Histoires de Mammifères

Nous sommes des Mammifères, ne l'oublions jamais !

  • Pour nos chats : carnem et circenses

    Pour nos chats : carnem et circenses

    Les millions de chats que nous accueillons et nourrissons  dans nos foyers n’en perdent pas pour autant leur instinct de chasseur. Au point que cette surpopulation de  carnivores très protégés met en péril la biodiversité de son entourage. Pour réduire leurs méfaits, une étude propose que les maitres et maitresses  de tous ces chats leur fournissent en  premier lieu une nourriture carnée  abondante et de chaque instant, et aussi les fassent jouer. Si de plus  leurs matous  sont équipés  d’une collerette sonore ou bariolée, leur capacité de nuisance se verra divisée par deux lorsqu’ils partent en chasse (1).

    « De la viande et des jeux » devrait devenir la devise de tout propriétaire de chat, qu’il entende ou non la langue de Juvenal (45?-127?). Ce poète philosophe dans ses Satyres résumait en ces termes à deux lettres près la recette politique et le mode de gouvernance des empereurs de Rome : « panem et circenses ». Pour émousser durablement les ardeurs  contestataires de leurs administrés et entretenir la paix civile, le plus sûr remède était d’accorder au peuple  en suffisance du pain et des jeux du cirque.

    A peine modifiée, la viande remplace le pain, la recette vaut si on l’applique aux petits félins de nos appartements, maisons, villas, HLM  et autres : il faut absolument réduire, si ce n’est leurs effectifs, au moins atténuer leurs sauvages appétits qui les fait, bien que  le ventre plein, poursuivre à la moindre occasion la faune sauvage de leur vindicte, et assassiner oiseaux, petits mammifères,  lézards et jusqu’aux insectes de leur entourage, qu’ils soient chats des villes ou des champs. Ce n’est pas pour assouvir une fringale passagère, loin de là, et il n’est pas rare qu’en guise de cadeau et d’hommage, ils déposent leurs dépouilles aux pieds de leurs bienfaiteurs !

    Dans une précédente chronique, je signalais que leurs victimes par année se comptent par MILLARDS ! https://scilogs.fr/histoires-de-mammiferes/chats-vous-interessent/ 

    Jusqu’à mettre en danger la biodiversité de toutes les régions où Felis catus domesticus est accueilli avec un excès de privilèges, c’est-à-dire la plupart des pays qui siègent à l’ONU, organisme en charge de canaliser la paix civile ! (2).

    Au fait combien de chats en Europe ? Je renvoie à cette statistique https://fr.statista.com/statistiques/531296/nombre-chats-par-pays-europe/

    qui pour notre hexagone comptabilise plus de 14 millions de matous.  Et leur courbe démographique  a pris depuis plusieurs années une pente ascendante, bien qu’une politique de stérilisation massive ait été adoptée depuis plusieurs années pour limiter leur prolifération.  

    https://scilogs.fr/histoires-de-mammiferes/trop-de-chats-en-suisse/

    Les propriétaires de chats sont tout à fait conscients des dégâts causés par leurs protégés : leurs paillassons sont les témoins de leurs exactions. Aussi il a été facile pour l’équipe de chercheurs citée d’obtenir leur collaboration dans le cadre d’une étude qui visait à comprendre et si possible réduire sans usage de moyens coercitifs la prédation de leurs  chats. 

    C’est dans le sud-ouest de l’Angleterre que ces observations ont eu lieu qui ont concerné 219 foyers accueillant 355 chattes et chats et ce sur une durée de 12 semaines. 

    Après une période consacrée à évaluer la nuisance au quotidien de ces petits félins, les commanditaires de l’étude ont recommandé à leurs correspondants d’adopter deux mesures :

    • fournir en abondance une alimentation carnée sous forme de produits industriels très bien dosés en protéines animales sous forme de pâtée ou de granules
    • s’investir pour consacrer chaque jour plusieurs minutes et jouer avec leurs chats à l’aide de pelotes, balles, souris factices mécaniques et autres plumeaux imitant des oiseaux agités sous leurs babines pour les amuser. 

    Durant la période d’expérimentation, après avoir suivi les conseils de leur mentors, les propriétaires ont constaté une baisse notable d’activité « hors les murs du foyer » de leurs chats

    Cela s’exprime en chiffres : bien nourris en protéines carnés, la prédation des chats est diminuée de 36%, et si on les fait jouer de 25%. 

    Il a été aussi suggéré  de faire porter à leurs protégés des colliers sonores ou bariolés qui préviennent les proies de la menace dont ils sont l’objet. 

    La figure suivante illustre les différentes pratiques et conseils que l’on peut délivrer à tout propriétaire de chat susceptibles de  réduire la prédation d’un chat domestique  : 

    Six conseils pour les propriétaires de chats (d’après réf.1)

     

    A – lui faire porter un collier alarme-grelot 

    B – le nourrir de pâtée à base de viande hachée 

    C – fournir à volonté (la sienne !) l’accès à des granules à base de protéines animales 

    D – lui faire porter un collier spécial protection oiseaux 

    E – jouer avec lui régulièrement 5 à 10 minutes par jour.  

    F – offrir un gîte intérieur approprié dont il est l’exclusif utilisateur

    Pour les colliers « protection oiseaux », une société américaine , Birdsbesafe, a étudié de près la question et depuis 2008 propose un catalogue de ses produits dont voici un échantillon

    Chat des champs (photo Karen Anderson) et sa garde robe Birdsbesafe.

     

    Cependant, mon expérience de la gent féline me porte à douter de l’efficacité à long terme de cette proposition. J’ai côtoyé, et ce avec beaucoup de bonheur et aussi de grands chagrins,  des pensionnaires félins à temps plein de tout type. Des permanents dûment accrédités, des migrants, des fugitifs, des invités qui ne l’étaient que par certains, de toute race, livrée, taille et humeur. Et il me semble que si l’efficacité théorique du produit ne peut pas être contestée, dans la pratique sa capacité de résistance aux griffes du porteur, voire aux crocs d’un ou d’une de ses ami.es pourrait laisser à désirer. 

    Quant aux chats d’intérieur qui  ont une vie plus mondaine que rurale, leurs maitresses et maitres trouveront chez un créateur de renom des collections de vêtements adaptés aux saisons et humeurs de leurs protégés. La démarche féline de son mannequin vedette qui présente ses créations  l’érige en performance. 

    https://www.youtube.com/channel/UCEYjMNEU0K5pZlWHZ0-i5-g

    (1) Cecchetti et al., 2021,Provision of High Meat Content Food and Object Play Reduce Predation of Wild Animals by Domestic Cats Felis catus . Current Biology 31, 1–5
    March 8, 2021 a 2021 The Authors. Published by Elsevier Inc.
    https://doi.org/10.1016/j.cub.2020.12.044

     (2) T. Doherty et al. 2014. A critical review of habitat use by feral cats and key directions for future research and management Wildlife Research, 2014, 41, 435–446 http://dx.doi.org/10.1071/WR14159

  • Pas d’urne dans la République des Chèvres

    Pas d’urne dans la République des Chèvres

    Chez les herbivores, lors des déplacements quotidiens à la recherche de pâturages ou à l’occasion de migrations saisonnières, comment est assurée la cohésion d’un groupe ? Chez un troupeau de chèvres semi sauvages de Namibie, on montre qu’il n’ y a ni meneur ni concertation préalable entre les individus avant d’envisager de se déplacer vers une nouvelle pâture. Les biquettes  décident de la direction à emprunter au fur et à mesure de leur voyage en copiant les pas  qu’empruntent leurs voisines (1). 

    Le syndrome de Panurge chanté par Rabelais et Brassens affecte-t-il aussi les chèvres ? Oui et non répondrait un normand. Un groupe d’éthologues apporte des réponses à une question qui plus généralement concerne les comportements collectifs en groupe de certains Mammifères lors de leurs déplacements. Qu’il s’agisse de  se prévenir d’éventuels agresseurs, de chasser et trouver des proies pour les abattre et s’en nourrir pour le plus grand bien de la collectivité, ou se diriger en groupe vers des pâtures nouvelles tout en se gardant des prédateurs, quelles  stratégies collégiales sont-elles adoptées ? 

