aussi les Messieurs : il est passé par ici… il repassera par là. Voire  être accusé de mille maux, et à l’occasion pendu haut et court, comme tant d’animaux nocturnes, chouettes, hiboux, chauve-souris et autres par nous autres  frères humains, qui ne le sommes guère et encore moins lorsqu’il s’agit de « créatures » qui nous paraissent peu divines, voire démoniaques, en résumé à notre image. 

    Une pendaison parmi d’autres. Photo Wikimedia Commons.

     

    Jusqu’en 1957 on croyait l’espèce disparue à jamais lorsqu’elle fut redécouverte. Depuis Daubentonia madagascariensis  bénéficie du statut d’espèce protégée et on  a même accordé séjour dans les années 60 à une dizaine de ses sujets dans un sanctuaire insulaire, Nosy Mangabé, 520 ha au Nord-Est de Madagascar.  Depuis ils y prolifèrent à l’abri des avanies ordinaires. Mais comme d’une part leur reproduction est lente, 170 jours de gestation pour un unique rejeton suivis d’un long élevage, et que d’autre part les femelles ne supportent pas la proximité de concurrentes – leur domaine voisine les 30 ha – cet isolement ne peut pas être considérée comme une garantie à long terme de la survie de l’espèce. 

    Daubentonia madagascariensis fut ainsi nommé en 1795 par Geoffroy Saint-Hilaire en hommage à son maitre Louis Jean-Marie Daubenton (1716-1799), et c’est le zoologiste Pierre Sonnerat, premier descripteur de l’espèce en 1782, qui lui avait accordé son nom vernaculaire de aye-aye en légendant ses dessins. Ce terme traduit-il une onomatopée locale alarmiste transposée dans notre langue ? C’est possible mais souvent contesté. Toujours est-il qu’encore aujourd’hui il est considéré comme porte-poisse, et traité comme tel. 

    Plus gros Primate nocturne, deux kg, les autres lieux de séjour assez éparpillés de l’aye-aye sont la forêt tropicale malgache de sa côte orientale et les plantations avoisinantes que l’animal fréquente au risque d’en être chassé avec cruauté. Pourtant il  ne recherche en ces lieux que quelques fruits et noix, et surtout des vermines et larves  sous les écorces des arbres morts qu’il dépiaute avec adresse de ses doigts habiles avant de s’en saisir et les déguster grâce à ses incisives à croissance continue semblables à celles des rongeurs. De ces derniers  il possède aussi le panache : une longue queue touffue l’équilibre dans ses courses nocturnes dans les branchages. De nuit, il peut parcourir des kilomètres pour se nourrir. Ll jour il rejoint un de ses nids et y dort seul : mâles et femelles mènent une vie solitaire et ne rencontrent pue pour le rut , tous les trois ans. 

    Pour mieux se cramponner, et prendre son élan  l’aye-aye a usé pour ses pieds du même subterfuge que le panda en dédoublant son pouce. Mais c’est sa main et ses doigts déliés qui sont un outil multi usage d’une exceptionnelle efficacité. Bien sûr cette main puissante lui sert  à s’agripper dans ses courses, aussi palper à l’occasion. Mais surtout grâce à ses longs doigts, en particulier le médium et l’annulaire, il peut à l’envi s’adonner à trois types d’activité : 

    • tambouriner les branches pour repérer les cavités vides ou occupées par des larves et les situer par écholocation (la même technique est utilisée par un oiseau, le pic-vert). Aussi à l’occasion, ces percussions signalent sa présence à ses congénères et peut-être leur envoie-t-il  des messages codés.  
    • dépiauter l’écorce et creuser les anfractuosités du bois où se cachent les larves et chrysalides d’insectes dont il se repait. De forts ongles prolongent les doigts.
    • se curer les narines jusqu’au tréfonds des fosses nasales pour y recueillir des mucus qu’il ré-ingère et semble se régaler. 

     

    Cette main gauche montre que le doigt médium (3) et l’annulaire (4) sont les plus longs

     

    C’est cette dernière activité digitale qui a fait l’objet d’études récentes (1) sans pour autant comme l’avoue Anne-Claire  Fabre de l’Université de Berne, instigatrice de ces travaux, pouvoir expliquer, commenter quels avantages l’aye-aye retire de ses travaux d’exploration nasale. Mais ce n’est que partie remise nous promet-elle en éclairant son étude d’une radio et vidéographie prometteuses.

