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Y a de l’ADN dans l’air, chanson populaire

Une expérience astucieuse vient de faire la démonstration qu’il est possible d’inventorier aisément la faune dans une région donnée : la pose de filtres à air suivie de l’analyse des traces d’ADN recueillies permet d’avoir une idée précise de la richesse en espèces de vertébrés terrestres qui y séjournent ou en sont voisins (1).

homme ADN chantant, réalisation Schäferie
Au cours de l’automne dernier, une courte mission de trois jours dans une forêts mixte du Danemark vient de produire des résultats étonnants. Alors que les six chercheurs n’ont aperçu que très peu d’animaux lors de leur séjour, les filtres à air susceptibles de capter les traces d’ADN que tout être vivant laisse sur son passage disposés sur des troncs d’arbres à cette occasion ont été beaucoup plus éloquents : l’analyse en laboratoire de ces 144 filtres révèlent qu’au moins 57 espèces de vertébrés sauvages terrestres fréquentent ce lieu ou en sont peu éloignés sur les 210 répertoriées à l’échelle du pays, et s’y ajoutent celles d’espèces domestiques courantes et bien sûr d’humains

Forêt mixte du Danemark, situation des filtres à air sur 2 transects (blancs et bleus). Au total ce sont 144 échantillons qui ont été analysés. D’après réf. 1.
Comme illustré sur la figure le terrain de cette expérience d’inspiration quasi policière dans sa méthode d’échantillonnage systématique a tout juste la taille d’un terrain de football. En l’arpentant ces trois jours et le quadrillant alors qu’ils disposaient les boites à filtres sur les troncs d’arbres, les six chercheurs n’ont aperçu qu’un écureuil, entendu un pic-vert à l’oeuvre et le cri d’un faisan, et vu un aigle les survoler. C’est tout. Mais les particules d’ADN recueillies sur les filtres durant cette même période ont révélé qu’outre quelques animaux domestiques et des humains, près d(une soixantaine d’animaux sauvages de toutes tailles, mammifères batraciens et oiseaux, avaient laissé des traces d’ADN : cerfs, chevreuils, blaireaux, renards, pygargues à queue blanche, différents campagnols, mulots, rats et souris, écureuils, rossignols, salamandres, crapauds, pics-verts, hérons, coqs de bruyère, et bien d’autres jusqu’à des poissons La plus inattendue fut la découverte de la présence d’ADN d’un paon en pleine forêt ! Après enquête auprès des habitants qui fréquentent la forêt, ceux-ci leur révélèrent que sporadiquement il leur était arrivé de croiser cet animal exotique en vadrouille, sans doute évadé d’un parc animalier ou d’une basse-cour voisins.
Cette présence dans l’air ambiant d’ADN d’animaux aussi divers à l’état diffus n’est guère surprenante. Ces marqueurs génétiques proviennent de fragments de poils et plumes ou de cellules de la peau et sont dispersées dans l’atmosphère, emportés par les vents tout comme les pollens des arbres et peuvent provenir de loin. C’est pourquoi cet outil pour inventorier la biodiversité à l’échelle locale ou régionale doit être utilisé avec prudence. Par exemple la présence proche du lieu d’expérience d’un zoo où existe une forte concentration d’animaux exotiques peut biaiser l’étude si l’on n’en tient pas compte. D’ailleurs pour leur interprétation, les chercheurs ont consulté les modèles météorologiques qui rendent compte des circulations aériennes.
Mais la crise de biodiversité que connaissent tous les pays industrialisés soumis à une surpopulation humaine qui tend à repousser toutes les autres espèces, voire les éliminer, nécessite que tous les outils pour en apprécier les variations doivent être mis en oeuvre. Grâce à de telles méthodes il sera possible de détecter des mouvements de migration improbables parce que liés au réchauffement climatique et tout autre anomalie dans les inventaires de biodiversité par comparaison avec de précédents bilans. Il est évident que des coopérations entre pays et la mise à disposition sur les réseaux de ces données factuelles s’impose pour constituer une base de données riche d’enseignement et aisément accessible.
Cette étude fait la démonstration qu’en un laps de temps réduit, trois jours, avec une équipe réduite suivi de quelques semaines d’études en laboratoire il est possible de mesurer l’état d’un quart de la biodiversité des espèces terrestres vivant sur une partie du territoire du Danemark.
La mesure de l’ADN « ambiant » est une méthode sensible et pertinente pour apprécier la diversité en vertébrés terrestres en un lieu donné. Elle s’ajoute à celles déjà en usage pour les plantes et les insectes qui utilisent aussi ce même ADN ambiant. Ainsi tout écosystème peut aujourd’hui être inventorié et suivi dans ses variations presque au jour le jour, et on peut dire que c’est là une approche révolutionnaire dans la manière dont nous pouvons appréhender l’évolution de la biodiversité sur notre planète.
(1) Christina Lynggaard, Tobias Guldberg Frøslev, Matthew S. Johnson, Morten Tange Olsen, Kristine Bohmann. 2023 . Airborne environmental DNA captures terrestrial vertebrate diversity in nature. Molecular Ecology Resources, 2023; DOI: 10.1111/1755-0998.1384
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Mammifères jardiniers

Pour camoufler l’entrée de son terrier des vues assassines des prédateurs aviens, un campagnol de Mongolie aménage sa végétation environnante et taille les hauts buissons pour empêcher les oiseaux de s’y percher et le guetter (1). En Floride un rongeur souterrain est soupçonné de cultiver dans les boyaux de son terrier des racines, tubercules et plantes comme autant de réserves alimentaires (2).
Jusqu’ici aucune forme de génie agricole n’avait été signalé chez les Mammifères alors que certains insectes, termites et fourmis par exemple, peuvent se montrer d’habiles agriculteurs au point de modifier leur environnement et aménager des cultures, principalement de champignons. Aussi dans ce domaine, les castors capables de construire des barrages pour la protection de leur huttes et terriers passaient pour exceptionnels, précédant de loin les aménagements de Primates et d’humains qui ont édifié des abris ou se sont réfugiés dans des grottes. Les deux rongeurs dont il va être question peuvent être considérés pour les Mammifères comme des pionniers dans le domaine du génie environnemental. Leurs travaux de jardinage sont sans aucun doute plus élaborés que ceux des éléphants qui après tout abattent les arbres et débroussaillent sans guère de discernement
Notre premier jardinier est un campagnol (Lasiopodomys brandtii) qui vit dans les steppes de Mongolie Intérieure où il creuse des terriers pour s’y réfugier. Pour se nourrir il doit en sortir pour récolter différentes graminées qu’il accumule comme réserves dans son terrier. Ces petits animaux, 15 cm de long, constituent de véritables colonies qui occupent ces réseaux de terriers et ont une démographie fluctuante au fil des années : au rythme de 4 portées par an, ils peuvent brutalement pulluler puis les saisons suivantes comme disparaitre du paysage en fonction des conditions météorologiques favorables ou non à la pousse des graminées dont ils se nourrissent; à moins qu’une épidémie virale ne les décime.

