Les peuples de la côte ouest du Canada, l’actuelle Colombie Britannique, ont élevé pendant des millénaires une race de chiens à fourrure laineuse blanche qu’ils filaient puis tissaient pour confectionner des couvertures et tapis rituels. Cette tradition s’est interrompue à la fin du XIXème siècle. Heureusement des témoignages oraux de cet artisanat et aussi des photos d’époque et figurations picturales, pièces textiles et même la fourrure d’un de ces animaux permettent de reconstituer en détails cette coutume qui remet en scène les femmes d’alors qui de bout en bout l’ont perpétuée (1, 2). 

Etiqueté « Mutton », cette fourrure d’un chien laineux est dans les collections de la Smithsonian Institution depuis 1859. Photo de cette fondation. 

Le premier explorateur qui a documenté cette tradition d’élevage et de tissage de la fourrure d’un chien domestique est sans conteste le Capitaine George Vancouver qui de 1791 à 1795 eut en charge d’explorer et cartographier les côtes du Pacifique Nord de l’Amérique, aujourd’hui Colombie Britannique, province du Canada. Quelques années plus tard, le peintre canadien  Paul Kane (1810-1871) a brossé une toile où figurent des tisserandes de cette région oeuvrant sur leur métier pour confectionner un tapis de laine.  L’atelier est abrité sous une tente et dans le voisinage figure un petit chien blanc fraichement tondu qui leur a fourni leur matériau de base, du moins une partie. 

Tableau de moeurs de P. Kane réalisé en 1840 lors de sa visite sur les îles proches de Vancouver.

En ce temps là, ces femmes canotaient chaque jour depuis leurs campements sur le continent pour rejoindre les îles proches très rocailleuses où séjournaient les élevages de chiens laineux afin de les nourrir. Des femelles constituaient l’essentiel des meutes qui y étaient parquées, et elles leur apportaient du poisson, de la viande et des os de mammifères marins comme l’ont montré les fouilles effectués sur place où abondent les restes osseux. A cette occasion on devait aussi peigner, brosser  et cajoler les animaux. Deux fois par an ils étaient tondus et après dégraissage  par brossage de la laine brute avec de la diatomite (3), cette laine était filée en association avec d’autres textiles animaux et végétaux, principalement du poil de chèvre des montagnes (Oreamnos americanus). Avant d’entamer le processus de tissage,  une partie du fil était teint en rouge avec de l’écorce d’aulne,  une autre en jaune clair avec du lichen et des fils bleus et noirs étaient obtenus à l’aide de minéraux ou des myrtilles. Ensuite venait le temps du tissage et les femmes s’installaient devant leurs métiers, produisant des couvertures à motifs de serge de différentes tailles, certaines avec des motifs géométriques élaborés et colorés, d’autres ornées  d’une simple bande.

Ces chiens et leur fourrure étaient une source de richesse pour les villageoises qui veillaient à perpétuer la pureté de cette race qu’elles avaient sélectionnée de longue date, et cette production textile avait à voir avec la célébration de leurs ancêtres et de leur passé. 

Je viens de résumer ici en quelques mots ce qui a été une longue enquête  qui a associé pour ces recherches des archéologues, des zoologistes, des généticiens, des ethnologues, des linguistes et sociologues qui ont collaboré afin de recueillir des témoignages, rassembler des artefact éparpillés dans divers musées et chez des particuliers pour réunir et comprendre et rendre cohérents les éléments de ce qui fut longtemps un passé culturel ignoré voire méprisé.

Les équipes impliquées dans cette aventure scientifique ont entre autres analysé les données exploitables de près de 175 000 restes osseux de mammifères provenant de 210 sites répartis depuis le sud Oregon jusqu’au sud-est de l’Alaska. Dans ces gisements, 173 contenaient des ossements de canidés  (loups, coyotes, renards, chiens) et 54% appartenaient à du chien domestique. Les datations révèlent que ces communautés indigènes ont peuplé ces régions depuis au moins 5000 ans. 