     

    L’aye-aye enfonce son doigt de huit centimètres dans l’une de ses narines. Photo Anne-Claire Fabre/Renaud Boistel

     

    http://www.youtube.com/watch?v=zzXNZ_Z_M6M&t=11s

    D’évidence notre cousin aussi éloigné qu’insulaire prend plaisir à déguster ses morves. Cet attrait  n’est-il que gustatif à l’image de celui qu’éprouvent nos tout-petits dans leurs berceaux et nous font tant rire ? Ce mucus abrite-il des bactéries, virus ou enzymes qui participent voire sont indispensables à l’assimilation des aliments dont l’aye-aye se gave ?  Pour l’heure ces questions ne sont pas résolues, mais les éthologues sont sur la brèche. Et même si leur peuple reste rare, on peut compter qu’ils nous éclaireront bientôt sur ces moeurs digitales. 

    1. A.-C. Fabre, R. Portela Miguez, C. E. Wall, L. R. Peckre, E. Ehmke, R. Boistel Review of nose picking in primates with new evidence of its occurrence in Daubentonia madagascariensis. Journal of Zoology. October 2022. https://doi.org/10.1111/jzo.13034

    PS : sur Smithsonian Channel un film : https://www.smithsonianmag.com/smart-news/this-primates-long-middle-finger-has-a-startling-and-rather-gross-use-180981041/?utm_source=smithsoniandaily&utm_medium=email&utm_campaign=20221031daily-responsive&spMailingID=47578888&spUserID=MTAxNTU1MTA1ODE2MQS2&spJobID=2340002420&spReportId=MjM0MDAwMjQyMAS2

  • La vie des lamantins et dugongs bientôt abrégée

    La vie des lamantins et dugongs bientôt abrégée

    Pour  les lamantins  et les dugongs, l’avenir est sombre : on vient de signaler leur disparition des fleuves et côtes de Chine  (1) ; en Floride heureusement « protégés » dans des parcs naturels, ils ne doivent leur survie  qu’à des suppléments alimentaires . Ailleurs dans le monde, dans les grands fleuves et estuaires des zone intertropicales d’Amérique et d’Afrique et d’Asie où ils ont longtemps prospéré,  leurs populations décroissent  inexorablement, et  l’Union pour la Conservation de la Nature considère que   les quatre espèces actuelles de Siréniens sont menacées à court terme d’extinction. Et on ne peut  oublier le plus énorme des représentants de ces vaches marines, dix tonnes, la rhytine de Steller qui périt à peine découverte et signalée en 1741. 

    Pourquoi ces disparitions anciennes et celles annoncées de ces herbivores aquatiques aussi paisibles que discrets ? 

    Les humains et leurs industries en  sont les premiers responsables, soit comme prédateurs primaires lorsqu’ils les chassent  de façon outrancière alors que leur démographie est indolente, soit en modifiant les milieux qu’ils fréquentent, par exemple  en mettant à mal les délicates plantes aquatiques qui les nourrissent. 

    Parlons chasse en premier lieu. 

    C’est en 1728 que le danois Vitus Béring au service du Tsar explore et cartographie la géographie des côtes d’Asie et d’Amérique qui jouent à touche-touche aux latitudes extrêmes. Un zoologiste l’accompagne, Georg Willem Steller (1709-1746), qui profitant d’une escale sur une ile qui parsème le détroit  signale la présence d’une énorme vache  de mer, plus de de 10 tonnes. Cette population insulaire comptait alors quelques milliers d’individus. 27 ans plus tard le braconnage l’ avait exterminée et  elle était  déclarée fossile à  peine connue. 

    La figure suivante est un portrait de famille des Siréniens actuels et de leur répartition. 

    Répartition des quatre espèces de Siréniens et la rhytine de steller . D’après réf. 2.