    Chez les suricates, il a pu être montré que des vocalises spécifiques émises par des guetteurs sont autant d’injonctions qui appellent les membres d’un groupe à la défiance vis à vis d’un ennemi et leur conseille de rejoindre un refuge en cas de danger. Chez les lycaons qui chaque jour partent chasser en meute, avant de se décider pour une nouvelle quête, le groupe se rassemble et se concerte : chacun émet des reniflements riches de sens, et après la réunion, des guides se détachent, et la meute s’élance en suivant les instructions qu’elle vient de recevoir https://scilogs.fr/histoires-de-mammiferes/chez-les-lycaons-pour-voter-il-faut-avoir-du-nez/

    Pour d’autres, par exemple les buffles sauvages d’ Afrique, les macaques et les babouins, dans le choix d’une nouvelle pâture, chaque individu indique au départ sa préférence par la position et l’orientation de son corps alors qu’au jour levé le groupe s’apprête à rechercher une « mangeoire » bien pourvue, un nouveau pacage. Cette consultation peut être assimilée à un vote qui va déterminer le choix et la direction à suivre pour le groupe. C’est le plus grand nombre qui l’emporte et décide de la direction à prendre, et à la suite de ce scrutin, des « chefs » prennent la tête du convoi et guident le troupeau. 

    Mais il est d’autres cas où si d’évidence un groupe reste soudé tout au long de ses pérégrinations à la recherche de nourriture, on peut se demander comment est assurée sa cohésion. C’est la question que s’est posée un groupe de chercheurs témoin des sorties journalières de troupeaux de chèvres vivant en semi liberté. 

    En Namibie, l’élevage des chèvres suit un protocole commun à bien d’autres herbivores domestiques. La nuit les animaux résident dans un corral, à l’abri et protégés des prédateurs. Dès l’aube, les bêtes sont libérées afin de se nourrir dans les environs. A la nuit, tout le troupeau reviendra à son point de départ pour se soumettre à la traite et se reposer de ses gambades. 

    Mais toute la journée, sans aucun berger, homme ou chien pour les guider, le troupeau reste soudé, sans guide apparent pour le diriger, et poursuit une errance qui a tout coup s’avère fructueuse : à point nommé, sans que rien ne l’annonce, il s’arrête et pait à suffisance. Comment est assurée la cohésion du groupe dans ses déplacements  qui lui permettent de trouver sa pitance ? 

    On le sait , les chèvres sont des animaux grégaires, curieux de tout,  et que l’école ne rebute pas, loin de là. 

    https://scilogs.fr/histoires-de-mammiferes/lecole-des-chevres-un-succes-3/.

    Dans la vie courante, leur sociabilité se concrétise par les fréquents coups d’oeil qu’elles adressent à leur voisinage. Au sein d’un troupeau il n’ y a pas de chef, pas plus que de berger accrédité ! Néanmoins les biquettes restent toujours soudées, peu éloignées les unes des autres, et empruntent les mêmes brisées  lors de leurs déplacements. Par quel stratagème ? 

    Pour éclairer leur lanterne un groupe de chercheur a étudié de près les pérégrinations quotidiennes d’un troupeau de 16 bêtes afin de  tester deux hypothèses :

     – est-ce l’orientation de leur corps au départ de la journée qui montre le choix de chacune  et détermine la direction à prendre pour l’ensemble du troupeau ?

     – ou la direction du déplacement est-elle  déterminée en cours de route, chaque individu imitant et copiant son voisin ? 

    Pour suivre leur parcours, chaque animal a été équipé d’un collier GPS permettant en temps réel de suive sa course quotidienne.

    Dans l’hypothèse où le choix de la course est la conséquence d’un « vote », il faut s’attendre à un regroupement des individus au départ dans un temps bref avant qu’il ne s’élance, et à une accélération précoce de la marche du troupeau vers la pâture choisie (all vote sur la figure 1). 

    Dans le cas inverse où c’est en copiant l’autre qu’est tracé le chemin, un temps de latence sera observé avant que le troupeau ne s’élance, et sa course aura un parcours plus ou moins erratique (copying sur la figure 1).  

    La figure 1 illustre le timing de la décision adopté par le groupe dans les deux hypothèses ; 

    Fig.1 Prédictions de la vitesse de déplacement d’un groupe en fonction du système de vote préalable ou de copie du sens de déplacement des voisins.(D’après Fig. 1b réf. 1)

     

    On constate que s’il y a « vote », dès les départ et dans un laps de temps réduit le troupeau se déplace en groupe vers son aire de nourrissage.

    A l’inverse, ce laps de temps est plus long avant que la totalité des participants ne se décide à rejoindre un pacage.

    La figure 2 montre les  hésitations du troupeau de chèvres au départ sur la direction à prendre puis son parcours un peu erratique 

    Fig 2. Paramètres de décision lors du déplacement d’un troupeau de chèvres et trajectoire suivie par le troupeau (d’après Fig. 2 et 4f , réf. 1)

     

    On peut constater qu’il n’ y a pas de direction générale claire signalée par les corps des individus à la sortie du corral. Par la suite, ce n’est que peu à peu que les chèvres ‘choisissent’ une voie et s’accordent sur la direction à emprunter. Il n’empêche que la trajectoire  sinusoïdale de leur parcours témoigne de leurs hésitations sans doute dues aux consultations fréquentes exercées sur les voisines : le groupe fait corps, mais sa cohésion n’est pas programmée, elle est la conséquence de « mises-à-jour » continuelles des participantes qui surveillent la direction de marche de leurs voisines. 

    Faut-il interpréter ce mode de déplacement qui consiste à copier la trajectoire de son voisin comme un prémisse de la « murmuration » telle qu’observée  chez les vols d’étourneaux et théorisé par les travaux de Craig W. Reynolds en 1986 ? Je n’ai pas les compétences et les savoirs pour creuser la question. Mais un vol d’étourneaux, avec ou sans mathématique, c’est beau à voir, même si ce ne sont pas des chèvres.  

    https://www.youtube.com/watch?v=7-Ott8SFa5o

    La règle à suivre est  simple pour tout étourneau qui veut échapper aux prédateurs et survivre : il doit rester groupé. Et chacun doit se tenir à distance raisonnable des autres, surveiller et copier ses sept voisins, le tout sans calcul préalable, en rectifiant à chaque instant sa trajectoire. Il n’y a  pour lui aucune assistance technique au sol pour le guider, c’est son seul cerveau fait de chair et de sang et servi par ses yeux et ses oreilles qui lui font intégrer ce ballet aérien qui nous émerveille.

    La Nature serait-elle aussi performante que la Technologie ?

    (1) Sankey DWE, O’Bryan LR, Garnier S, Cowlishaw G, Hopkins P, Holton M, Fürtbauer I, King AJ. 2021 Consensus of travel direction is achieved by simple copying, not voting, in free-ranging goats. R. Soc. Open Sci. 8: 201128. https://doi.org/10.1098/rsos.201128

  • Sauver les rhinocéros par les pieds

    Sauver les rhinocéros par les pieds

    Sauver les rhinocéros de l’extinction est  synonyme de mettre les survivants de cette espèce en voie d’extinction hors de portée des braconniers et des nemrod avides de les coucher sur leurs tableaux de chasse. Il faut donc transporter  en lieu sûr, dans des réserves sous protection, les quelques dizaines de survivants de cette espèce depuis les savanes où ils sont menacés. 

    Mais transporter un animal d’une tonne  sans affecter ses facultés physiques et psychiques n’est pas chose facile. Heureusement les spécialistes sont là qui à coup  de seringues et de filets ont mis au point la meilleure technique qui comme certaines valses s’exécute en quatre temps :

    • injection à distance d’un puissant analgésique qui immobilise l’animal, 
    • son anesthésie sous morphine pour une plus longue durée,
    • sa saisie et suspension par les pattes la tête en bas,
    • son transport par hélicoptère vers son nouvel éden. 

