La station debout, avant d’être une marque de  politesse voire une morale, s’impose  très tôt dans le cours de la gestation du jeune embryon qui naîtra Homo sapiens : entre la sixième et la huitième semaine, l’ilium acquiert sa forme définitive et a effectué une rotation qui le place à l’aplomb de l’ischium alors que le bassin où s’appuieront les membres inférieurs se construit, ce qui permettra au nouveau-né d‘acquérir la station debout peu après sa naissance. Cette architecture nouvelle chez un Primate s’édifie grâce à l’action sur les champs de croissance  cartilagineux et osseux de gènes du développement dont l’action régulatrice est  ralentie par rapport à leur mode d’influence plus longue chez les autres Primates proches de l’homme, gorille et chimpanzé (1). 

Les fossiles de pré humains et d’humains suggèrent que la bipédie est une acquisition précocement apparue chez nos ancêtres et dans un laps de temps réduit. Homo erectus d’évidence était bipède il y  a deux millions d’années. Cette innovation majeure a ouvert la voie en cascade à de nombreuses adaptations : pour les membres antérieurs, libérés de toute fonction locomotrice, ils peuvent se spécialiser dans la fabrication d’ outils, en user, inventer, et par voie de conséquences cela va déboucher sur une augmentation de la capacité cérébrale pour gérer ces nouvelles capacités. 

La ceinture pelvienne a une double fonction : la station debout et le passage de la tête du  jeune au moment de la parturition. Pour répondre aux exigences bio mécaniques propres à la bipédie, et peut-être aux effets de l’augmentation de la taille du cerveau sur la parturition, la sélection naturelle a sculpté de façon marquée la morphologie pelvienne de l’homme pour qu’elle fonctionne différemment de celle des chimpanzés et des autres singes. 

Les images suivantes permettent de comparer les bassins de l’Homo sapiens  à ceux du chimpanzé et du gorille. en vue ventrale et latérale. 

Bassin de gorille, chimpanzé et homme (d’après réf. 1)

 

Les spécialistes de la génétique du développement ont pu préciser le calendrier, les moment et le mode d’action de gènes du développement qui sont à la base de cette transformation radicale de l’anatomie de la ceinture pelvienne/ Ils ont pu identifier aussi quels gènes entraient en action durant cette phase précoce de la formation du foetus (1). 

Ils constatent que c’est entre  la sixième et la huitième semaine, que l’iliium  d’Homo sapiens commence à se former, puis  pivote pour prendre sa forme caractéristique de cuvette. Alors même que d’autres cartilages de l’embryon commencent à s’ossifier pour devenir des os, ils observent  que ce stade de cartilage dans le bassin de H. sapiens semble persister pendant plusieurs semaines supplémentaires, par rapport à ce que l’on constate chez le gorille et le chimpanzé, ce qui donne à la structure en développement plus de temps pour se courber et pivoter. Comme le fait remarquer Terence D.  Cappellini promoteur de l’étude : « Ce ne sont pas des os, mais du cartilage qui grandit, s’étend et prend cette forme ». 

 

Formation des cartilages du pelvis entre le 44ème et le 53ème jour de gestation le long des vertèbres chez Homo sapiens (d’après réf. 1.)

 

L’image suivante montre la part tr!ès importante des cartilages lors du développement de l’embryon au  54 ème jour de gestation alors que les points ossifiés sont rares. 

 

Colonne vertébrale, bassin et fémurs de l’embryon de 54 jours . En bleu le cartilage, en rouge l’os. (d’après réf.1).

 

Dans la suite logique de leur projet, la même équipe a extrait l’ARN messager de différentes régions du pelvis des embryons pour voir quels gènes étaient actifs à différents stades du développement. Ils ont ensuite identifié des centaines de gènes humains dans des sections pelviennes spécifiques dont l’activité semblait augmenter ou diminuer au cours du premier trimestre de la gestation. Parmi ceux-ci, 261 gènes se trouvaient dans l’ilium. De nombreux gènes régulés à la baisse sont impliqués dans la transformation du cartilage en os, tandis que d’autres gènes régulés à la hausse maintiennent le cartilage, explique Terence D. Cappellini, et agissent peut-être aussi sur le système cartilagineux pour le maintenir plus longtemps dans cet état. 

Notons que pour mener à bout cette étude, Ce chercheur d’Harvard s’est assuréede la collaboration de 12 chercheurs appartenant à presqu’autant de laboratoires de divers pays. 

En comparant l’activité génétique lors de la formation puis du développement du bassin de la  souris pris comme référence, les chercheurs ont également identifié des milliers d’interrupteurs génétiques qui semblent impliqués dans la formation du bassin humain. Des portions d’ADN au sein de ces interrupteurs semblent avoir évolué rapidement depuis la séparation de notre espèce de notre ancêtre commun avec les chimpanzés. Mais chez les humains modernes, ces éléments de régulation situés dans l’ilium présentent une variation étonnamment faible. D’après les chercheurs, cette uniformité est le signe que la sélection naturelle a mis en place et favorisé un système afin qu’il se développe dans une voie nouvelle et originale. 

« L’origine de la bipédie se trouve au sein de notre génome » affirment ces chercheurs. 

Cette acquisition majeure  a profondément changé le cours de notre histoire.

« A ce stade de la recherche, cette nouvelle compréhension de la bipédie en tant qu’acquisition clé de l’histoire des hommes pourrait également aider les scientifiques à concevoir des traitements pour les troubles de l’articulation de la hanche, ou pour prévoir les complications lors de l’accouchement » commente  Nicole Webb, paléo anthropologue  qui étudie l’anatomie pelvienne à l’Université de Tübingen. Elle ajoute : « Les déviations du programme génétique que l’équipe de Cappellini a identifiées peuvent entraîner des troubles tels que la dysplasie de la hanche et l’arthrose ».  Elle conclue par un souhait et une exclamation : « J’espère que cela aura des implications majeures pour améliorer la vie des gens. Ce serait énorme de pouvoir relier les paléo anthropologues et les recherches  en génétique du développement ! ».

Pour terminer en chanson, je vous propose de rejoindre Anne Sylvestre. 

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  1. Mariel Young et al. The developmental impacts of natural selection on human pelvic morphology. Sci. Adv. 8, eabq4884 (2022) 17 August 2022 https://www.science.org/doi/10.1126/sciadv.abq4884