Leurs principaux ennemis sont des pie-grièches du genre Lanius à juste titre dénommés oiseaux-bouchers : ces passereaux qui ne pèsent guère que 20 à 40 grammes, après les avoir tuées empalent leurs proies de même poids sur une épine d’un buisson pour soit les consommer plus tard, soit à titre de trophées pour plaire à un ou une fiancée. Pour se percher et surveiller les allées et venues des campagnols, ces oiseaux se juchent sur des buissons d’une graminée qui forme des touffes et buissons dans la steppe.

Pie-grièche en action. Photos Duncan Uscher Photos News. Cette graminée (Achnatherum splendens) forme des taillis qui peuvent atteindre 1.80 m de haut, et elle n’a aucune valeur nutritive pour les campagnols. Il n’empêche que ces derniers par leurs activités souterraines sur les racines et en s’attaquant aux tiges et feuillage de ces buissons parviennent à réduire leur développement en même temps que la densité des branches possibles postes d’observation qui permettraient aux oiseaux de se percher, et ce dans une notable proportion : la pression de prédation et de mortalité des campagnols grâce à leur émondage se trouve réduite de moitié.
Le deuxième exemple de mammifère jardinier nous vient d’un rongeur souterrain des savanes de Floride en Amérique du Nord : le rat à bajoues (pocket goffer, Geomys pinetis). Ce petit animal, fouisseur impénitent, vit en solitaire dans des tunnels creusés à environ 40 cm de profondeur et qui forment in réseau pouvant atteindre 160 m de long. Cette vie de tunnelier implique que chaque individu doit déployer une énergie considérable pour se déplacer, beaucoup plus importante que s’il vivait à l’air libre. En fait de l’ordre de 340 à 3400 fois plus ! C’est ce besoin en calories qui a attiré l’attention des chercheurs, car ils ont remarqué qu’il ne pouvait pas être assouvi complètement par la densité de racines et tubercules que l’animal peut croquer pour s’en nourrir dans ses travaux de terrassement souterrain.
Les racines de cette végétation de savane sont rares au niveau où il creuse, peu profondes, et elles ne peuvent fournir que 21% de ses besoins.quotidiens. Comment se procure-t-il le complément alimentaire nécessaire à sa survie ?
En isolant des portions de tunnels, ces chercheurs ont ont pu suivre au jour le jour l’activité des rongeurs sur de longues périodes, et comptabiliser les racines et les plantes avoisinantes nourricières , en particulier les plants d’oseille (Rumex hastulatum) et une herbacée (Bidens alba).

Ils notent que le réseau souterrain aère le sol sableux et que les animaux répandent leurs excréments sur toute sa longueur et ce fumier naturel enrichit cet espace (d’ordinaire les autres rongeurs souterrains réservent une portion de terrier pour leurs défécations). Sporadiquement les chercheurs ont aussi observé que des touffes entières de végétaux sont « aspirées » dans les tunnels
Et surprise, ils ont constaté que les racines de ces plantes poursuivent leur croissance dans ce milieu souterrain. Cette technique d’enfouissement du fourrages n’est pas qu’une forme d’ensilage. D’une part elle évite aux animaux d’avoir à sortir de leurs terriers pour une cueillette qui peut s’avérer dangereuse, et d’autre part ce sont de véritables cultures que les animaux entretiennent dans la profondeur de leurs terriers dans ce milieu bien aéré en fumant leurs jardins de leurs excréments. Outre de fines racines, dans ces tunnels on trouve des tubercules, entre autres une euphorbe tropicale, certes aux feuilles urticantes mais aux racines succulentes, Cnidoscolus urens. Comme nous, les rats à bajoues modifient leur environnement pour cultiver et conserver des réserves alimentaires dévorées au quotidien ou conservées en cas de disette,ou tout simplement lors des mises bas des jeunes. .
- Zhong et al., 2022, A rodent herbivore reduces its predation risk through ecosystem engineering. Current Biology 32, 1869–1874 April 25, 2022 a 2022 Elsevier Inc. https://doi.org/10.1016/j.cub.2022.02.074
- V. Selder & F.C . Putz, 2023 Root cropping by pocket gophers. Current Biology, https://www.cell.com/current-biology/fulltext/S0960-9822(22)00915-0
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L’aplatissage estival de l’écureuil gris

Au plus fort de l’été, alors que le soleil embrase l’atmosphère, il n’est pas rare d’observer des écureuils gris plus qu’écrasés par la chaleur : ils gisent à terre les quatre pattes écartées, la panse collée au sol, cependant l’oeil vif et au aguets (1). Quel bénéfice retirent-ils de cette posture écartelée ?
L écureuil gris, Sciurus carolinensis, est présent sur tout la partie Est de l’Amérique du Nord, aussi bien dans les forêts que dans les zones urbaines. Il est très fréquent dans tous les jardins privés et publics où il se montre familier et curieux au point que les promeneurs l’approchent aisément, bien sûr à condition d’offrir quelques friandises.
Alors que les premiers jours de ce mois de juillet répertoriés comme les plus chauds depuis 1979, année où l’on a commencé à enregistrer les températures journalières à l’ échelle globale, les signalements d’écureuils « aplatis » (splooting squirrels) se multiplient sur les réseaux sociaux.