    C’est le troisième temps sur lequel on doit insister (1). Les rhinocéros sont des quadrupèdes qui de par leur morphologie et leur poids risquent de souffrir d’asphyxie si après endormissement on les couche sur le flanc plusieurs heures pour les transporter en camion jusqu’à leur future résidence. Il faut donc les ménager, et faire en sorte qu’ils puissent dans leur sommeil artificiel continuer à s’oxygéner en suffisance. 

    La première fléchette  qui leur injecte un puissant analgésique les abat. Vulgairement nommé « jus d’éléphant » par les vétérinaires, c’est un composé soigneusement dosé  d’étorphine et  d’azapérone. Puis, dans les minutes qui suivent on effectue quelques prélèvements biologiques pour estimer l’état de santé du sujet,  aussitôt enregistrés sur sa Carte Vitale, et on lui injecte une dose de morphine pour  l’endormir profondément. Dans le même temps on ligote les quatre pattes, et dans la foulée  si l’on ose dire, l’animal est soulevé  par hélicoptère pour être transporté en une demi heure  dans sa nouvelle résidence.  

    En le suspendant la tête en bas, on évite les conséquences délétères voire mortelles de l’anesthésie : les opioïdes sont tout aussi nocifs pour les rhinocéros que pour les humains si des techniques de réanimation ne sont pas mises en oeuvre. En l’occurrence, les assistants d’anesthésie des rhinocéros sont aussi pilotes d’hélicoptères : en quelques tours d’hélice ils élèvent  hors sol les quatre fers en l’air leur passager, et la manoeuvre dégage sa cage thoracique et permet la ventilation et oxygénation de son organisme qui franchit cet épisode sans dommage majeur. Il plane dans tous les sens du terme puis atterrit en douceur dans son nouveau domaine accueilli par une une foule de paparazzi animaliers. 

    La seule ombre au tableau est qu’il pointe un long moment la corne vers le bas. Mais dans son cas c’est un signe de victoire. Sauver sa vie vaut mieux que perdre  l’honneur quelques instants, et une méridienne efface tous ses tracas.

    Pour répondre aux pingres qui pourraient s’inquiéter de la cherté de ce type d’opération, son coût est largement remboursé par quelques nuitées  d’éco tourisme et de safari photographique réservées à des clients fortunés. 

    le vol du rhinocéros

     

     

    (1) Robin W. Radcliffe et al. 2021. The Pulmonary and Metabolic Effects of Suspension by the Feet Compared With Lateral Recumbency in Immobilized Black Rhinoceroses (diceros Bicornis) Captured by Aerial Darting. Journal of Wildlife Diseases, 2021

  • Les dons cachés de l’hasch des chats

    Les dons cachés de l’hasch des chats

    L’herbe-aux-chats provoque chez nos minets des signes de bonheur allant jusqu’à  l’extase : ils se roulent sur ses touffes drues, dévorent les fleurs, s’en imprègnent, s’en frictionnent les pattes puis se massent le haut du crâne et tout le corps, les babines dégoulinant de bonheur, les yeux perdus vers des horizons qui n’appartiennent  qu’à eux, emportés dans des rêves que nous ne pouvons pas partager. D’ évidence, ça  plane pour eux, et l’envolée  peut durer… et se répéter.  Et l’on vient de montrer que si les chats se frottent à cette herbe c’est pour ne pas être piqués : du  cataire commun (Nepeta  cataria)   émane un puissant répulsif qui éloigne les insectes piqueurs, en particulier les moustiques (1). 

    L’herbe -aux-chat sous le nom de Neptam nepite  (cataire) apparait dans les années 800 répertoriée dans l’un des capitulaires de Charlemagne où il  dresse la liste des 70 plantes qui doivent être cultivés dans les provinces de l’empire. Outre les plantes médicinales dont fait partie le cataire, on y trouve les fruitiers, plantes potagères et céréales que l’Empereur et ses conseils recommandent d’exploiter et protéger dans les champs et les jardins. Plus tard, lorsque les premiers jardins botaniques apparaissent à la fin du  Moyen-Age, on retrouvera le cataire dans le carré des simples réservé aux plantes médicinales. On en fait alors des infusions chaudes qui favorisent la transpiration dans les cas de grippe, rhumes et autres fièvres. 

    Herbe-aux-chats vue par un botaniste du XVIII ème siècle et par un jeune consommateur

    La première mention de l’attractivité que cette plante  exerce chez les chats date d’environ 300 ans et on la doit à un botaniste écossais, Philip Miller (1691-1771) qui la mentionne dans sa « bible » de l’horticulture The Gardeners Dictionary. 

    Pour autant, longtemps ce n’est guère qu’un regard amusé que l’on portera longtemps aux contorsions extatiques de nos minets se roulant les quatre fers en l’air dans les bouquets de cette herbe  à demi sauvage qu’aujourd’hui tout étal de jardinerie propose aux chalands.  Et l’on peut trouver sur le web un florilège de vidéos où nos petits compagnons apparaissent ravagés par cette drogue que tout félin peut aisément se procurer à un coin de rue ou de jardin pour y faire la fête. 

    https://www.youtube.com/embed/J5Xrcp6k8VE

    La légende a même couru voici quelques années que le cataire pouvait se rouler en pétard, un cannabis du pauvre en quelque sorte ! Il n’en est rien. De ce point de vue aussi, nous sommes très différents des félins.

    Et puis il faut noter que les chats du Japon ne sont pas en reste et connaissent les mêmes extases que leurs frères d’Europe, mais avec une autre essence : Actinidia polygama ou vigne argentée qui est une liane de la famille des kiwis qui pousse dans les montagnes de Chine et du Japon. Son effet euphorisant sur les chats a été signalé en 1704 par un savant japonais, et  une estampe de 1859 due à Tsukioka Yoshitoshi (1839-1892 en illustre joliment les effets : quand les chats se droguent de vigne argentée et dansent, les souris en profitent pour se gaver de riz.

    Estampe de 1859 due à Tsukioka Yoshitoshi (1839-1892) Museum of Fine Arts de Boston.

     

    Depuis, la réputation de sédatif des feuilles infusées de cette liane d’Extrême Orient  n’a cessé de s’étendre : on use de ses  extraits dans les zoos du monde entier pour calmer les lions ombrageux. 

    Alors ces dernières années,  la Chimie avec un grand C, synonyme de vie, s’est emparée du problème afin d’ analyser les essences et molécules propres à ces plantes et leurs effets neurophysiologiques sur les félins, qu’ils soient de petite taille et de bonne compagnie, ou à l’inverse redoutables à croiser au coin d’un bois, qu’il s’agisse de chats domestiques, de tigres, panthères, lions ou lynx.  Quelles sont les vertus cachés de cette plante divine, au moins pour ce clan ? 

    La réponse est tombée en même temps que les expériences en tout genre se sont multipliées. 