     

    Le gigantisme de la première disparue de la famille ne peut qu’étonner eu égard son habitat : la rhytine vivait sous des latitudes boréales alors que toutes les espèces actuelles de lamantin et dugong se plaisent dans la zone inter tropicale…. comme se plaisaient à y séjourner leurs ancêtres nés dans la Tethys au début du Cénozoïque et à qui  Johann K. Illiger (1777-1813) accorda le rang ordinal de Sirenia en 1811 par référence aux mythologies grecques et scandinaves qui évoquent les troubles que connaissaient les nautoniers antiques entrainés sur des écueils par les chants d’affriolantes et lascives créatures . 

    De nos jour il ne reste que quatre espèces de ces paisibles herbivores aquatiques. Les lamantins et dugongs sont des animaux  de poids, mafflus, lippus et moustachus, pourvus de deux palettes natatoires antérieures pour les  guider dans les eaux alors qu’une queue aplatie les propulse. Mais attention : à des vitesses sénatoriales…Gourmands d’herbes aquatiques et d’algues, certains ne rechignent pas dans les marais proches des plantations de cannes à sucre à poursuivre les esquifs lourdement chargés de cette récolte pour en chiper les feuilles au ras des embarcations. Mais leur plat préférée est la laitue d’eau, hélas partout mise en danger par les adjuvants nocifx de l’agriculture industrielle.

    Le registre fossile montre que de nombreuses lignées de « vaches de mer » ont autrefois prospéré et le grand spécialiste de ces fossiles est Darryl P. Downing.  Les plus anciennes ont vécu voici 47 millions d’années sur les rives de la Téthys (2). En France un gisement dans les Préalpes , entre Barème et Castellane, dévoile sur un parcours facile d’accès une dalle calcaire parsemée d’ossements ayant appartenu aux plus anciens Siréniens  http://bassesalpes.fr/castelanne.html. A ce jour il n’a malheureusement fait l’objet que d’une étude préliminaire qui signale la présence de l’espèce Halitherium taulanense (3) Est-elle la seule présente en ces lieux ? 

    L’histoire du groupe doit être mise en parallèle avec celle des éléphants. Ces deux ordres, Siréniens et Proboscidiens, l’un aquatique, l’autre terrestre ont divergé voici une cinquantaine de millions d’années et leur origine téthysienne ne fait pas de doute.  Une récente revue sur l’histoire des Siréniens évoque ses aléas (2). La limite Eocène -Oligocène il y a 34 ma est une date clé qui signe l’expansion du groupe. Tirant partie  de cet événement climatique majeur, les Siréniens vont alors se répandre dans tous les océans et coloniser les côtes d ‘Afrique, d’Amérique du Nord et du Sud,  s’installer durablement dans la région Caraïbe et gagner même les côtes du Pacifique et les deltas des grands fleuves d’Asie. Il se trouve que durant les derniers 20 millions d’années, de vastes territoires au Nord de l’Amérique du Sud étaient de plaines souvent inondées, et c’est alors que s’est installé le géant fluvial qu’est encore aujourd’hui l’Amazone. Partout dans ces régions les Siréniens prospèrent , et durant cette période qui de l’Oligocène au Miocène soit près de 25 ma , on s’est aperçu que dans les gisements où l’on croise leurs fossiles plusieurs espèces de taille différente de ces herbivores aquatiques coexistaient alors . Chacune avaient son propre mode de pâturage à un niveau différent de la masse végétale, s’attaquant à la végétation aquatique soit en piochant ou  bêchant, ou plus simplement par faucardage. 

    Au fil des temps,  un écosystème original et unique s’était forgée dans les grandes plaines alluviales et estuaires à une échelle globale dans lequel les Siréniens tenaient le haut du pavé. Véritables jardiniers de ces espaces, ils contrôlaient en s’en nourrissant les productions végétales subaquatiques qui s’ y développent.

    Répartition et sens des migrations des Siréniens (d’après réf .2).

     

    . Mais voici une dizaine de millions d’années, plusieurs de ces espèces se sont éteintes, en particulier celles de petite taille, et une lente décrue des vaches d‘eau s’est amorcée.  