Ecureuil en recherche de fraicheur. Photo Texas Parks and Wildlife Departement D’évidence ces petits animaux sont à la recherche d’un peu de fraicheur et espère que la moindre brise évaporera leur sudation en leur donnant l’illusion que la température diminue. Dans le langage médiatique, on nomme cela « température ressentie » …A l’opposé, en hiver ne se mettent-ils pas en boule pour éviter les fuites thermiques…
« Ne pas déranger » est la consigne recommandée par les gardiens de la vie sauvage.
Les écureuils ne sont pas les seuls à user de cette posture aplatie pour tenter de se rafraîchir. Chats, chiens, ours bruns et blancs, panthères, lions , les rois des animaux ,adoptent sans aucune vergogne cette pause par temps de grande chaleur comme illustré à l’envi sur la toile
Réchauffement climatique aidant, cette pratique horizontale est appelée à se généraliser dans le règne animal. Les humains des villes suivront-ils ce mouvement immobile ?
(1) Sarah Kuta, July 2023. Why are squirrels ‘splooting’ on hot days ? Smithsonian Magazine..
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Ecureuils volants et charpentiers épargnants

Les écureuils volants qui hantent les forêts tropicales humides de l’île de Hainan dans le sud de la Chine font des réserves des glands de chêne glauque dont ils sont friands. Pour préserver leur récolte des attaques des champignons et de l’humidité et pouvoir les déguster à la saison sèche, chaque noix est maintenue hors sol dans une fourche d’arbrisseau, et pour prévenir sa chute le cueilleur pratique une entaille circulaire sur le fut du gland. Ce système tenon-mortaise sécurise et sauvegarde chaque coque (1).
Tous les écureuils de par le monde en prévision des pénuries hivernales font des réserves de fruits secs, glands, noix et autres graines, qu’ils accumulent en régions tempérées dans des creux d’arbre ou de rocher. Il en va de leur survie et cette réputation d’épargnant leur colle aux basques, et en font de réputés banquiers. En région tropicale, on vient de découvrir que deux espèces d’écureuils volants, Hylopetes phayrei electilis et Hylopetes alboniger, ont certes les mêmes soucis, mais ces animaux utilisent, climat oblige, une technique plus élaborée pour maintenir à l’abri du pourrissement leurs récoltes : ils creusent une encoche sur le fut les coques des glands qu’ils déposent ensuite sur la fourche d’arbrisseaux de leur voisinage. Ce système tenon-mortaise sécurise et évite la chute de la noix et la maintient hors sol des attaques de l’humidité et des champignons. Qui plus est, eu égard leur fragilité, ces brindilles ne peuvent supporter le poids d’animaux plus lourds qu’eux qui ne dépassent guère les 250 g.

Hylopetes alboniger (Photo Ngueyen Truong son et un gland creusé d’un sillon (photo in Wen Hao) sur l’ile de Hainan Les chercheurs ont été surpris de la méticulosité avec laquelle ces petits animaux mettaient à l’abri les glands de leurs récoltes. Par l’entremise de caméras infrarouges, c’est essentiellement de nuit qu’oeuvrent ces écureuils volants, ils ont pu les suivre de A à Z depuis la récolte des glands, leur transport sur une distance appréciable (10 à 20 mètres), le creusement de l’encoche sur le cylindre de la coque, le choix des fourches d’arbrisseaux situées au moins à 2 mètres du sol et faisant un angle de 25 à 40°, la pose du gland et les vérifications de la solidité de l’assemblage. La vidéo qui suit montre que les zoologistes se sont eux aussi assurés de la robustesse de cette « charpente grenier » improvisée en secouant vigoureusement le branchage…sans obtenir la chute du gland ! https://youtu.be/tgheT3XzYTI
Cette innovation adaptative n’est pas que bénéfique pour son auteur en lui assurant des réserves alimentaires pour la saison sèche, mais aussi grâce aux écureuils il en résulte une meilleur dispersion des glands de chêne glauque et cette large dispersion permet à plusieurs de leurs familles de bénéficier de ces réserves. Sans le savoir et encore moins le clamer, les écureuils volants s’avèrent outre d’habiles charpentiers, de très clairvoyants écologistes.
- Han Xu er al. 2023. Flying squirrels use a mortise-tenon structure to fix nuts on understory twigs. eLife (2023) https://doi.org/10.7554/eLife.84967
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Enfin un contrôle des naissances non mutilant pour Felis catus

Une méthode de stérilisation des chattes par injection unique intramusculaire d’une hormone trans-gène vient d’être mise au point. Elle permettra un meilleur contrôle des populations de chats domestiques devenues pléthoriques dans tous les pays et qui ravagent les populations sauvages de mammifères, oiseaux, reptiles, voire jusqu’aux insectes (1).
On estime que de nos jours 600 millions de chats, Felis catus, courent de par le monde, et 80% d’entre eux sont revenus à l’état semi sauvage. Les dégâts que provoquent sur les faunes sauvages terrestres ces petits prédateurs mettent en péril toutes les populations animales, en particulier dans les pays comme l’Australie qui avant leur introduction par les européens n’avaient pas abrité de carnivores d’une telle voracité, ou dans ces onze îles du Japon qui comptent largement plus de chats que d’humains.