    De l’herbe-aux-chats d’Europe émanent des effluves  d’une molécule dénommée  nepetalactone, et  de la vigne argenté d’Extrême-Orient de l’isoiridomyrmecin.   Toutes deux provoquent les mêmes symptômes chez les félins  des deux sexes et de de tous les continents : ils sont attirés par ces deux végétaux, se régalent de leurs effluves, les piétinent et s’en imprègnent jusqu’à sombrer dans l’extase à leur contact. Mais ce n’est pas tout : en synthétisant ces molécules et dans une suite d’expériences où cet ersatz a imprégné ou non l’environnement de chats de laboratoire, il a pu être montré que outre leur effet euphorique, ces molécules de synthèse avaient un fort pouvoir de répulsif à l’endroit des insectes piqueurs, en particulier les moustiques. Dans l’échelle d’efficacité des produits proposés sur le marché afin de nous protéger des piqures de ces vecteurs de maladie redoutables, les productions de l’herbe-aux-chats et de la vigne argentée peuvent être déclarées hors concours,  dix fois plus efficaces que  le célèbre DEET (diethyltoluamide) utilisé par l’armée américaine pour protéger ses GI de la malaria dans leurs guerres exotiques   

    Dans les « compléments d’information » associés à la publication de R. Uenoyama et de ses collègues  qui est au centre de cette chronique, on trouvera les vidéos de différentes expériences qui leur ont permis  de conclure que l’herbe-aux-chats est un répulsif très puissant qui les protège des piqures de moustique et d’éventuelles infections de pathogènes dont ils sont les vecteurs. C’est aussi une invitation à une promenade dans un univers de laboratoire très carcéral et que Louis XI dit le prudent aurait pu imaginer, lui qui aimait tellement enfermer ses ennemis dans des cages de fer. Ces vidéos nous montrent encagés des chats sujets à des sollicitations diverses : 

      – les uns flairant des papiers -filtres imprégnés ou non de nepetalactone déposés sur le plancher de la cage, ou accrochés à son toit pour constater que les prisonniers à la recherche de plaisirs défendus  sont capables d’escalader les barreaux de leur prison pour s’ imprégner de ces fragrances et planer  esans pour autant recouvrer la liberté. 

    • D’autres ont pu ou non imprégner ou non leur fourrure de ce même produit  et n a libéré dnas leur voisinage des vols de moustiques voraces de leur sang pour tester l’efficacité de ce répulsif de synthèse.

    Au lieu de ces expériences, certes frappées du sceau de la rationalité, et qui n’ont provisoirement troublé la vie que de seulement 25 chats et chattes, je vous invite à partager les ballades  champêtres de quelques  raminagrobis aussi communs que familiers avec accompagnement de violons, et partager leurs ébats sachant qu’ils ne seront jamais frappés de ce mal terrible qu’est l’addiction à une drogue.

    https://www.qwant.com/?q=catnip&t=videos&o=0:8fd395e6accbef54d9cacbe38cbf5ebb&order=relevance&source=all

    (1) R. Uenoyama et al, 2021. The characteristic response of domestic cats to plant iridoids allows them to gain chemical defense against mosquitoes. Science Advances  20 Jan 2021:

    Vol. 7, no. 4, eabd9135 DOI: 10.1126/sciadv.abd9135

  • Mammifères lucioles

    Mammifères lucioles

    La nuit tous les chats ne sont pas gris : des écureuils-volants, des opossums et des ornithorynques sont bio-luminescents, à condition d’avoir les bons yeux  (1,2,3) 

    Ces découvertes récentes  interpellent  sur plusieurs sujets : 

    • quel avantage sélectif ces espèces retirent-elles  de leur bio luminescence  UV ? 
    • s’agit-il seulement de signaux de reconnaissance émis pour rechercher des partenaires sexuels ?
    • est-ce pour éloigner des prédateurs ou à l’inverse attirer des proies ?
    • est-ce un caractère primitif hérité de leur passé commun ancien ou un acquis engrangé dans  différentes lignées au hasard de leur histoire ? 

    « La nuit les écureuils-volants sont roses » écrivais-je voici quelques mois https://scilogs.fr/histoires-de-mammiferes/la-nuit-les-ecureuils-volants-sont-roses/. Aujourd’hui c’est la fourrure des ornithorynques qui éclairée par des lampes UV s’avère bio-luminescente (2). Et voici quelques années il avait  été signalé que le pelage de certains opossums était lui aussi phosphorescent (3). 

     

    Pelages d’ornithorynque mâle de Tasmanie éclairés en UV (385-395 nm) avec ou sans filtre (face dorsale et ventrale) d’après réf. 2.

    Observons d’abord que la bio luminescence en éclairage UV des premiers cités a été constatée in vivo, chez des sujets vivants, planant d’arbre en arbre de nuit,  peut-être pour éviter des collisions, alors que pour les deux autres  ce sont leurs dépouilles conservées dans les collections de musées de zoologie qui éclairés d’une source UV se révèlent phosphorescentes.

    Mais au demeurant, il s’avère surtout que les trois sous-classes de Mammifères actuels, Placentaires, Marsupiaux et Monotrèmes sont concernées  et possèdent les mêmes capacités pour émettre des signaux bio luminescents.

    Est-ce un héritage de leur passé commun ? C’es probable. Et pour autant, cela ne devrait pas surprendre eu égard les capacités visuelles ordinaires pour capter les rayons ultra-violets constatées chez de nombreux mammifères, encore qu’elles puissent emprunter des chemins différents (4). 

    Une étude récente sur 38 espèces de Mammifères appartenant à 25 familles  réparties dans 9 ordres révèle que beaucoup ont les aptitudes pour interpréter les ondes lumineuses de courte  longueur d’ondes (infra 400 nm). Et en conclusion les chercheurs concluent que beaucoup de mammifères sont sensibles et peuvent  interpréter les UV. 

    Ce n’est guère surprenant : 45% à 55% des Mammifères actuels sont des animaux nocturnes. Ce qui veut dire que la nuit est pour eux le théâtre de la recherche de nourriture, de la vie sociale et amoureuse. Le jour c’est repos, soins du corps et de la progéniture, vie familiale et sommeil.

    Ce rythme de vie  partagé avec la durée du jour a une longue histoire, près  de 200 millions d’années, en des temps où les Mammifères  animaux à sang chaud tout juste nés côtoyaient les grands reptiles d’alors qui dominaient par la taille, le poids et l’appétit les écosystèmes terrestres d’alors, je veux parler des Dinosaures. Eu égard leur taille et leur physiologie ces grands Reptiles devaient espérer des rayons du soleil pour réchauffer leurs organisme afin de s’activer et partir en chasse https://scilogs.fr/histoires-de-mammiferes/mammiferes-dinosaures-nuit-jour/

    Comme j‘ai pu l’écrire alors, et je ne suis pas le seul, les Dinosaures furent dès  leur origine  des diurnes obligés qui ont partagé leur territoire avec les Mammifères qui eux, pour éviter leur emprise, ont « choisi » la vie nocturne. On les qualifierait aujourd’hui de fêtards » impénitents jusqu’à les mettre au ban de notre vie courante et de ses interdits prophylactiques….

    Comment avons-nous aussi longtemps été aveugles à ces aptitudes de bio luminescence que possèdent de nombreux Mammifères ? 

    Il faut d’emblée signaler, que les humains comme la plupart des Primates, sont « aveugles » aux rayonnements UV, et les pigments visuels des trois types de cellules qui leur permettent de capter des longueurs d’onde entre 400 et 700 nm n’ont pas cette capacité.

    Mais la plupart des autres Mammifère ont un spectre visuel plus vaste et sont sensibles aux ultra-violets (infra 400 nm). 

    Pour l’heure, leur inventaire  est loin d’être exhaustif. Il est probable que dans un avenir proche d’autres mammifères révèleront  des qualités et aptitudes à interpréter les bioluminescences de type UV, je pense en particulier au Mammifères marins,  cétacés, phoques et autres qui fréquentent les abysses des océans

    Le spectre des couleurs dans la nature est plus riche que nos petits yeux d’humains ne le perçoivent.  Mais nous avons tous les outils et les technologies  pour décrypter et voir  cet arc-en-ciel des couleurs qui favorise les rencontres avec ou à l’insu du gré de l’autre. Bien des animaux à la fois se cachent et se montrent, ou se montrent sans se cacher . Mais qui les voit ?  Dilemme shakespearien, Commedia del  Arte, impromptu de  Molière ou fable hollywoodienne ? Le répertoire animal des couleurs est sans aucun doute plus riche que l’on croit et surtout est un langage que longtemps nous avons ignoré.

    Les fonctions de de cette faculté de percevoir les UV  pourraient concerner une plus grande visibilité des mâles, ou des femelles, des facultés « secrètes » de communication entre individus, des systèmes de repérage, de navigation,  de repérage des proies et de balisage du territoire de chasse. Sans oublier que les UV en période hivernale sont des outils de première qualité pour dénicher les proies dans les paysages enneigés. 