    Mouvements tectoniques alpins et surrections de massifs montagneux,  puis épisodes glaciaires répétés vont mettre en péril le fragile équilibre que ces communautés avaient généré, et surtout limiter son extension  Si bien que dans les  9 ma qui  nous précèdent, de nombreuses espèces  de Siréniens vont disparaitre. Il est possible que l’agriculture industrielles et ses pesticides assènent un  coup de grâce à ces écosystèmes de longue date fragilisés. Ainsi l’effacement de ces paisibles bi pattes aquatiques  qui dit-on auraient séduit les compagnons d’Ulysse s’inscrit dans la logique prédatrice de l’expansion humaine. 

    Mais alors qui après les Siréniens ? Ce sont les plus grands des Mammifères uqi sont le plus en danger, éléphants, girafes, ours et grands carnivores et grands singes ont toute chance de ne pas franchir ce siècle. 

    (1)  Lin M et al. 2022 Functional extinction of dugongs in China. R. Soc. Open Sci. 9: 211994.
    https://doi.org/10.1098/rsos.211994

     (2) Heritage S, Seiffert ER. 2022. Total evidence time-scaled phylogenetic and biogeographic models for the evolution of sea cows (Sirenia, Afrotheria). PeerJ 10:e13886 DOI 10.7717/peerj.13886 

    (3)  Sagne C., 2001. Halitherium taulannense, nouveau sirénien (Sirenia, Mammalia) de l’Éocène supérieur provenant du domaine Nord-Téthysien (Alpes-de-Haute-Provence, France). Compte Rendu de l’Académie des Sciences de Paris, Sciences de la Terre et des Planètes/Earth and Planetary Sciences, 333 : 471-476.

  • Tiens-toi droit !

    Tiens-toi droit !

    La station debout, avant d’être une marque de  politesse voire une morale, s’impose  très tôt dans le cours de la gestation du jeune embryon qui naîtra Homo sapiens : entre la sixième et la huitième semaine, l’ilium acquiert sa forme définitive et a effectué une rotation qui le place à l’aplomb de l’ischium alors que le bassin où s’appuieront les membres inférieurs se construit, ce qui permettra au nouveau-né d‘acquérir la station debout peu après sa naissance. Cette architecture nouvelle chez un Primate s’édifie grâce à l’action sur les champs de croissance  cartilagineux et osseux de gènes du développement dont l’action régulatrice est  ralentie par rapport à leur mode d’influence plus longue chez les autres Primates proches de l’homme, gorille et chimpanzé (1). 

    Les fossiles de pré humains et d’humains suggèrent que la bipédie est une acquisition précocement apparue chez nos ancêtres et dans un laps de temps réduit. Homo erectus d’évidence était bipède il y  a deux millions d’années. Cette innovation majeure a ouvert la voie en cascade à de nombreuses adaptations : pour les membres antérieurs, libérés de toute fonction locomotrice, ils peuvent se spécialiser dans la fabrication d’ outils, en user, inventer, et par voie de conséquences cela va déboucher sur une augmentation de la capacité cérébrale pour gérer ces nouvelles capacités. 

    La ceinture pelvienne a une double fonction : la station debout et le passage de la tête du  jeune au moment de la parturition. Pour répondre aux exigences bio mécaniques propres à la bipédie, et peut-être aux effets de l’augmentation de la taille du cerveau sur la parturition, la sélection naturelle a sculpté de façon marquée la morphologie pelvienne de l’homme pour qu’elle fonctionne différemment de celle des chimpanzés et des autres singes. 

    Les images suivantes permettent de comparer les bassins de l’Homo sapiens  à ceux du chimpanzé et du gorille. en vue ventrale et latérale. 

    Bassin de gorille, chimpanzé et homme (d’après réf. 1)

     

    Les spécialistes de la génétique du développement ont pu préciser le calendrier, les moment et le mode d’action de gènes du développement qui sont à la base de cette transformation radicale de l’anatomie de la ceinture pelvienne/ Ils ont pu identifier aussi quels gènes entraient en action durant cette phase précoce de la formation du foetus (1). 