Comité d’accueil sur l’île Aoshima. Cliché Reuters/Thomas Peter Pour ravissants, doux et plaisants qu’ils paraissent, les chats sont des prédateurs redoutables et qui semblent insatiables : tout bien considéré, leurs victimes chaque année se comptent en dizaines de millards !
Dans des chroniques précédentes j’ai eu l’occasion de disserter sur leurs méfaits et les méthodes pour tenter de les modérer (2,3). Mais j’évoquais alors des subterfuges très « urbains », surtout qui impliquent que les hôtes bipèdes de nos chers petits félins restent vigilants au quotidien et contrôlent leurs allées et venues, gageure inaccessible.
Dans certaines cités, les autorités proposent la stérilisation massive et systématique de ces animaux par des moyens chirurgicaux. Mais bien de leurs compagnons humains y répugnent tant l’on ne peut nier le rôle social de ces petits animaux dans nos sociétés : que ce soit auprès des personnes âgés, des adultes ou des plus jeunes, le lien social qu’ils entretiennent par leur attitude et leur comportement font qu’ils sont partie intégrante des familles. Et on les invite même en milieu hospitalier pour tenir compagnie aux malades. Aussi est-il difficile d’exiger de leurs hôtes humains qu’ils envisagent des thérapies castratrices visant certes à réguler les naissances, mais dont la conséquence directe et visible est de priver les animaux des joies de la vie et de l’amour, mettent fin souvent à leurs joyeuses gambades et sonores sorties nocturnes.
Il n’empêche que le problème de leur pullulation demeure.
Pour contrôler la prolifération d’espèces sauvages, plusieurs types de vaccins ont déjà été testés avec succès au même titre que d’autres méthodes non-chirurgicales comme celles qui utilisent les analogues des stéroïdes sexuels qui jouent un rôle barrière dans l’émission de l’hormone de la gonadotrophine (GnRH). Au fur et à mesure des recherches, il n’a cependant pas été prouvé que ces injections avaient un effet à long terme et pouvaient palier aux méthodes chirurgicales. Mais les progrès récents réalisés pour les humains dans l’usage d’une autre technique liée à la thérapie génique ont changé la donne : une injection unique d’hormone trans-gène à la base de la queue permet de stériliser à vie les chattes.
Cette aventure scientifique a débuté par la découverte d’un contraceptif efficace chez les mammifères dans le laboratoire de David Pépin situé à Harvard près de Boston (Massachusetts). En étudiant l’hormone de croissance de la couche de cellules qui entourent un ovule de mammifère et pour en savoir plus sur la fonction de l’hormone, l’équipe de recherche a injecté en excès à des souris femelles le gène qui la produit. A leur grande surprise ils ont constaté chez les animaux testés que ces injections les rendaient stériles. Ils en ont conclu qu’ils avaient là découvert à cette occasion un outil qui pouvait s’appliquer pour stériliser d’autres mammifères, en particulier les chats et les chiens. Et ils ont entrepris de collaborer en particulier avec le zoo de Cincinnati qui héberge aussi bien des grands félins, tigres et lions, que des chats de tout type, en particulier une colonie de 45 chats domestiques.
C’est bien sûr avec des chattes que l’expérimentation s’est poursuivie, neuf au total. Six reçurent une dose d’hormone génique couplée à un virus bénin alors que trois constituaient le groupe de contrôle.
Il a été constaté que le génome des chattes n’était pas modifié. Mais l’action du gène injecté a inhibé le développement des follicules de l’ovaire, et de cette façon les six chattes ont été stérilisées alors que les trois du groupe de contrôle ont mis bas des portées.
Dans la suite de l’expérimentation, des prélèvements réguliers dans l’urine et les crottes des chattes ont permis de suivre le niveau de concentration de l’hormone et on a pu constater qu’il restait élevé plus de deux ans après la première injection.
Pour autant il ne faut pas se réjouir trop vite : ces études sont préliminaires et avant qu’un produit fiable soit disponible chez les vétérinaires, il se passera du temps, un ou deux ans au moins.
- Vansandt, L.M., Meinsohn, MC., Godin, P. et al. Durable contraception in the female domestic cat using viral-vectored delivery of a feline anti-Müllerian hormone transgene. Nat Commun 14, 3140 (2023). https://doi.org/10.1038/s41467-023-38721-0
2) https://histoires-de-mammiferes.blog/2021/03/01/pour-nos-chats-carnem-et-circenses/
3) https://histoires-de-mammiferes.blog/2014/09/29/trop-de-chats-en-suisse/
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La princesse qui riait jaune

Le sourire enjôleur d’Anne d’Alègre princesse de Laval (1565-1619) portraituré par François Quesnel en 1595 n’ est-il qu’une façade ? C’est probable : sa sépulture révèle que sa vie durant la princesse a souffert de maux dentaires sévères, plus ou moins palliés par une prothèse originale maintenue par des fils d’or et complétée d’une fausse dent taillée dans de l’ivoire d’éléphant (1).

Portrait d’Anne d’Alègre par F. Quesnel et sa denture. D’après réf. 1. L’adage « il faut avant tout paraître pour être » ne date pas d’hier. Il a suscité et suscite toujours misère et douleur chez ses adeptes, mais fait la fortune de leurs coiffeurs, maquilleurs, esthéticiens de toutes disciplines y compris les plus dolentes, en particulier les chirurgiens-dentistes, autrefois barbiers et arracheurs de dents dont il va être question. Et l’on n’échappe pas à la règle si l’on vit au XVI ième siècle dans une France gangrenée par les luttes religieuses comme ce fut le cas de notre héroïne.
Anne de Tourzel d’Alègre était la fille de Christophe d’Alègre, seigneur de Saint-Just et de Antoinette du Pratt . Elle fut élevée dans le protestantisme naissant sous l’égide de sa mère. Pour autant sa vie durant, elle sera ballotée entre ses convictions huguenotes parfois contestées par les calvinistes bretons, et les parties catholiques tout aussi sectaires qui la contraindront à pactiser avec les familles et grands noms d’alors, et pour cette raison eut à souffrir de multiples vexations, jusqu’à mettre en péril son statut et bien sûr être privée et de ses biens et ses droits.
Comme aujourd’hui en ce temps là, bonne mine et bonne apparence étaient une assurance pour faire front afin de maintenir son rang et ses revenus. La chirurgie esthétique, et en particulier l’orthodontie et les implants dentaires contribuent de nos jours à figer dans des pauses attractives les sourires de nos actrices et acteurs favoris et autre héros de la vie moderne. Anne d’Alègre a du assumer son rôle pour maintenir son rang : sourire et être belle en faisant appel aux meilleurs barbiers de son temps.
Les archéologues qui ont pu étudier ses restes ont dévoilé en même temps que ses probables souffrances les techniques d’odontologie qui lui ont permis de faire bonne figure.
Des fils d’or sont le réseau qui maintient sa denture, et afin de masquer la perte d’une dent les barbiers d’alors qui pratiquaient dit-on tambour battant pour assourdir les plaintes de leurs patients, ont glissé une prothèse animale, en l’occurrence un morceau d’ivoire de dent d’éléphant en guise d’incisive. Cette technique est dit-on venue d’Italie à la Renaissance. Cependant Ambroise Paré (1510-1590) en fait état dans ses oeuvres dès 1561 et prodigue ses conseils (2). Mais il est vrai que les prothèses qu’il suggère sont moins faites pour épanouir le sourire des princesses que réparer les mâchoires fracassées par les coups d’arquebuses. Chacun sa clientèle !
Une vue rapprochée de la denture réparée de la Princesse permet de mesurer les souffrances qu’elle dut endurer chez son barbier prothésiste : le percement de près d’une dizaine de trous minuscules dans les prémolaires et incisives de la Princesse ont du être une longue et rude épreuve. Et au quotidien, il est probable que chaque repas était un calvaire.