    Il ne fait guère de doute que ces premières publications seront suivies de beaucoup d’autres. Sur le sujet on peut parier que les Mammifères nous en feront voir de toutes les couleurs 

    1) Allison M Kohler, Erik R Olson, Jonathan G Martin, Paula Spaeth Anich; Ultraviolet fluorescence discovered in New World flying squirrels (Glaucomys), Journal of Mammalogy, , gyy177, https://doi.org/10.1093/jmammal/gyy177

    (2) P. Spaeth Anich et al., 2020 Biofluorescence in the platypus (Ornithorynchus anatinus). Mammalia, 000010151520200027, eISSN 1864-1547, ISSN 0025-1461, DOI: https://doi.org/10.1515/mammalia-2020-0027

    (3) R. H Pine et al., 1985. Labile pigments and fluorescent pelage in didelphid  marsupials Mammalia · January 1985 DOI: 10.1515/mamm.1985.49.2.249

     (4) Douglas RH, Jeffery G. 2014 The spectral transmission of ocular media suggests ultraviolet sensitivity is widespread among mammals. Proc. R. Soc. B 281: 20132995. http://dx.doi.org/10.1098/rspb.2013.2995

  • Le puma et le renard ou le partage de minuit

    Le puma et le renard ou le partage de minuit

    Au Chili, sur les Hauts Plateaux, lorsqu’ils chassent, le puma et le renard de Magellan ne sont ni ennemis ni concurrents. Certes ils ont même territoire et l’arpentent presque aux mêmes heures, le plus souvent à la nuit tombée. Mais ils ne poursuivent pas les mêmes proies. Donc  pas de conflit direct ni d’affrontement. Depuis l’introduction des lièvres et lapins venus d’Europe,  un pacte de non-agression  a été scellé entre les deux carnivores (1). Aussi les projets de « purification animale » qui consisteraient à éliminer les herbivores venus d’ailleurs  d’évidence compromettraient à terme la survie même des deux carnivores andins. 

    Pour les amateurs de viande fraiche, la vie est rude sur les Hauts Plateaux Andins du Chili tant les proies y sont rares. Mais le puma et le renard de Magellan  ont trouvé un arrangement. Et d’une certaine façon l’arrivée des Conquistadores et de toute leur ménagerie d’animaux domestiques et sauvages venus d’Europe a facilité leur quotidien.

    Avant l’arrivée des colons ibères, et surtout celle de leurs compagnons de traversée atlantique, l’un et l’autre assouvissaient leurs appétits sur deux types de proies : pour les pumas (Puma concolor) c’étaient les guanacos qui avaient leur préférence, près de 200 kg de viande, et les renards de Magellan (Lycalopex culpaeus) se régalaient des rongeurs endémiques du continent, cricétidés et viscaches par exemple, entre 0.1 à 2k g. 

    Avec les Conquistadores, s’est installée dans toutes les Amérique une faune nouvelle, en partie domestique, en partie sauvage, ou du moins qui s’est empressée de le redevenir.  Sur les Hauts Plateaux des Andes au Chili, ce sont les bovins, les moutons et les ânes qui ont rejoint les lamas et les cobayes en tant qu’animaux domestiques, et donc protégés de facto des prédateurs. 

    Dans le même temps les guanacos sauvages, proies préférées des pumas jusqu’alors, ont été presque éliminés des paysages d’altitude par les exploits des nemrods du Vieux Monde. Au grand dam des pumas. Les viscaches ont aussi presque disparu des lieux sans doute pour les mêmes raisons. Heureusement lièvres et lapins se sont échappés de leurs cages, et n’ont pas tardé à coloniser les lieux.

    Il n’empêche que les deux Carnivores depuis sont en concurrence sur  trois points : 

    • ils partagent le même espace
    • ils chassent aux mêmes heures, la nuit
    • leur garde-manger est le cheptel d’herbivores de toutes tailles de ce territoire.

    Afin d’analyser les conditions qui permettent aux deux espèces de cohabiter, les écologistes ont étudié dans le détail sur un espace bien délimité les allers et venus de l’un et l’autre, leurs modes de chasse, leur rythme de vie  en y disposant des caméras de surveillance. Ils ont aussi analysé leurs fèces qui révèlent les restes de leurs repas.

    Le territoire choisi est la Réserve Nationale  de Rio Cipreses qui couvre un peu plus de 30 000 hectares au centre du Chili. La région est dominée par des glaciers et son altitude se situe entre 1200 et 4000 mètres. La végétation est une steppe de type méditerranéen, avec des hivers froids et pluvieux et des étés chauds et secs.

    Plus d’une centaine de caméras ont été déployées  le long des principales vallées en choisissant les lieux où se tenaient le plus fréquemment les pumas et ce pendant plusieurs mois, jour et nuit, le but étant de quantifier l’activité de chasse et le type de proie recherché par les deux carnivores sur une longue période. 

    Région étudiée et position des caméras (réf.1)
    Puma et renard de Magellan

     

    Le premier constat fait par les écologistes est que les deux carnivores occupent le même espace et chassent presque aux mêmes heures, la nuit. Le deuxième est qu’ils ne chassent pas les mêmes proies.

    Le puma chasse principalement les lièvres et au fil des saisons adapte ses stratégies de chasse afin qu’elles s’accordent avec le rythme d’activité du lièvre.

    Le renard est plus éclectique. Il chasse principalement les lapins et les petits rongeurs endémiques, rarement le lièvre, mais il se nourrit aussi de graines. 

    Relation prédateur-prédateur et relation prédateur-proie. En noir les espèces endémiques au continent sud américain, en grisé foncé les exotiques, en grisé clair les exotiques domestiques
    RPO = Pourcentage dans le régime alimentaire (réf. 1).

    Le schéma détaille et classe les proies en fonction de leur origine :  exotique sauvage ou domestique ou  locale sauvage. 

    On peut voir que le puma ne s’attaque que rarement aux bovidés, chevaux et moutons, pour ce qui est des espèces domestiques exotiques, et aussi peu aux guanacos et viscaches devenus très rares dans les paysages andins qu’il fréquente. Pour l’essentiel, ce sont lièvres et lapins  et petits rongeurs locaux qui sont la base de son alimentation.

    Dans le régime alimentaire du renard de Magellan, les graines constituent une part importante, suivies pour l’alimentation carnée des rongeurs locaux et des lapins, le lièvre plus rarement. 

    Ainsi on constate que les immigrants herbivores d’Europe, lièvres et lapins redevenus sauvages, sont devenus de facto la proie  de prédilection des carnivores endémiques du plateau andin du Chili, une steppe d’altitude qualifiée de méditerranéenne par les géographes, alors qu’avant l’arrivée des Conquistadores c’étaient le guanaco et la viscache qui était la base de leur alimentation. 

    Ces observations sont d’une grande importance eu égard certains projets de « réhabilitation » de la faune native dans cette région des Andes : d’aucuns suggèrent d’éradiquer tout simplement les espèces introduites à l’occasion de la Conquête, en particulier le lièvre et le lapin, pour favoriser le retour et la ré-appropriation des espaces naturels andins par les herbivores indigènes du continent Sud-Américain, guanaco, viscaches et autres rongeurs. Ce projet de « décolonisation animale » s’il voyait le jour, mettrait d’évidence en péril la survie des Carnivores locaux que sont le puma et le renard de Magellan.

    Le Chili n’est pas le seul pays qui se soucie de réhabiliter son passé animal, soit en tentant d’éliminer des espèces invasives, soit en réintroduisant des espèces natives victimes de la chasse et de la recherche du profit. 

    Cet esprit de « purification animale » n’est pas sans danger d’autant que les moyens d’éradication chimique ou biologique employés d’ordinaire s’avèrent le plus souvent dévastateurs. La triste histoire récente de la propagation de la myxomatose  pour éradiquer le lapin en Europe et ailleurs est là pour le rappeler. 

