« Le cheval : la plus noble conquête que l’homme ait jamais faite » écrivait Buffon voici trois siècle. Aujourd’hui des archéologues nous apprennent que dès l’âge du Bronze, les migrants venus des steppes des régions Pontiques et de Caspienne pour s’établir en Europe Centrale ont enfourché cette monture pour gagner vers l’Occident des terres plus hospitalières à leur destinée (1).
Ces peuples ont pour nom les Yamnaya. Ce furent longtemps des bergers nomades qui vivaient voici plus de 5000 ans BP entre Mer Noire et Caspienne. Pour des causes inconnues, ils se sont élancés à l’aube de l’âge du Bronze accompagnés de leurs troupeaux d’une part vers l’Ouest pour s’établir en Europe Centrale, et d’autre part vers l’Est où d’autres feront souche en Mongolie et Sibérie. Ils diffuseront dans toutes ces contrées leurs techniques, leurs moeurs, leurs religions et leurs langues.
Il a été montré que c’est le lait de leurs vaches, brebis, chèvres et juments qui fut la base alimentaire qui leur permit de soutenir et mener à bien leur entreprise migratoire comme je l’ai rapporté précédemment https://histoires-de-mammiferes.blog/2021/10/07/le-lait-carburant-cardinal-des-migrants-de-lage-du-bronze/
Pour se déplacer d’un campement l’autre, ils véhiculaient familles et vivres dans des chariots tractés par leur bétail.
Aujourd’hui de nouveaux travaux apportent sur ces peuples des informations complémentaires, en particulier sur leur savoir-faire de cavaliers : il apparait qu’ils furent les premiers pour se déplacer à enfourcher leurs chevaux domestiqués dans un premier temps pour se nourrir de leur lait un ou deux millénaires auparavant (1).

L’utilisation du cheval pour se déplacer est un tournant dans l’histoire de l’humanité. Le rayon d’action augmenté et la vitesse de déplacement sont de nouveaux atouts, que ce soit pour le gardiennage des troupeaux et le marquage du territoire, les échanges de biens, et à l’occasion affronter et guerroyer avec des ennemis
Dans l’exercice de l’équitation, il y a deux partenaires : la monture et son cavalier. Et on en trouvera les traces sur leurs squelettes. Mais les restes humains sont plus fréquents et mieux conservés, la pratique de l’inhumation plus ou moins rituelle dans des tumulus fournissent aux archéologues des restes osseux en nombre pour étayer leurs hypothèses. Il s’avère que ce sont des tertres du centre de l’Europe attribuables aux migrants Yamnaya de l’âge du Bronze qui viennent d’apporter la démonstration que peu après avoir domestiqué Equus caballus, le cheval, d’abord pour s’en nourrir (2), ces peuples l’ont chevauché pour se déplacer.
C’est pas moins de 217 squelettes découverts dans 39 sépultures qui ont été étudiés, et une carte de ces sites archéologiques figure ci-dessous.

Les tombes sont visibles dans le paysage : ce sont des tumulus qui recouvrent en général plusieurs sépultures. L’image suivante montre l’un d’eux où ont été découverts les restes de deux cavaliers.

Comment les archéologues en sont-ils venus à la conclure qu’ils étaient en présence de restes de cavaliers ?
La pratique de l’équitation entraine des déformations osseuses de différents types qui sont autant d’indices qui permettent de conclure à cette pratique. On peut citer :
– Les modifications des marques d’insertion des muscles sur le bassin et le fémur;
- L’ovalisation des cavités de la hanche normalement rondes;
- Les marques dues à la pression du rebord de l’acétabulum sur le col du fémur ;
- Le diamètre et la forme du fémur.
- Des dégénérescences vertébrales causées par les chocs verticaux répétés ;
- Des cicatrices traces de traumatismes typiquement causés par des chutes, des coups de pied ou des morsures de chevaux.
La figure suivante montre ce type de marques significatives sur les restes osseux d’un de ces cavaliers de l’âge du Bronze provenant du site de Strejnicu en Roumanie.

Pour être convaincus qu’ils avaient affaire ou non à des cavaliers, il faut souligner que les chercheurs ne ce sont pas contentés d’un seul de ces critères relevé sur un squelette, mais c’est la combinaison de plusieurs qui les a conduits à conclure que le défunt avait pratiqué de façon intensive l’équitation.
Au total 217 individus provenant de 39 sites ont été étudiés dont environ 150 peuvent être considérés comme appartenant aux Yamnaya. Deux tiers d’entre eux sont des hommes et un tiers des femmes alors que près de 30% représentent des adolescents.
Se fondant sur l’indice cumulé évoqué plus haut, il est certain qu’au moins 24 d’entre eux étaient des cavaliers aguerris, tous Yamnaya.
Il est peu probable qu’il s’agisse de combattants : les squelettes ne montrent que rarement des marques d’agression, aussi les chercheurs estiment que que ces cavaliers étaient pour la plupart des bergers montés.
Les Yamnaya ne tardèrent pas à être imités comme le suggèrent les bas-reliefs et autres graphismes de l’Age du Bronze de différentes régions et cultures du Moyen-Orient et d’Afrique. Cependant, toutes ces représentations sont plus tardives que les témoignages fossiles qui nous viennent d’Europe Centrale estimés à 3000 ans avant JC et qui font des Yamnaya des pionniers dans le domaine de l’équitation.

- Martin Trautmann et al. . First bioanthropological evidence for Yamnaya horsemanship. Science Advances, 2023; 9 (9) DOI: 10.1126/sciadv.ade2451
- La domestication du cheval, ce qui signifie le contrôle et la maitrise de sa reproduction, est estimé être réalisée entre 4000 à 3500 ans BC d’après les travaux conjugués des archéologues et généticiens.