Depuis les techniques de dentisterie ont fait bien des progrès. Mais les patients souffrent-ils moins ?
- Rozenn Colleter et al. 2023. Dental care of Anne d’Alègre (1565–1619, Laval, France). Between therapeutic reason and aesthetic evidence, the place of the social and the medical in the care in modern period, Journal of Archaeological Science: Reports, 2023, https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S2352409X22004576
- Julien Philippe, 2014. La chirurgie dentaire d’Ambroise Paré.. Actes. Société française d’histoire de l’art dentaire, 2014, 19 Disponible en ligne sur http://www.biusante.parisdescartes.fr/sfhad1277-7447 – © 2015 Société française d’histoire de l’art dentaire.
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Les deux visages du partenariat gorille-chimpanzé.

Un bénéfice et un coût, comme tout solde que génère une collaboration. Telle est la conclusion d’une étude menée durant deux décennies dans une zone protégée du Congo où cohabitent des tribus de gorilles et de chimpanzés. Les interactions entre espèces sont multiples et se concluent de différentes façons, depuis la collaboration et la prévention à l’endroit des prédateurs jusqu’à des agressions mortelles, des contaminations virales ou bactériennes préjudiciables aux uns comme aux autres, et aussi le partition équilibrée des richesses végétales sources de leur alimentation (1).

Perchés sur un arbre à pain (Treculia africana) des groupes de gorilles et de chimpanzés se nourrissent de ses graines. D’après réf. 1. Depuis une vingtaine d’années, des éthologues observent et documentent dans la forêt congolaise les relations qu’entretiennent les groupes de gorilles (Gorilla gorilla et Gorilla beringei) et ceux de chimpanzés (Pan troglodytes) qui y cohabitent. Tous exploitent les mêmes productions végétales des lieux, feuilles, fleurs, fruits, racines et rhizomes. Disant cela, lorsque les uns et les autres font une heureuse découverte, c’est bientôt tout le peuple des grands singes qui en est informé. D’où des rencontres, des disputes mais aussi du partage d’information sur les ressources alimentaires et jusqu’à des échanges.
Les uns comme les autres, en particulier les jeunes, peuvent être les victimes des mêmes prédateurs, panthères et serpents, ou sujets à des maladies bactériennes ou virales récurrentes.
Cette proximité et ces échanges sont-ils favorables ou à l’inverse néfastes aux uns et aux autres ?
Quels types de relations entretiennent ces trois espèces et collaborent-elles ? Peut-on à leur propos parler de véritables communautés d’espèces ?

Répartition des gorilles et chimpanzés au Congo. D’après réf. 1 Dans un premier temps il a été envisagé que ces associations de grands singes étaient destinées en premier lieu à mieux se prévenir des prédateurs, léopards, panthères et serpents. Il apparait aujourd’hui que ce type de coopération est sans doute plus lié à la recherche de nourriture. On s’est aperçu en effet que dans 34% des cas c’était autour d’un arbre nourricier que se faisaient les rencontres gorilles-chimpanzés; et aussi que dans 18% des cas c’était au hasard de la recherche de nourriture dans un même espace que les espèces avaient l’occasion de se croiser.
Les trois grands singes dans leur quête de nourriture ciblent plus de 20 espèces végétales dont ils partagent les ressources. Ce qui leur donne l’occasion de poursuivre des collaborations durant plusieurs années. C’est ainsi que les chercheurs ont pu constater qu’à plusieurs reprises, près des arbres fruitiers, de jeunes gorilles et de jeunes chimpanzés recherchaient des partenaires particuliers, des « amis » déjà croisés pour s’engager dans des séances de jeu. Ces types d’interactions révèlent que les relations sociales qui s’instaurent à l’occasion de rencontres éphémères peuvent devenir des amitiés pérennes. De là on peut conclure que la transmission de savoirs entre ces espèces devient bénéfique et participe d’une culture commune qui rend plus efficaces la recherche à plusieurs de ressources alimentaires.
Le revers de la médaille est la contamination bactérienne et virale qui peut se produire lors des rencontres. La proximité phylogénétique entre les espèces concernées augmente le risque. Ainsi par exemple, la propagation du virus Ebola a été favorisée par ces moeurs de sociabilité entretenues entre gorilles et chimpanzés qui a favorisé la la propagation de ce mal. On estime qu’au moins 1/3 des grands singes qui ont été infectés l’ont été du simple fait de leur « coopération ».
Ces constats nous éclairent sur les risques de propagation des maladies répertoriées aussi bien chez les singes que chez les humains, types de transmission largement sous-estimée jusque là.
Par ailleurs et surtout ces observations viennent en contradiction avec une croyance largement répandue en paléo-anthropologie qui soutenait jusqu’ici que dans le cours de l’histoire et de leur évolution, les différentes espèces d’hominidés n’avaient pas cohabité et à l’inverse s’étaient exclues « naturellement » d’un même espace pour éviter toute compétition. D’évidence il est plus que probable que dans le passé, plusieurs espèces ont pu cohabiter, collaborer et même interagir comme aujourd’hui on peut le constater dans la forêt congolaise, et pas seulement pour se défendre collectivement des prédateurs !
(1) Crickette M. Sanz et al. . 2022. Interspecific interactions between sympatric apes. Science 25, 105059, http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/
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Chats en boites

Tout hôte d’un chat connait la propension de son compagnon pour les boites. Quelle que soit la taille et la destination première, contenant d’objets alimentaires ou domestiques avec une préférence pour les boites à chaussures, à peine la caisse de carton est-elle libérée que la voici occupée par le Maitre des lieux. Car ne l’oublions pas, nul n’est propriétaire d’un chat. Tout juste son compagnon, souvent son obligé. Et notre belle langue française le sait bien qui accorde un statut janusien à ce mot : l’hôte comme le chat reçoit ou est reçu, au gré de son humeur et du temps. Tiens un autre mot qui a plusieurs visages…
Mais pourquoi donc les chats aiment-ils se mettre en boite ?
Confinement aidant, un groupe de chercheurs canadiens nous éclairent sur ce goût prononcé du carré et de la boite que manifestent ces petits félins (1).