    Ils constatent que c’est entre  la sixième et la huitième semaine, que l’iliium  d’Homo sapiens commence à se former, puis  pivote pour prendre sa forme caractéristique de cuvette. Alors même que d’autres cartilages de l’embryon commencent à s’ossifier pour devenir des os, ils observent  que ce stade de cartilage dans le bassin de H. sapiens semble persister pendant plusieurs semaines supplémentaires, par rapport à ce que l’on constate chez le gorille et le chimpanzé, ce qui donne à la structure en développement plus de temps pour se courber et pivoter. Comme le fait remarquer Terence D.  Cappellini promoteur de l’étude : « Ce ne sont pas des os, mais du cartilage qui grandit, s’étend et prend cette forme ». 

     

    Formation des cartilages du pelvis entre le 44ème et le 53ème jour de gestation le long des vertèbres chez Homo sapiens (d’après réf. 1.)

     

    L’image suivante montre la part tr!ès importante des cartilages lors du développement de l’embryon au  54 ème jour de gestation alors que les points ossifiés sont rares. 

     

    Colonne vertébrale, bassin et fémurs de l’embryon de 54 jours . En bleu le cartilage, en rouge l’os. (d’après réf.1).

     

    Dans la suite logique de leur projet, la même équipe a extrait l’ARN messager de différentes régions du pelvis des embryons pour voir quels gènes étaient actifs à différents stades du développement. Ils ont ensuite identifié des centaines de gènes humains dans des sections pelviennes spécifiques dont l’activité semblait augmenter ou diminuer au cours du premier trimestre de la gestation. Parmi ceux-ci, 261 gènes se trouvaient dans l’ilium. De nombreux gènes régulés à la baisse sont impliqués dans la transformation du cartilage en os, tandis que d’autres gènes régulés à la hausse maintiennent le cartilage, explique Terence D. Cappellini, et agissent peut-être aussi sur le système cartilagineux pour le maintenir plus longtemps dans cet état. 

    Notons que pour mener à bout cette étude, Ce chercheur d’Harvard s’est assuréede la collaboration de 12 chercheurs appartenant à presqu’autant de laboratoires de divers pays. 

    En comparant l’activité génétique lors de la formation puis du développement du bassin de la  souris pris comme référence, les chercheurs ont également identifié des milliers d’interrupteurs génétiques qui semblent impliqués dans la formation du bassin humain. Des portions d’ADN au sein de ces interrupteurs semblent avoir évolué rapidement depuis la séparation de notre espèce de notre ancêtre commun avec les chimpanzés. Mais chez les humains modernes, ces éléments de régulation situés dans l’ilium présentent une variation étonnamment faible. D’après les chercheurs, cette uniformité est le signe que la sélection naturelle a mis en place et favorisé un système afin qu’il se développe dans une voie nouvelle et originale. 

    « L’origine de la bipédie se trouve au sein de notre génome » affirment ces chercheurs. 

    Cette acquisition majeure  a profondément changé le cours de notre histoire.

    « A ce stade de la recherche, cette nouvelle compréhension de la bipédie en tant qu’acquisition clé de l’histoire des hommes pourrait également aider les scientifiques à concevoir des traitements pour les troubles de l’articulation de la hanche, ou pour prévoir les complications lors de l’accouchement » commente  Nicole Webb, paléo anthropologue  qui étudie l’anatomie pelvienne à l’Université de Tübingen. Elle ajoute : « Les déviations du programme génétique que l’équipe de Cappellini a identifiées peuvent entraîner des troubles tels que la dysplasie de la hanche et l’arthrose ».  Elle conclue par un souhait et une exclamation : « J’espère que cela aura des implications majeures pour améliorer la vie des gens. Ce serait énorme de pouvoir relier les paléo anthropologues et les recherches  en génétique du développement ! ».

