Dans les hautes futaies de la forêt malgache, sur la côte orientale  de cette ile continent, il est un petit Primate aux  moeurs nocturnes et regard dérangeant  qui montre une aisance à courir  de branche en branche tel le furet du bois, Mesdames. Jusqu’à inquiéter aussi les Messieurs : il est passé par ici… il repassera par là. Voire  être accusé de mille maux, et à l’occasion pendu haut et court, comme tant d’animaux nocturnes, chouettes, hiboux, chauve-souris et autres par nous autres  frères humains, qui ne le sommes guère et encore moins lorsqu’il s’agit de « créatures » qui nous paraissent peu divines, voire démoniaques, en résumé à notre image. 

Une pendaison parmi d’autres. Photo Wikimedia Commons.

 

Jusqu’en 1957 on croyait l’espèce disparue à jamais lorsqu’elle fut redécouverte. Depuis Daubentonia madagascariensis  bénéficie du statut d’espèce protégée et on  a même accordé séjour dans les années 60 à une dizaine de ses sujets dans un sanctuaire insulaire, Nosy Mangabé, 520 ha au Nord-Est de Madagascar.  Depuis ils y prolifèrent à l’abri des avanies ordinaires. Mais comme d’une part leur reproduction est lente, 170 jours de gestation pour un unique rejeton suivis d’un long élevage, et que d’autre part les femelles ne supportent pas la proximité de concurrentes – leur domaine voisine les 30 ha – cet isolement ne peut pas être considérée comme une garantie à long terme de la survie de l’espèce. 

Daubentonia madagascariensis fut ainsi nommé en 1795 par Geoffroy Saint-Hilaire en hommage à son maitre Louis Jean-Marie Daubenton (1716-1799), et c’est le zoologiste Pierre Sonnerat, premier descripteur de l’espèce en 1782, qui lui avait accordé son nom vernaculaire de aye-aye en légendant ses dessins. Ce terme traduit-il une onomatopée locale alarmiste transposée dans notre langue ? C’est possible mais souvent contesté. Toujours est-il qu’encore aujourd’hui il est considéré comme porte-poisse, et traité comme tel. 

Plus gros Primate nocturne, deux kg, les autres lieux de séjour assez éparpillés de l’aye-aye sont la forêt tropicale malgache de sa côte orientale et les plantations avoisinantes que l’animal fréquente au risque d’en être chassé avec cruauté. Pourtant il  ne recherche en ces lieux que quelques fruits et noix, et surtout des vermines et larves  sous les écorces des arbres morts qu’il dépiaute avec adresse de ses doigts habiles avant de s’en saisir et les déguster grâce à ses incisives à croissance continue semblables à celles des rongeurs. De ces derniers  il possède aussi le panache : une longue queue touffue l’équilibre dans ses courses nocturnes dans les branchages. De nuit, il peut parcourir des kilomètres pour se nourrir. Ll jour il rejoint un de ses nids et y dort seul : mâles et femelles mènent une vie solitaire et ne rencontrent pue pour le rut , tous les trois ans. 

Pour mieux se cramponner, et prendre son élan  l’aye-aye a usé pour ses pieds du même subterfuge que le panda en dédoublant son pouce. Mais c’est sa main et ses doigts déliés qui sont un outil multi usage d’une exceptionnelle efficacité. Bien sûr cette main puissante lui sert  à s’agripper dans ses courses, aussi palper à l’occasion. Mais surtout grâce à ses longs doigts, en particulier le médium et l’annulaire, il peut à l’envi s’adonner à trois types d’activité : 

  • tambouriner les branches pour repérer les cavités vides ou occupées par des larves et les situer par écholocation (la même technique est utilisée par un oiseau, le pic-vert). Aussi à l’occasion, ces percussions signalent sa présence à ses congénères et peut-être leur envoie-t-il  des messages codés.  
  • dépiauter l’écorce et creuser les anfractuosités du bois où se cachent les larves et chrysalides d’insectes dont il se repait. De forts ongles prolongent les doigts.
  • se curer les narines jusqu’au tréfonds des fosses nasales pour y recueillir des mucus qu’il ré-ingère et semble se régaler. 

 

Cette main gauche montre que le doigt médium (3) et l’annulaire (4) sont les plus longs

 

C’est cette dernière activité digitale qui a fait l’objet d’études récentes (1) sans pour autant comme l’avoue Anne-Claire  Fabre de l’Université de Berne, instigatrice de ces travaux, pouvoir expliquer, commenter quels avantages l’aye-aye retire de ses travaux d’exploration nasale. Mais ce n’est que partie remise nous promet-elle en éclairant son étude d’une radio et vidéographie prometteuses.

 

L’aye-aye enfonce son doigt de huit centimètres dans l’une de ses narines. Photo Anne-Claire Fabre/Renaud Boistel

 

http://www.youtube.com/watch?v=zzXNZ_Z_M6M&t=11s

D’évidence notre cousin aussi éloigné qu’insulaire prend plaisir à déguster ses morves. Cet attrait  n’est-il que gustatif à l’image de celui qu’éprouvent nos tout-petits dans leurs berceaux et nous font tant rire ? Ce mucus abrite-il des bactéries, virus ou enzymes qui participent voire sont indispensables à l’assimilation des aliments dont l’aye-aye se gave ?  Pour l’heure ces questions ne sont pas résolues, mais les éthologues sont sur la brèche. Et même si leur peuple reste rare, on peut compter qu’ils nous éclaireront bientôt sur ces moeurs digitales. 

  1. A.-C. Fabre, R. Portela Miguez, C. E. Wall, L. R. Peckre, E. Ehmke, R. Boistel Review of nose picking in primates with new evidence of its occurrence in Daubentonia madagascariensis. Journal of Zoology. October 2022. https://doi.org/10.1111/jzo.13034

PS : sur Smithsonian Channel un film : https://www.smithsonianmag.com/smart-news/this-primates-long-middle-finger-has-a-startling-and-rather-gross-use-180981041/?utm_source=smithsoniandaily&utm_medium=email&utm_campaign=20221031daily-responsive&spMailingID=47578888&spUserID=MTAxNTU1MTA1ODE2MQS2&spJobID=2340002420&spReportId=MjM0MDAwMjQyMAS2