Coucou, le livreur est passé. Photo : https://www.monchat.ca/ Les auteurs de cette étude ont obtenu la collaboration de centaines de confinés n’ayant alors pour principale occupation que d’observer et filmer dans leur logis les va-et-vient de leurs chats, puis de communiquer ces errements par twitter. Pour assurer la neutralité de l’expérience, le protocole exige en premier que les observateurs-cinéastes chaussent des lunettes noires afin de ne pas influencer du regard les animaux. Par ailleurs; au sol, en différents endroits du logis, seront dessinés des contours illusoires du type carrés de Kanizsa.
Né à Trieste, Gaetano Kanizsa (1913-1998), théoricien de la psychologie, a eu l’idée pour étudier les processus psychologiques de perception de l’espace d’une série de tests dits triangles ou carrés de Kanizsa qui depuis sont devenus des outils classiques. Comme illustré plus bas, confrontés à ces images, nous voyons un triangle ou un carré blanc, mais c’est une illusion car ni l’un ni l’autre n’existe…et pourtant cette vision subjective fait fonction de repère. .

Triangle et carré de Kanizsa. Dans le cas de la série d’expériences compilées par les chercheurs à partir des vidéos de leurs correspondants, c’est les choix des chats pour faire une pose dans leurs pérégrinations à travers le logis qui ont été notés. : choisissent-ils préférentiellement de siéger dans les carrés de Kanizsa ? Sont-ils sensibles à cette illusion ?
Au total si 500 chats et leurs compagnons bipèdes débutèrent l’expérience, seulement 30 couples de ces Mammifères poursuivirent l’expérience de façon soutenue pendant 6 jours. On ne sait lesquels des deux furent les plus inconstants ! Malgré ce faible échantillon et alors que seulement 9 chats ont régulièrement choisi de faire une pose au moins 8 fois dans le carré de Kanizsa, les promoteurs de l’étude concluent que de leur point de vue les chats sont sensibles comme les humains à cette illusion. Ils ajoutent que c’est la première fois que l’on expérimente nos compagnons dans leur environnement familier et sans aucune contrainte, tout à fait l’inverse des conditions d’observation en laboratoire ou l’on ne peut nier que les chats sont d’une façon ou d’une autre stressés.

Chat posant dans un carré de Kanizsa. Photo Grabriella Smi Il s’avère donc que les chats sont sensibles au carré de Kanizsa dans un environnement en 2D.
La prochaine étape sera sans doute une expérimentation dans un environnement en 3D. Mais déjà une association d’amis des félins en captivité a offert une petite idée du résultat dans une vidéo. Dans cette compilation où des emballages de différentes tailles ont été confiés en plusieurs lieux à des félins de moyenne et grande taille, on peut constater que tous, lions, tigres, panthères et autres, reçoivent ces cadeaux avec joie et même enthousiasme. Ils se plaisent à se dissimuler dans ces fragiles refuges, à en jouer et un peu les déchiqueter…mais c’est dans leur nature ! Prudemment aucun de ces « gardiens de zoo » si bien intentionnés ne s’est aventuré jusqu’à partager leurs jeux. Et la musique sautillante qui accompagne leurs ébats dans cette vidéo est bien sûr un fond sonore d’appoint.
youtube.com/watch?v=J11uu8L8FTY
(1) G. E. Smith, P. A. Chouinard, S. Byosiere 2021. If It fits I sits: A citizen science investigation into illusory contour susceptibility in domestic cats (Felis silvestris catus). Applied Animal Behaviour Science. Volume 240, July 2021, 105338 https://doi.org/10.1016/j.applanim.2021.105338
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Le tire-bouchon du diable exorcisé

Les spirales verticales et compactes découvertes dans les sables du Miocène des Badlands en Amérique du Nord à la fin du 19ème siècle ont longtemps interloqué. Qui et comment avaient été forgées ces structures hélicoïdales de plusieurs mètres ? Des végétaux et leurs racines comme le pensait leur découvreur ? Ou quels animaux et dans quel dessein ? La question est restée en suspens presqu’un siècle, jusqu’à ce que l’on mit au jour les restes osseux de cet artisan du passé figé dans la mort au fond de l’un de ces terriers : un castor géant mort piégé dans son antre estivale.
La conquête de l’Ouest fut et reste pour les amateurs de fossiles un épisode qui vit s’épanouir bien des talents. Parmi eux, Erwin Hinckley Barbour (1857-1947) professeur de géologie à Lincoln, Nebraska, arpenta les Badlands du centre des Etats-Unis sa vie durant et récolta des quantités considérables de Mammifères fossiles oligocènes et miocènes devenus fleurons des collections de l’Université d’Etat du Nebraska à Lincoln City où il enseignait. Mais c’est surtout un fossile énigmatique qu’il a révélé qui l’a rendu célèbre : le « tire-bouchon du diable » qu’il nomma Daemonelix de son synonyme latin dérivé du grec lorsqu’il signala ces phénomènes sédimentaires observés dans les dépôts du Miocène, 20 à 23 ma, dans toute une série de publications à compter de 1891 (1).
Dans ses recherches sur le terrain il fut guidé par les rangers et fermiers de ces régions désolées qui depuis leur installation les dénommaient torsades, tire-bouchons, et aussi bien sûr tire-bouchons du diable. C’est l’un de ses assistants qui a pris la pose pour l’objectif de l’équipe de E.H. Barbour, cliché qui fait partie des archives de l’Université du Nebraska.