    Pour terminer en chanson, je vous propose de rejoindre Anne Sylvestre. 

    https://www.dailymotion.com/video/x1tnm2j

    1. Mariel Young et al. The developmental impacts of natural selection on human pelvic morphology. Sci. Adv. 8, eabq4884 (2022) 17 August 2022 https://www.science.org/doi/10.1126/sciadv.abq4884
  • Le secret des crottes de wombat dévoilé

    Le secret des crottes de wombat dévoilé

    Ces marsupiaux herbivores fouisseurs peuplent les forêts et prairies montagneuses d’Australie et Tasmanie. Le terme wombat est empruntée à la langue du groupe aborigène des Darug qui vivaient dans la région de Sidney et en Nouvelles Galles du Sud. Littré, suivant en cela la proposition de Geoffroy Saint Hilaire (1802), le désigne sous le terme de phascolome, rat à poche, alors que le Vombatus ursinus Show 1800 est appelé en Australie « bare-nosed wombat », wombat à nez nu. Paisibles et discrets brouteurs, d’un poids de 20 à 30 kg et d’une longueur d’un mètre, ces animaux à courtes pattes, peu farouches et qui on l’aspect d’oursons sont de longue date célèbres dans la littérature scientifique : ils défèquent par série de 7 à 8 et jusqu’à 100 par jour des crottes cubiques de 2 centimètres de côté. Et ensuite au boulot : ils les déplacent pour délimiter leur territoire et ainsi signifier leur présence à leurs voisins, à moins que ce ne soit un signal à l’adresse d’un partenaire sexuel éventuel. comme d’autres l’ont suggéré.

    Wombat, Photo Michael Aagaard, Tasmanie 2017

    C’est bien sûr le mode de confection de la forme cubique de ces fèces qui intrigue depuis qu’il fut constaté voici plus de 2 siècles, et au final il n’est pas étonnant que ce soit une spécialiste de mécanique physique, Patricia Yang de l’Institut de Technologie de Géorgie (USA) et son équipe qui aient résolu le problème (1). 

    Dans une précédente étude ils ont modélisé en 3 D la structure externe de la crotte

    Crotte et le modèle 3D, P. Yang et al., 2021/

     

    Pour comprendre le mode de fabrication de ces cubes, Patricia Yang et son équipe ont disséqué l’intestin du wombat, une dizaine de mètres de longueur. Ils suggèrent que les contractions et expansions de la paroi intestinale  de par la structure et texture des tissus sont capables de former de tels cubes. À l’aide d’un modèle mathématique, ils ont simulé une série de contractions azimutales d’un anneau élastique amorti composé de régions alternativement rigides et molles. L’augmentation du ratio de rigidité et du nombre de Reynolds donne des formes plus carrées. Les angles résultent d’une contraction plus rapide dans les régions rigides et d’un mouvement relativement plus lent au centre des régions molles.

    Comme le précise Patricia Yang : « Une coupe transversale de l’intestin du wombat ressemble à un élastique dont les deux extrémités sont maintenues légèrement tendues et la section centrale s’affaisse. Les parties rigides et élastiques se contractent à des vitesses différentes, ce qui crée la forme cubique et les angles de la crotte ». 

    Elle ajoute que ces résultats peuvent avoir des applications dans les domaines de la fabrication des fèces chez les humains, de la pathologie clinique et de la santé digestive, en particulier  pour comprendre le mode de développement des cancers du colon. 

    La digestion du wombat est un processus assez long, 4 fois plus que celui d’un humain,  et il nécessite pas moins de 40 000 mouvements de contraction des intestins. Les fèces cubiques excrétés sont sèches. Mais cependant la défécation, alors que l’orifice anal est ovoïde, ne semble pas douloureuse et pour autant que l’on puisse en juger n’affecte pas  l’humeur des individus.

    S’il fabrique quotidiennement des sortes de parpaing en grande quantité, l’animal n’a pas pour autant des talents de bâtisseur. Certes il les déplace, certains prétendent qu’il les aligne, mais ce n ‘est là qu’un marquage de territoire. Pas un projet immobilier.

    Jean-Louis Hartenberger

    (1) Elisabeth Gamillo https://www.smithsonianmag.com/smart-news/scientists-have-solved-mystery-how-wombats-poop-cubes-180976898/

    Patricia Yang et al. 2021. Intestines of non-uniform stiffness mold the corners of wombat feces.  Soft Matter 17.3 (2021): 475-488.

  • Les Chauve-souris d’Ukraine ne sont pas des armes biologiques

    Les Chauve-souris d’Ukraine ne sont pas des armes biologiques

    Voici quelques jours un propagandiste du Kremlin a accusé l’Ukraine, pays victime de l’agression de son Président V. Poutine, de concocter des armes biologiques. Ces assertions plus que mensongères se fondent sur une lecture partielle et partiale des attendus et premiers résultats d’un  programme de recherche international basé à Kharkiv visant à  identifier et localiser les bactéries et virus pathogènes dont les Chauve-souris de la région sont les hôtes (1).  