Inutile de préciser que distinguer des os de chien et de loup est difficile. Mais des critères précis autorisent cette discrimination et ont permis de faire ces évaluations chiffrées. 

L’une des plus difficiles questions a été de déterminer quelle race de chien a été choisie et sélectionnée pour être élevée pour sa laine. On sait que le chien a été domestiqué en Amérique du Nord principalement pour la chasse voici 10 000 à 15 000 ans et qu’il accompagnait les premiers colons de ce continent venus d’Asie. On a pu constater dans un premier temps que ces populations côtières possédaient deux types de chien domestique, l’une de grande taille pour la chasse, l’autre plus petite pour la laine. D’ailleurs le Capitaine George Vancouver rapporte dans ses écrits dès 1792 la fréquence de petits chiens blancs dans le voisinage des autochtones.  ll précise : « « Ils sont tous tondus aussi près de la peau que les moutons en Angleterre ; et si compactes sont leurs toisons, que de grandes portions peuvent être levées par un coin sans causer de séparation. »

La race de chien qui fut sélectionnée pour cet usage est probablement proche des chiens de type spitz comme le chien de traineau esquimau, le samoyed  ou le chow-chow dont quelques représentants figurent ci-dessous et qui sont présents dans les régions arctiques., réputés pour leur endurance et résistance au froid et leurs longs poils. 

Chiens de type spitz : samoyed, chien esquimau, shiba inu et de Poméranie, Photos Farlap/Alamy Stock, Barbara von Hoffman/Amamy stock, Olena AFANasova. Alamy stock. 

Par ailleurs il a pu être documenté que ces peuples de la côte non seulement cultivaient des plantes, mais élevaient des saumons dans des piscicultures et s’adonnaient aussi à l’ostréiculture : les outils utilisés pour la tonte étaient d’ailleurs des coquilles d’huitres.  L’élevage des chiens outre leurs activités de chasse et artistiques était l’une de leur principale préoccupation. Les chiens laineux faisaient littéralement parti de leurs communautés : certains étaient enterrés enveloppés d’un linceul de cette laine aux cotés de leurs maitres et maitresses. Par ailleurs les couvertures et tentures  fabriquées en utilisant leur laine faisaient parti de rituels symboliques  pour célébrer les ancêtres. 

Des récits recueillis dans les années 1930 évoquent  des contes qui rapportent que des humains épousaient des chiens  ce qui conféraient aux partenaires des pouvoirs surnaturels. L’héritage des noms et des richesses font aussi partie de cette tradition. Dès lors il n’est pas étonnant que ces moeurs bestiales n’aient fait l’objet d’aucun compte-rendu et même aient été occultées par les « conquérants du Nouveau Monde » imprégnés de puritanisme judéo-chrétien. Ils ont du se pincer le nez et détourner le regard de ces coutumes de « sauvages » lorsque qu’ils furent confrontés à cette réalité !

Heureusement quelques unes des ces couvertures faites de ces laines mélangées de chien laineux et de chèvre ont été collectées et conservées dans les musées pour nous rappeler ce passé culturel riche et sophistiqué. 

Couvertures de laine chien-chèvre de las régions c^tières de Colombie Britannique. Smithsonian Institution. 

A la fin du XIXème siècle avec l’arrivée sur les marchés de produits mnufacturés et l’accès à des logements en dur, cette tradition culturelle s’est étiolée jusqu’à s’éteindre.

  1. Virginia Morell. 2023 The dogs that grew wool and the people who love them. Hakai Magazine. https://hakaimagazine.com/features/the-dogs-that-grew-wool-and-the-people-who-love-them/

(2) Audrey T. Hun et al. 2023 The history of Coast Salish “woolly dogs” revealed by ancient genomics and Indigenous Knowledge. Science. Vol 382, Issue 6676. pp. 1303-1308 DOI: 10.1126/science.adi654

(3) les roches formées de diatomées sont souvent associées à des cendres volcaniques et donc permettent des datations