    Dans d’autres circonstances, on a tenté avec plus ou moins de succès de réintroduire par exemple chez nous l’ours, au Royaume Uni le castor. Avec des succès mitigés. Et surtout des controverses sans fin entre  faux et vrais amis des bêtes, ou prétendus tels.. 

    Faisons plutôt confiance à la Nature, la vraie, celle qui fait sortir le loup du bois pour reconquérir les paysages dont on l’avait chassé. https://scilogs.fr/histoires-de-mammiferes/loups-sans-frontieres/

     La meilleure gestion de notre environnement animal devrait se réduire à une vigilante indifférence. Et surtout à l’interdiction de ces deux « sports de loisir » meurtriers, la chasse et la pêche.

    C. Osorio et al . 2020.  Exotic Prey Facilitate Coexistence between Pumas and Culpeo Foxes in the Andes of Central Chile.  Diversity 2020, 12(9), 317; https://doi.org/10.3390/d12090317

  • De la copromanie équine du panda géant.

    De la copromanie équine du panda géant.

    L’hiver venu les pandas ont un dada : ils recherchent le crottin de cheval frais pour s’y rouler et s’imprégner de ses effluves. Les analyses de ces fèces révèlent qu’elles recèlent un concentré de composés naturels rares : des béta-caryophyllènes  et leurs oxydes. La durée de péremption de ces molécules est brève, moins d’une semaine. Il se trouve que ces arômes  ont des vertus thermogènes. Est-ce pour conjurer le froid ambiant que les pandas s’en imprègnent ? L’hypothèse est plausible (1). D’ailleurs, pour parer un refroidissement hivernal passager, il arrive que nous faisions usage de frictions aux huiles essentielles et autres onguents. Et si les pandas avaient de longue date adopté un stratagème analogue ? 

    Depuis plusieurs décennies, le panda géant est une espèce protégée unique, et même  une rescapée, qui a acquis le statut envié d’ambassadeur de la Biodiversité grâce au World Wide Fund for Nature. Son pays d’origine, la Chine,  en a fait à juste titre son légat : son costume noir et blanc strict et de bon goût  s’est substitué avantageusement à la tenue Mao pour représenter le pays. Après sa sanglante Révolution Culturelle, et pour renouer avec le Monde Libre,  la Chine a mandaté plusieurs de ces diplomates débonnaires  dans les zoos de nombreux pays devenus  à cette occasion des partenaires commerciaux privilégiés. Au fil des ans, le panda géant   s’est transformé en symbole de la lutte pour la sauvegarde des espèces, de toutes les espèces, y compris les Homo sapiens, presqu’un un peu malgré eux  pourrait-on ajouter, je veux parler des derniers cités.

    Aussi cet élégant Ursidé est-il l’objet d’une surveillance quasi orwelllienne, et ce pour son plus grand bien proclame-t-on. Dès lors peu de ses qualités et travers ne nous échappent. C’est ainsi que de longue date a été rapporté par divers observateurs un de ses péchés mignons par temps d’hiver : à la première neige, dès que l’occasion s’en présente, les pandas se roulent et s’imprègnent et se barbouillent avec un vif plaisir, et en particulier la face,  des miasmes et composés du  crottin de cheval frais. https://movie-usa.glencoesoftware.com/video/10.1073/pnas.2004640117/video-1

    Dans de précédentes chroniques j’ai eu l’occasion  de disserter sur les moeurs, habitus et comportements du panda géant https://scilogs.fr/histoires-de-mammiferes/le-costume-du-panda/  et https://scilogs.fr/histoires-de-mammiferes/le-panda-a-un-intestin-paresseux/

    J’ y rappelai entre autres que le panda est un Carnivore membre de la famille des Ursidés, mais cependant assez spécial : il est presqu’exclusivement herbivore, se nourrit de pousses de bambous, pas n’importe lesquelles, et qu’il a quelque difficulté à assimiler dans la mesure où les vertus digestives de son intestin  sont celles d’un carnivore ordinaire. Aussi consacre-t-il près de 12 heures quotidiennes à se nourrir, et ce à longueur d’année. Pour autant il n’arrive pas à accumuler suffisamment de réserves graisseuses qui lui permettraient d’hiberner et de faire une pause de plusieurs mois comme tous ses frères ours de tous les pays. De ce point vue, chez les Ursidés il reste un cas unique : il est actif à longueur d’année. 

    Son domaine d’élection, le Sichuan, connait un climat tempéré chaud, mais c’est une région montagneuse. Le panda vit dans une zone très boisée avec des variations d’altitude de 1000 à 4000 mètres qui l’hiver venu est souvent enneigé. Alors le panda se réfugie dans les zones les plus basses. Mais il n’est pas étonnant qu’il soit sensible au froid et cherche à s’en prévenir. 

    Aire de distribution du Panda au Sichuan

     

    Panda d’hiver et pandas d’été

     

    Dans les lieux reculés de son séjour, à plusieurs reprises, gardiens et leurs accessoires, des caméras de surveillance, ont pu enregistrer un instant de vie assez étrange : dès qu’il en trouve l’occasion, le panda, mâle ou femelle, jeune ou adulte, s’il croise un dépôt de crottin de cheval s’empresse de s’y rouler et de s’imprégner de ce fumier. Comment expliquer cette manie ? 

    Pas question d’apporter des arguments concrets à une question ainsi formulée : la science, c’est le comment, pas le pourquoi. 

    Il n’empêche que des suggestions ont été récemment avancées et elles ne concernent pas que le seul panda et ses rapports épisodiques avec des molécules que l’on peut qualifier de thermogènes. Car dans un premier temps; le groupe de chercheurs qui a analysé la composition du crottin de cheval (1) s’est aperçu qu’il dégageait peu après son expulsion des récepteurs de thermorégulation présents aussi chez les déjections d’autres animaux très divers, par exemple les éléphants, les manchots et même les humains. 

    Dans la nature il existe d’autres molécules « chaleureuses » telles la capsaïcine présente dans les  piments d’Asie. Ces fruits sont redoutés des mammifères frugivores pour la sensation de chaleur ressentie lorsqu’ils les consomment… à moins qu’ils ne soient bipèdes et amateurs de « hot cooking » pratique culinaire des pays tropicaux qui a pignon sur rue. Dans ce cas, le but est de masquer le goût des protéines animales putréfiées. 

    A l’inverse, les oiseaux eux sont insensibles à ce goût plus que relevé et ils se gavent de  piments  sans barguigner. Le résultat est que après consommation, ils propagent dans leurs entourage avec leurs fientes les graines indigestes de ces fruits. Honni soit qui mal y pense !

    Alors bien que les auteurs de l’étude citée n’est aucune preuve concrète pour soutenir leur  hypothèse, se réchauffer le museau en hiver en se frictionnant avec du crottin de cheval est peut-être pour les pandas un de ces petits plaisirs qui les aide à surmonter la rigueur hivernale des montagnes du Sichuan. 

    A moins que ce ne soit qu’un jeu, quelque peu scatologique. Tous mes chiens ont eu l’occasion un jour ou l’autre de me faire partager au retour d’une promenade les effluves dont ils s’étaient imprégnés en se roulant dans une merde fraiche. L’humour canin est sans vergogne.

    Pour l’heure, et en cette période de fin d’année où il est de mode de faire des cadeaux, je suggère que les gardiens des zoos ou résident des pandas leur octroient pour les fêtes une belle pelletée de crottin ramassée dans l’enclos voisin des chevaux de Przewalski ou des zèbres. 

    (1) Wenliang Zhou et al, 2020 Why wild giant pandas frequently roll in horse manure

    PNAS December 7, 2020; https://doi.org/10.1073/pnas.2004640117

  • Histoire antique de nos chats.

    Histoire antique de nos chats.