    L’image suivante montre Vassily Nebenzia « ambassadeur de la Russie aux Nations Unis »  brandir le 10 mars dernier un feuillet d’une « preuve » de ce projet  d’ attaque biologique. 

    L’ambassadeur de Russie le 10 mars 2022 au Conseil de Sécurité de l’ONU.

    Si la situation n’était aussi tragique et mortelle dans le beau pays d’Ukraine je  renverrais volontiers ce triste loufiat de son maitre   à Rabelais et son éloge du torche-cul.  Je préfère m’en tenir aux faits. 

    En 2020, chercheurs allemands et ukrainiens ont lancé une collaboration pour identifier les parasites pathogènes présents chez les chauve-souris vampires d’Ukraine. Les captures de puces, tiques et mouches réservoirs de bactéries et virus de ces mammifères furent collectés dans le pays  et  transmises pour analyse approffondie dans des labos d’Allemagne. Ainsi l’ADN extrait de ces parasites ont permis d’identifier les formes pathogènes, en particulier Ricksettia, une bactérie commune des tiques. Les premiers résultats ont été présentés en 2021 au cours d’un congrès qui rassemblait des épidémologistes de tous pays, y compris la Russie. 

    Aucune de ces recherches n’est sous le sceau du secret, bien au contraire, à l’opposé de ce que prétend le Président Russe qui évoque «  des douzaines de laboratoires en Ukraine qui expérimentent  sur les coronavirus, anthrax et choléras financés par le Pentagone » !

    De fait l’Institut Vétérinaire de Kharkiv  fait partie d’un réseau plus vaste d’établissements de recherche qui reçoivent des fonds du département de la Défense des États-Unis (DOD) dans le cadre de son Programme de réduction des menaces biologiques (BTRP). Cet effort, qui date de plusieurs décennies, vise à sécuriser les vestiges de la recherche sur les armes biologiques, chimiques et nucléaires de l’ère soviétique en démantelant les laboratoires et en trouvant des solutions de rechange pour les scientifiques qui travaillaient sous la coupe des soviétiques. Démarré dans les années 2000, ce programme, qui comprenait des laboratoires russes jusqu’en 2014, s’est transformé en un effort de surveillance de la santé publique et des maladies dans l’ancienne Union soviétique, en collaboration avec l’Organisation mondiale de la Santé et les Centers for Disease Control and Prevention des États-Unis. Ce qui n’a rien à voir avec un soi-disant «  réseau de laboratoires financés par les États-Unis à la frontière russe » comme le prétend Poutine. .

    A ce jour, depuis 2005, ce sont environ 200 millions de dollars qui ont été alloués aux scientifiques ukrainiens. Les laboratoires qui ont les liens les plus étroits avec le programme ont été ciblés dans le cadre de l’effort de désinformation de la Russie. Par exemple, des rapports russes décrivent la recherche sur le microbiome intestinal des vipères par Oleksandr Zinenko, herpétologiste à l’Université nationale V. N. Karazin Kharkiv qui a collaboré avec l’institut vétérinaire de Kharkiv dans le passé, comme de la « recherche sur les armes biologiques ». même si l’étude de la vipère était un projet indépendant. « Aucun des micro-organismes présents dans l’intestin d’une vipère n’est particulièrement dangereux », dit M. Zinenko.

    Il ajoute qu’aucun de ses travaux sur les maladies des reptiles et des amphibiens n’est secret. « Tout est de l’information publique », dit-il, avec des rapports annuels et des affichages de conférence entièrement disponibles en ligne.