Terrier de Daemonelix, Agate fossil beds, Harrison Formation. Archives Université du Nebraska. Auteur James St. John, vers 1890. Qui était ce fringant jeune homme aux allures de ranger ? C’est Carla, une stagiaire rétribuée par cette même université qui a mené l’enquête pour identifier le compagnon de Barbour (4). Son coeur balance entre deux personnages dénommés Frederick C. Kenyon, l’un Britannique spécialiste de langues anciennes et épisodique prédicateur alors âgé de 23 ans, ou l’un de ses cousins natif de l’Illinois devenu neuro-anatomiste qui fit carrière au début du 20ème siècle.
Qu’importe l’identité de ce vrai-faux ranger. Notons surtout que les formations du Miocène des Badlands du centre des Etats Unis que l’un ou l’autre explora en compagnie de leur mentor sont faites de couches de sables de plusieurs dizaines de mètres de puissance. Les torsades en question apparaissent dans leurs découpes provoquées par l’érosion et forment des spirales d’argile indurée. Leur taille est variable, d’un à plusieurs mètres ; elles sont souvent associées à un réseau de tunnels de même diamètre plus ou moins horizontaux, ainsi qu’à d’autres portions de « rhizomes » indurés suivant l’auteur. Car dans ses différentes publications, en conclusion de tous ses travaux, E. H. Barbour ne doutait pas de l’origine végétale de ces différentes concrétions. Pour lui, des racines et rhizomes de végétaux les avaient creusées dans les sous-sols sableux et avaient développé des réseaux de différents types et forme. Une fois le végétal dissous, ces cavités avaient été comblées par une argile qui en avait épousé la forme.
Cette hypothèse ne trouva pas, loin de là, l’agrément de ses collègues d’alors, et aussi de bien de ses successeurs, en particulier l’un d’eux C.B. Schultz qui en 1942 publia une revue critique sur ce qu’il dénomma « le problème Daemonelix » (2). Pour cet auteur, il ne faisait guère de doute : les « tire-bouchons du diable » étaient des terriers fossilisés qu’avaient creusé de gros rongeurs, et pourquoi pas des castors fossiles, les Palaeocastor d’alors que plusieurs paléontologues avaient signalé dans ces mêmes couches. Ces rongeurs du Miocène étaient deux fois plus gros que les castors actuels, et pesaient entre 50 à 60 kg. Ils étaient pourvus de puissantes incisives et de membres massifs, donc fort capables de creuser des terriers profonds et vastes.
Pourtant, longtemps cette hypothèse « animale » ne trouva guère d’audience. Jusqu’au jour où le gout de la polémique et la pugnacité s’invitèrent dans ce débat pluri-décennal : Larry Martin le nouveau directeur du Musée de Lincoln, Nebraska et son assistante Debra Bennett s’investirent totalement sur ce thème de recherche et multiplièrent les observations de terrain ainsi que les publications sur le sujet (3). On savait depuis peu que les accumulations de sable de la Harrison Formation où l’on trouvait des Daemonelix étaient le résultat de l’activité éolienne en période de saison sèche. : des tornades sableuses avaient construit ces systèmes de dunes. Par des observations minutieuses, les deux paléontologues ont pu constater que les rainures observées dans les parois des tire-bouchons correspondaient exactement aux diamètres des incisives aplaties de Palaeocastor : il ne faisait donc pas de doute que ses animaux pour se protéger en saison chaude des intempéries estivales venteuses et torrides, et y élever à l’abri leurs familles, creusaient ces cavités spiralées. Certains étaient gauchers, et l’hélice était lévogyre, d’autres droitiers, et le résultat était un terrier dextrogyre ! En adoptant une architecture spiralée, l’effet thermo protecteur se trouve évidement renforcé. De plus, à la base; faisant un angle d’environ 30°, l’animal aménageait une chambre de repos d’environ un mètre de longueur. Clou de la démonstration, en poursuivant les recherches, on a découvert en différents lieux des squelettes de Palaeocastor piégés au fond de leur terrier ainsi que l’illustre cette reconstitution présente dans le Musée National de la Smithsonian Institution à Washington DC.

Reconstitution du Palaeocastor (Nobu Tamura), Crâne du même et reconstitution du terrier au National Museum of Natural History (Washington DC) Au fur et à mesure des découvertes, on s’est aussi aperçu que les terriers de Daemonelix étaient répartis non pas au hasard, mais constituaient des colonies, presque des « villages » qui laissent supposer qu’une certaine vie sociale unissait différentes familles. De plus, on a pu constater que ces terriers creusés par les Palaeocastor pouvaient avoir été occupés par d’occasionnels locataires, qu’ils soient des Castoridés d’une autre espèce que le Palaeocastor fossor architecte initial, d’autres rongeurs tels le Cricétidé Gregorimys fouisseur à bajoues, voire un carnivore Zodioleste, qui lui cherchait sans doute à inscrire à son menu du castor et ne conclut jamais son repas… Tous souhaitaient trouver une proie ou un refuge pour se mettre à l’abri des torrides tempêtes de sable qui balayaient alors la région, qui aujourd’hui encore subi de redoutable épisodes venteux.
A l’issue de ces travaux, on pourrait croire qu’il ne reste rien des conclusions de E. H. Barbour qui il faut le rappeler avait trouver des restes de tissus végétaux dans les torsades, ce qui appuyait son hypothèse végétale. Il n’en n’est rien : il ressort que ces cavités furent colonisées de tout temps par des végétaux qui profitaient grâce à l’humidité qui y régnait ; et les plantes à la recherche d’eau ont rapidement poussé leurs racines dans les parois des terriers humidifiées de telle sorte que les Palaeocastor devaient de temps en temps les brouter pour maintenir libre l’accès à leur refuge. Dans la région les cendres volcaniques constituaient un élément éolien de première importance pour la formation des dunes, et elles ont alimenté en silice les eaux de ruissellement tapissant les structures spiralées. Cette silice absorbée par les racines a consolidé et fini par fossiliser leurs parois.
Pour autant, jusqu’à son dernier souffle, E.H. Barbour refusa de croire que ses tire-bouchons du diable avaient été creusés par des animaux !
- E.H. Barbour, 1897. Nature, structure, and phylogeny of Daemonelix. Bull. Geol. Soc. America, 8 : 305-314.
- CB. Schultz. 1942. A review of the Daemonelix problem. Papers from the University Studies series (The University of Nebraska). 95.
https://digitalcommons.unl.edu/univstudiespapers/95 - Martin, Larry D.; Bennett, Debra K. (October 1977). « The burrows of the miocene beaver palaeocastor, Western Nebraska, U.S.A ». Palaeogeography, Palaeoclimatology, Palaeoecology. 22 (3): 173–193. doi:10.1016/0031-0182(77)90027-x
(4) http://www.greetingsfromthepast.com/2019/01/daemonelix-devils-corkscrews/
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A l’âge du Bronze, les premiers cavaliers