    En Europe Centrale, des ossements de chats datés de 4200 à 2300 ans avant l’ère chrétienne  témoignent de la migration dans cette région d’une sous espèce de chat apparu dans le Croissant Fertile quelques millénaires plus tôt avec l’invention de l’agriculture,  et qui deviendra notre chat domestique. Les signatures isotopiques de ces ossements révèlent que dès cette époque nos chats se nourrissent de rongeurs gourmands des céréales cultivées alors par les premiers paysans, mais pas exclusivement. Ainsi très tôt, au début du Néolithique,  s’est établie une collaboration entre chats et hommes qui a contribué à combattre les ravages dans les cultures et les greniers des rats, souris, mulots et autres rongeurs (1). 

    Les débuts du Néolithique, 8500 ans avant JC,  marquent l’émergence de l’agriculture dans le Croissant Fertile, sur les rives du Tigre, de l’Euphrate, de l’Oronte, du Jourdain, et du Nil. On y cultive alors essentiellement l’orge et le blé.  Dans le même temps ces Homo sapiens devenues sédentaires entreprennent de domestiquer différents animaux comme ressources de viande  et de laitage : bovins, chèvres, moutons, porcs. Si cette entreprise fut un succès, c’est sans aucun doute que les deux parties y ont trouvé leur compte. Les nouveaux fermiers avaient à leur porte des animaux qu’ils pouvaient à leur guise traire, abattre pour s’en repaitre, se vêtir de leurs peaux  et fourrures, ou utiliser pour les travaux agricoles et le transport. De leur côté ces nouveaux compagnons,  la plupart herbivores, se trouvaient  à l’abri des attaques des carnivores, étaient même l’objet de soins et d’attention qui facilitaient leur quotidien et leur reproduction. 

    A ce cortège d’animaux « nourriciers » s’ajoutent leurs gardiens. D’abord les chiens, de longue date compagnons des hommes dans leurs chasses et qui deviennent alors les auxiliaires des bergers. S’ajoute un petit félin d’abord sauvage, Felis silvestris libyca, qui se rapproche des hommes  attiré par l’abondance de ses proies favorites, les rongeurs qui pillent récoltes et greniers. Bientôt il franchira le seuil de leurs habitations, et domestiqué sera dénommé Felis silvestris catus par les savants, chat, minet, raminagrobis, greffier, mistigri par ses hôtes.

    Pour caractériser les différents types d’échanges économiques entre animaux domestiqués et humains et qualifier cette collaboration-cohabitation, il existe plusieurs épithètes. Commensalisme est le mot juste qui décrit au mieux la relation qui s’est établie entre le chat et l’homme : en se rapprochant des hommes le chat retire un bénéfice alimentaire en exploitant les ressources générées par les activités humaines. Pour autant sa présence auprès de son hôte n’entrave ni n’avantage les activités des hommes. 

    A ce stade de l’analyse il faut rappeler les caractéristiques du comportement des chats : 

    • ce sont des animaux solitaires
    • très attachés au territoire qu’ils se sont accaparés
    • leur mode de reproduction peut être qualifié d’erratique, K ou r, et jusqu’à une époque récente incontrôlé par leurs hôtes.
    • Les chats sont très opportunistes dans le choix des proies

    Au plan génétique, le chat sauvage de l’Orient Felis sylvestris libyca et le chat domestique Felis sylvestris catus sont restés très proches et une analyse de leur ADN mitochondrial ne permet pas de les distinguer. De plus, les métissages entre la sous-espèce domestique Felis sylvestris catus  et les deux sous-espèces sauvages Felis sylvestris sylvestris et Felis sylvestris libyca de son entourage en Europe et au Moyen Orient sont monnaie courante. 

    L’image suivante illustre la  carte de répartition des sous-espèces sauvages actuelles de chat en Europe et Moyen-Orient et la situation  des gisements de Pologne d’où sont issus les ossements analysés dans l’étude citée.

    Situation des sites Néolithiques d’Europe Centrale avec des ossement de chats et répartition actuelle des chats sauvages (Felis sylvestris sylbestris, Felis sylvestris libyca)

     

    La cohabitation au Levant entre humains et chats a débuté voici au moins 7500 ans avant notre ère et même plus tôt. Il  est des témoignages archéologiques plus anciens de la proximité des chats avec les hommes : dans l’île de Chypre voici plus de 10 000 ans on a mis en évidence la proximité de Felis sylvestris libyca et des paysans d’alors (2). Bien qu’il s’agisse de la sous-espèce sauvage et non de F.s. catus domestique, on ne peut douter des relations de proximité qui existent alors entre ce petit félin et les humains : dans les fouilles archéologiques du site, son squelette est très proche de la tombe d’un homme sans doute respecté puisqu’il est entouré d’offrandes.

    L’intérêt des gisements de Pologne plus tardifs est qu’ils révèlent la présence du chat domestique, F. s. catus, dans plusieurs gisements du Néolithique, et de plus, grâce à une série d’analyses de leurs ossements, on peut en déduire  les caractéristiques de leur régime alimentaire, et  par déduction leur degré de proximité aves les humains. 

    Les isotopes stables du carbone et des composants azotés (δ13(C et δ15N)  du collagène des os  renseignent sur le régime alimentaire. Dans le cas des animaux tels les félins dont l’essentiel de la nourriture est constituée de protéines animales,  la composition isotopique en carbone et éléments azotés du collagène de leurs ossements est à l’image des protéines des herbivores-granivores qui constituent leur nourriture.

    Il se trouve qu’il a été montré que les activités agricoles modifient sensiblement les signaux isotopiques des plantes cultivées, et aussi par voie de conséquence les protéines des herbivores-granivores qui s’en nourrissaient, pour la plupart des rongeurs ou des lagomorphes. Par voie de conséquence ces modifications et ces signaux isotopiques s’enregistrent dans les ossements des carnivores qui s’en nourrissent. En  particulier l’augmentation de l’isotope δ15N est un bon marqueur de ce phénomène du à l’absorption de céréales cultivées. Et cet accroissement est perceptible aussi chez les os des  humains qui s’en nourrissent. 

    Les variations de l’isotope du Carbone δ13C sont plus difficiles à détecter dans les écosystèmes agricoles primitifs. Mais c’est aussi un signal qui peut être exploité quoique avec prudence. 

    Les schémas suivants sont des représentations schématiques des variations de la composition isotopique chez les plantes, les herbivores et les carnivores dans un paysage cultivé par l’homme.  

    En A sont représentées les modification du signal δ15N. Pour les humains et leurs chiens ce sont des valeurs théoriques dues à la consommation de céréales par les herbivores eux-mêmes partie de leur  régime alimentaire. Pour le chat,  le signal isotopique suggère qu’il a un régime mixte d’animaux sauvages et de rongeurs nourris de céréales. 

    En B  sont montrées les modifications du signal δ13C. (Données puisées dans la littérature). Le facteur TEF  traduit par  le Facteur d’Enrichissement  Trophique. 

    Représentation schématique des modifications de la composition isotopique

     

    Les deux schémas suivants positionnent les valeurs δ13(C et δ15N du collagène des os d’humains et de différents animaux domestiques et sauvages, en particulier le chien, le chat domestique et le chat sauvage. En  A dans des gisements Néolithiques (Krakow-Czestochowa) et en B dans des gisements de l’époque Romaine situés dans le Nord de la Pologne.

     

    Valeurs δ13(C et δ15N du collagène des os d’humains et de différents animaux domestiques et sauvages

    On peut en déduire que au Néolithique les chats domestiques, aussi proches soient-ils des humains, n’avaient pas un régime alimentaire similaire à celui de leurs hôtes  et de leurs chiens. Et à l’époque romaine, cette distance perdure.