    Pour le Professeur Vlaschenko, qui dirige le Centre ukrainien de réhabilitation des chauves-souris à Kharkiv, les efforts déployés pour transformer leur travail d’enquête en quelque chose de menaçant semblent risibles, mais ajoute-t-il « Seulement tant que Kharkiv reste entre les mains de l’Ukraine ». Il précise « Nous n’avons pas de tels laboratoires génétiques dont nous aurions besoin pour les armes biologiques. C’est très drôle d’entendre les Russes dire que nous faisons ce genre de recherche » 

    Mais si la ville est occupée, et qu’il vienne à être capturé et torturé, il ignore s’il ne devra pas « collaborer »…

    1. https://www.science.org/content/article/russians-must-know-it-s-lie-ukrainian-bat-research-spun-false-tale-bioweapons?utm_source=sfmc&utm_medium=email&utm_campaign=DailyLatestNews&utm_content=alert&et_rid=715095945&et_cid=4156934
  • Se muscler en dormant

    Se muscler en dormant

    Les écureuils arctiques  d’Alaska donnent la recette de la musculation passive. En hiver, au fond d’une cachette, ils dorment à pattes fermées. Pour autant, dès le printemps, tout en muscle comme si de rien n’était, ils bondissent hors de leurs terriers et enchantent de leurs cabrioles et de leur joie de vivre recouvrée en un claquement de dent. C’est grâce à tout un cortège de microbes intestinaux : des bactéries contribuent à recycler les déchets nitrés stockés dans leur sommeil, en particulier l’urée,  pour  fournir aux muscles les éléments nourriciers nitrogènes  nécessaires à leur sauvegarde (1). 

    Chez les humains et tous les autres mammifères, l’inactivité physique  est synonyme  d’atrophie musculaire rapide : dix jours de lit entrainent une perte musculaire de plus de 14 %. 

    Les écureuils terrestres arctiques, Urocitellus parryi,  qui hivernent au fond de leurs cachettes plusieurs mois ne souffrent pas de cette dégénérescence musculaire. 

    De longue date on avait observé que ces petits animaux au sortir de cette longue période de léthargie hivernale, à peine sur le seuil de leur lieu de séjour, s’en évadaient bon pied , bon oeil, pour en premier courir le guilledou et cavaler dans les prairies verdoyantes et fleuries du printemps comme des jouvenceaux assoiffés d’aventure et de plaisir.

    Ecureuil arctique en été et en hiver photo Robert Streiffer.

    On se doutait que leur organisme avait trouvé un moyen de recycler l’urée, ce déchet azoté que la fonction rénale évacue et stocke au quotidien. 

     C’est en traçant grâce à des marqueurs l’itinéraire de ces déchets nitrés (isotope stable N15), que des chercheurs ont levé le voile sur cette question qui frise le paradoxe : comment réinjecter dans l’organisme et son système intestinal des nutriments nitrés stockés par le système rénal ? 

    C’est par la ruse qu’ils sont parvenus à leurs fins : en faisant absorber des antibiotiques à ces dormeurs du Nord, ils ont affaibli leur flore intestinale. Dès lors ils se sont aperçus que les pauvres bêtes devenaient incapables de recycler suffisamment d’urée pour assurer le maintien de la masse musculaire transmise par voie hépatique. 

    Cette expérimentation sur une qualité de la vie sauvage jusqu’ici inexpliquée ouvre des perspectives qui pourraient soulager notre quotidien. Bien sûr nous n’hibernons pas. Mais il est des circonstances où il y a détérioration de notre masse musculaire : au cours du vieillissement, d’une période de maladie qui contraint un patient à rester au lit, et aussi chez les astronautes lors de longs séjours en apesanteur. En étudiant de près la stratégie dont usent les écureuils arctiques pour recycler l’urée, on peut espérer trouver comment doper notre flore intestinale afin qu’elle soit capable de régénérer par des voies parallèles notre masse musculaire dans des circonstances d’inactivité forcée préjudiciables à son maintien. 

    Nul doute que si une telle thérapeutique voyait le jour, ses promoteurs nous la serviraient à l’envie dans tous les médias. Je leur propose un slogan à apposer sur ses produits dérivés : long vive to SBB = Sleeping Body Building !

    . 

    (1) Rice, S.A., Ten Have, G.A.M., Reisz, J.A. et al. Nitrogen recycling buffers against ammonia toxicity from skeletal muscle breakdown in hibernating arctic ground squirrels. Nat Metab 2, 1459–1471 (2020). https://doi.org/10.1038/s42255-020-00312-4