« Le cheval : la plus noble conquête que l’homme ait jamais faite » écrivait Buffon voici trois siècle. Aujourd’hui des archéologues nous apprennent que dès l’âge du Bronze, les migrants venus des steppes des régions Pontiques et de Caspienne pour s’établir en Europe Centrale ont enfourché cette monture pour gagner vers l’Occident des terres plus hospitalières à leur destinée (1).
Ces peuples ont pour nom les Yamnaya. Ce furent longtemps des bergers nomades qui vivaient voici plus de 5000 ans BP entre Mer Noire et Caspienne. Pour des causes inconnues, ils se sont élancés à l’aube de l’âge du Bronze accompagnés de leurs troupeaux d’une part vers l’Ouest pour s’établir en Europe Centrale, et d’autre part vers l’Est où d’autres feront souche en Mongolie et Sibérie. Ils diffuseront dans toutes ces contrées leurs techniques, leurs moeurs, leurs religions et leurs langues.
Il a été montré que c’est le lait de leurs vaches, brebis, chèvres et juments qui fut la base alimentaire qui leur permit de soutenir et mener à bien leur entreprise migratoire comme je l’ai rapporté précédemment https://histoires-de-mammiferes.blog/2021/10/07/le-lait-carburant-cardinal-des-migrants-de-lage-du-bronze/
Pour se déplacer d’un campement l’autre, ils véhiculaient familles et vivres dans des chariots tractés par leur bétail.
Aujourd’hui de nouveaux travaux apportent sur ces peuples des informations complémentaires, en particulier sur leur savoir-faire de cavaliers : il apparait qu’ils furent les premiers pour se déplacer à enfourcher leurs chevaux domestiqués dans un premier temps pour se nourrir de leur lait un ou deux millénaires auparavant (1).

Carte de la répartition des Yamnaya et des Afanasievo. Gisements archéologiques avec restes de cavaliers (points noirs) et sépultures d’autres époques (points jaunes). Une des tombes du tumulus de Strejnicu, Roumanie. Crédit A. Frîculeasaa. D’après réf. 1. L’utilisation du cheval pour se déplacer est un tournant dans l’histoire de l’humanité. Le rayon d’action augmenté et la vitesse de déplacement sont de nouveaux atouts, que ce soit pour le gardiennage des troupeaux et le marquage du territoire, les échanges de biens, et à l’occasion affronter et guerroyer avec des ennemis
Dans l’exercice de l’équitation, il y a deux partenaires : la monture et son cavalier. Et on en trouvera les traces sur leurs squelettes. Mais les restes humains sont plus fréquents et mieux conservés, la pratique de l’inhumation plus ou moins rituelle dans des tumulus fournissent aux archéologues des restes osseux en nombre pour étayer leurs hypothèses. Il s’avère que ce sont des tertres du centre de l’Europe attribuables aux migrants Yamnaya de l’âge du Bronze qui viennent d’apporter la démonstration que peu après avoir domestiqué Equus caballus, le cheval, d’abord pour s’en nourrir (2), ces peuples l’ont chevauché pour se déplacer.
C’est pas moins de 217 squelettes découverts dans 39 sépultures qui ont été étudiés, et une carte de ces sites archéologiques figure ci-dessous.

Répartition des 217 individus provenant de 39 gisements étudiés. Carte des cimetières Yammaya fouillés en Roumanie, Bulgarie et Serbie D’après réf. 1. Les tombes sont visibles dans le paysage : ce sont des tumulus qui recouvrent en général plusieurs sépultures. L’image suivante montre l’un d’eux où ont été découverts les restes de deux cavaliers.

Tombe de cavalier découverte à Malomorivo, Bulgarie.Cliché Michael Podsiado. Comment les archéologues en sont-ils venus à la conclure qu’ils étaient en présence de restes de cavaliers ?
La pratique de l’équitation entraine des déformations osseuses de différents types qui sont autant d’indices qui permettent de conclure à cette pratique. On peut citer :
– Les modifications des marques d’insertion des muscles sur le bassin et le fémur;
- L’ovalisation des cavités de la hanche normalement rondes;
- Les marques dues à la pression du rebord de l’acétabulum sur le col du fémur ;
- Le diamètre et la forme du fémur.
- Des dégénérescences vertébrales causées par les chocs verticaux répétés ;
- Des cicatrices traces de traumatismes typiquement causés par des chutes, des coups de pied ou des morsures de chevaux.
La figure suivante montre ce type de marques significatives sur les restes osseux d’un de ces cavaliers de l’âge du Bronze provenant du site de Strejnicu en Roumanie.

Restes osseux de l’individu de Strejnicu avec indiquées les marques d’adaptation à l’équitation (traumas et dégénérescences) D’après réf. 1 Pour être convaincus qu’ils avaient affaire ou non à des cavaliers, il faut souligner que les chercheurs ne ce sont pas contentés d’un seul de ces critères relevé sur un squelette, mais c’est la combinaison de plusieurs qui les a conduits à conclure que le défunt avait pratiqué de façon intensive l’équitation.
Au total 217 individus provenant de 39 sites ont été étudiés dont environ 150 peuvent être considérés comme appartenant aux Yamnaya. Deux tiers d’entre eux sont des hommes et un tiers des femmes alors que près de 30% représentent des adolescents.
Se fondant sur l’indice cumulé évoqué plus haut, il est certain qu’au moins 24 d’entre eux étaient des cavaliers aguerris, tous Yamnaya.
Il est peu probable qu’il s’agisse de combattants : les squelettes ne montrent que rarement des marques d’agression, aussi les chercheurs estiment que que ces cavaliers étaient pour la plupart des bergers montés.
Les Yamnaya ne tardèrent pas à être imités comme le suggèrent les bas-reliefs et autres graphismes de l’Age du Bronze de différentes régions et cultures du Moyen-Orient et d’Afrique. Cependant, toutes ces représentations sont plus tardives que les témoignages fossiles qui nous viennent d’Europe Centrale estimés à 3000 ans avant JC et qui font des Yamnaya des pionniers dans le domaine de l’équitation.

Témoignages de la pratique de l’équitation à l’âge du Bronze dans des bas-reliefs et graphismes. A-C : Mésopotamie: D-F : Egypte; G-I : Grèce et Chypre. D’après réf.1. - Martin Trautmann et al. . First bioanthropological evidence for Yamnaya horsemanship. Science Advances, 2023; 9 (9) DOI: 10.1126/sciadv.ade2451
- La domestication du cheval, ce qui signifie le contrôle et la maitrise de sa reproduction, est estimé être réalisée entre 4000 à 3500 ans BC d’après les travaux conjugués des archéologues et généticiens.