Il y a 5000 ans, les Yamnaya, bergers nomades qui vivent entre  Mer Noir et  Caspienne, s’élancent                                                                                                                                                                                                                                                                                                                        accompagnés de leurs troupeaux vers l’Ouest, jusqu’à atteindre la  Scandinavie  et vers l’Est où ils font souche en Mongolie et Sibérie. Ils diffuseront dans ces contrées leurs  techniques, leurs moeurs, leurs religions  et leurs langues. Il s’avère que c’est le lait de leurs vaches, brebis, chèvres et juments qui fut la base alimentaire qui leur a permis de soutenir et mener à bien leur entreprise migratoire (1).   

L’histoire des migrations des peuples des steppes de l’Asie a un aspect fascinant pour les sédentaires que nous sommes repliés dans notre péninsule, l’Europe. Les plus récentes et les plus marquantes sont celles qui ont vu déboucher à nos portes les nomades guerriers, les Xiongnu  venus de Chine qui du  3 ième au 5 ième siècle  avant Jésus-Christ envahissent nos territoires, puis plus récemment les Mongols menés par Gengis Khan dont l’activisme sexuel a pu être mis en évidence : en Asie, sa descendance compte plus de 16 millions d’individus (2). Et l’on comprend que ces vagues migratoires aient marqué durablement nos mémoires et notre histoire.

Elles ne sont pas les seules,  comme le montrent plusieurs études de génétique qui tracent nos origines. Celles-ci mettent en évidence des intrusions antérieures à ces époques, en particulier des mouvements migratoires qui remontent à l’âge du Bronze voici plus de 5000 ans. Mais en ces temps ce ne sont pas des guerriers qui se déplacent en masse, ce sont des familles et des tribus entières qui s’expatrient vers de nouveaux horizons. 

 

En ces temps, depuis les steppes de Russie, des masses de migrants, le peuple des Yamnaya,  ont progressé vers l’Ouest jusqu’à atteindre la Scandinavie, et aussi vers l’Est au delà des Monts Altaï jusqu’en Mongolie. Et dans toutes les régions qu’ils envahissent leur influence est grande, et on peut même dire qu’ils changent durablement le cours de leur histoire.  Car ces peuples de bergers ne sont pas seulement accompagnés de leurs troupeaux, ils véhiculent avec eux et propagent de nouvelles techniques, métallurgie du bronze et poterie, leurs chariots ont des roues, sont tractés par des chevaux, ils pratiquent des cultes et ont des us et coutumes qu’ils diffusent, surtout ils parlent des langues appelés à largement se diffuser : bien des linguistes envisagent que les Yamnaya  ont joué un rôle clé dans la propagation des langues indo-européennes.  

Ils marquent leur passage par des tumulus-tombes, et dans ces sépultures le ou la défunte repose sur le flanc en position foetale entouré.e de bijoux, d’offrandes et de poteries.  Par l’analyse des restes dentaires de leurs morts, il vient d’être montré que leur mouvement migratoire a été soutenu par leur mode d’alimentation à base de lait, fromages et yoghourt.                                

Afin de mettre en évidence ce qui longtemps ne fut qu’une hypothèse, les archéologues ont répertorié les analyses réalisées sur les restes dentaires de plusieurs populations qui se sont lancées dans ces aventureux voyages sans retour,  en particulier celles des protéines contenus dans le tartre dentaire ont éclairé sur les  composants majeurs de leur régime alimentaire et de ses modifications  au cours du temps, entre 4600 BP et 3300 BP. 

Fig. 1 Migrations de Yamnaya (D’après techregister.co.uk

 

Ainsi ont-ils pu déceler dans cette succession de populations celles dont l’essentiel de l’alimentation  était « ordinaire », et celles  qui se nourrissaient essentiellement de lait, de fromages  et de yoghourt. Et il se trouve que les peuples qui précèdent l’âge du Bronze à 90% ont une alimentation  diversifiée, essentiellement carnée, sans apport lacté notable. A l’inverse leurs successeurs à 94%  sont des consommateurs de lait et des ses produits dérivés (3). Et ce sont ceux là qui ont massivement migré,  les uns vers l’Occident les autres vers l’Orient le plus extrême.

Fig. 2 Sites où des restes de protéines ont été analysés. a ; premier âge du Bronze ; b et ce : Bronze moyen et terminal. Le nombre d’individus s’inscrit dans les cartouches.

 

Si l’on a  identifié le « carburant » qui a nourri la grande migration des Yamnaya et leur mode de transport, nous ignorons quelles furent les motivations qui ont poussé ces peuples à se déplacer en masse par familles entières vers l’Est et vers l’Ouest voici 5000 ans. Ils n’étaient pas des guerriers assoiffés de conquêtes. Poursuivaient-ils un rêve d’eldorado ?  Une catastrophe naturelle venait-elle de les priver de ressources dans les vallées encaissées où ils vivaient auparavant ? Un chef de guerre ou un religieux omnipotent  les a-t-il guidés ? 

De nos jours bien des peuples du Levant voient l’Occident comme une Terre Promise, un havre de paix et d’abondance à l’image que leurs smartphones  diffusent au point de les faire rêver et les entrainent à risquer leurs vies sur des routes semées d’embûches. 

Peut-on faire un parallèle entre l’aventure des Yamnaya de l’âge du Bronze et celle traversée par les Syriens, les Ethiopiens, les Afghans et tant d’autres qui fuient les guerres que l’Occident leur a déclarées ? 

Peut-on dire que rien n’a changé sous le soleil, et que c’est avant tout  la peur et la faim qui incitent des peuples  à migrer pour gagner des zones plus sécurisés  que celles qui les ont vu naître ?

(1) Shevan Wilkin, Alicia Ventresca Miller, Ricardo Fernandes, Robert Spengler, William T.-T. Taylor, Dorcas R. Brown, David Reich, Douglas J. Kennett, Brendan J. Culleton, Laura Kunz, Claudia Fortes, Aleksandra Kitova, Pavel Kuznetsov, Andrey Epimakhov, Victor F. Zaibert, Alan K. Outram, Egor Kitov, Aleksandr Khokhlov, David Anthony, Nicole Boivin. Dairying enabled Early Bronze Age Yamnaya steppe expansions. Nature, 2021; DOI: 10.1038/s41586-021-03798-4

(2) Tatiana Zerjal et al. 2003.  The Genetic Legacy of the Mongols. Am. J. Hum. Genet.  Vol. 72(3): 717–721.  doi:  10.1086/367774

(3) Rappelons que des poteries  destinées à la décantation du lait caillé pour la fabrication de fromages et yoghourts digestibles sont datées de 7000 BP en Europe Centrale, et que la mutation qui permet aux adultes de digérer le lactose est présente chez plus d’un tiers des peuples de berger nomades dès le début du Néolithique.