    Par ailleurs, d’évidence leurs caractéristiques isotopiques sont différentes de celles des chats sauvages leurs voisins. Et ceci permet d’envisager que les chats domestiques sont alors très opportunistes, voire éclectiques dans le choix de leurs proies, puisant dans la faune sauvage qui les entoure, que profitant du pullulement des rongeurs attitrés  et nourris par les céréales cultivées et stockées. On peut les qualifier de commensaux encore sur la réserve ! En cela ils sont fidèles à la légende que Rudyard Kipling leur a tissée : « quand la lune se lève et la nuit vient, il est le Chat. qui s’en va tout seul et tous les lieux se valent pour lui. Alors il s’en va par les Chemins Mouillés du Bois sauvage, sous les Arbres ou sur les Toits, remuant la queue et tout seul. »

    1. M. Krajcarz et al. 2020. Ancestors of domestic cats in Neolithic Central Europe : isotopic evidence  of a synanhrhropic diet. www.pnas.org/cgi/doi/10.1073/pnas.1918884117 

    (2)  Vigne J-D, Guilaine J, Debue K, Haye L, Gérard P. Early taming of the cat in Cyprus. Science. 2004;304: 259. pmid:15073370. Et Vigne J-D, Briois F, Zazzo A, Willcox G, Cucchi T, Thiebault S, et al. The first wave of cultivators spread to Cyprus earlier than 10,600 years ago. Proc Natl Acad Sci USA. 2012;109: 8445–8449.

  • Loups sans frontières

    Loups sans frontières

    Du fin fond de la Russie à l’Est jusqu’aux rives de la mer du Nord et la Scandinavie à l’Ouest, les loups que l’on  peut croiser ici et là forment une population très homogène. Surtout, contrairement à une idée reçue,  ils ne s’hybrident qu’exceptionnellement avec les chiens domestiques (1).

    Les origines des loups de Scandinavie font débat depuis des décennies. De nouvelles études génétiques montrent que ces populations qui se sont installées dans les années 80 près de la Baltique et la Mer du Nord sont très proches de celles qui vivent en Russie. C’est l’ensemble du génome d’environ 200 individus qui a été séquencé, et donc ces résultats sont très robustes. 

    On peut en déduire que dans un premier temps ce sont des loups venus de l’Est qui se sont installés en Suède, et qui donc ne se préoccupaient guère du tristement célèbre « rideau de fer ». Par la suite on a des preuves génétiques que les loups « « suédois » ont pris le chemin inverse, et ce sans se pourvoir du moindre visa les autorisant à revenir dans  l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques qu’ils avaient fui sans permission. 

    Ces loups et louves ont-ils eu des penchants pour les chiens et chiennes domestiques des pays « libres » de l’Ouest ou de ceux à l’Est encore sous le joug communiste ? La réponse est claire et sans appel : en aucune façon. Ou du moins à l’exception de quelques cas qui ont pu faire la une de certains journaux à scandale de la presse « animal people ».  Au demeurant aucune marque génétique d’hybridation entre chiens et loups n’a été à ce jour observée. 

    Est-il possible que des loups russes viennent fréquenter d’autres contrées plus au Sud de l’espace Schengen que ne le sont la Suède et la Norvège ?  On doit l’envisager. Les loups sont des coureurs infatigables et sans frontières.

    youtube.com/watch?v=fzSEuVomGx

    Une étude publiée en 2016 sur  les migrations  des loups dans cet espace Schengen qui s’étend de la Scandinavie à l’Espagne et l ’Italie, illustre  la diversité génétique des populations de loups de ces contrées et des échanges qui s’y produisent (2). 

    Les observations portent sur des échantillons du génome de loups prélevés dans 19 pays : Norvège, Suède, Finlande, Estonie, Latvia, Lituanie, Pologne, Tchéquie, Slovaquie, Allemagne, Biélorussie,, Russie, Italie, Croatie, Bulgarie (3). 

    Elles révèlent en premier lieu  que le rayon de dispersion  génétique d’une population de loups est de l’ordre de 650 à 850 km. On peut en déduire que la diversité génétique d’une population donnée peut être modifiée par une autre située dans un rayon de même ordre. 

    Il apparait aussi que le degré d’hétérozygotie constaté chez les loups d’Europe est moindre dans le le sud-ouest et  plus élevée dans le nord-est. 

    Répartition des loups et direction du flux génique de l’espèce en Europe. Les plages vertes indiquent la présence permanente du loup et en grisé celles où elle n’est que sporadique. Les flèches rouges montrent le sens des déplacements des populations de loup (d’après réf. 2

     

    Ce n’est guère une surprise : d’autres études ont pu montrer que la mise en friche de vastes espaces et leur reconquête par la flore « sauvage », alors que parallèlement les populations humaines rurales quittaient ces lieux,  a favorisé le retour des loups partout dans le monde, et en particulier dans le nord-est de l’Eurasie. Jusqu’à devenir un indicateur de meilleure santé pour la Nature, et ce au grand dam des petits chaperons rouges de toute obédience et diverses autres professions.

    Mais il est aussi possible qu’un jour pas si lointain  ce peuple des loups épris de liberté courre steppes, toundras et forêts avec attaché à l’oreille une étiquette, sa carte vitale. Big Brother nous 

    guette tous, et contrôler ce prédateur de légende est une ambition partagée par de nombreux corps de métiers, pâtres, « chasseurs », ronds-de-cuir et batteurs d’estrade pour faire court. 

    Une ultime remarque à propos du loup dans les Iles Britanniques où depuis l’arrivée des Normands, et même avant, on s’est attaché à l’exterminer : le dernier loup y fut aperçu en 1888. Mais aujourd’hui il y a bien des partisans pour sa réintroduction. Deux groupes le souhaitent : 

    • les écologistes nostalgiques de l’état de Nature qu’il serait souhaitable de reconstruire sur ce territoire insulaire. Ils ont déjà réussi la réintroduction du castor. 
    • quelques financiers qui se fondant sur l’expérience américaine de Yellowstone Park aux USA où la réintroduction récente des loups s’est soldée par un bénéfice à la fois pour l’équilibre écologique des communautés qui peuplent cet espace (4), ET par un gain de quelques 35 millions de dollars induit par la fréquentation touristique accrue,  avec l’espoir pour les visiteurs de croiser les nouveaux pensionnaires des lieux.

    Verra-t-on un jour le loup côté au London Stock Exchange ? Les paris sont ouverts.

    (1) Linnéa Smeds et al. 2020. Whole genome analyses provide no evidence for dog introgression in Fennoscandian wolf populations, Evolutionary Applications (2020). DOI: 10.1111/eva.13151 

    (2) Hindrikson Maris et. 2016. Wolf population genetics in Europe: a systematic review, meta-analysis and suggestions for conservation and management . Biological Reviews. https://doi.org/10.1111/brv.12298

    (3) Si la France n’apparaît pas sur cette liste c’est  par manque de données eu égard la rareté du loup dans notre pays, en dehors des médias bien sûr.

    (4)Douglas et al, 2003. Yellowstone after Wolves . BioScience, Volume 53, Issue 4, April 2003, Pages 330–340, https://doi.org/10.1641/0006-3568(2003)053[0330:YAW]2.0.CO;2

  • Eloge des vampires

    Eloge des vampires

    C’est une leçon  d’altruisme qui nous vient d’animaux que l’on n’attendait pas dans ce rôle : les vampires. Suceuses de sang redoutées, ces chauve-souris d’Amérique du Sud  ont acquis de longue date une très mauvaise réputation. Et pourtant leur vie sociale est riche  d’exemples d’empathie dans le cadre familial pour leur progéniture, et au plan social dans leurs colonies où des règles d’urbanité et de prévention participent à  leur survie en cas de disette, et aussi les protège de la contamination des maladies infectieuses. C’est naturellement  qu’alors  des règles de distanciation strictes se mettent en place  dans leurs résidences,  et cet éloignement librement accepté protège l’avenir du plus grand nombre (1). 

    Trois espèces de Chauve-souris sur 1400 se nourrissent du sang de vertébrés : deux  de celui d’oiseaux, et une seule du sang de  divers mammifères qu’elles ponctionnent pendant leur sommeil. En Amérique du Sud où elles résident, ce sont les bovins, chevaux et autres animaux domestiques qu’elles visent, et pour cette raison les vampires sont redoutés des éleveurs, moins pour la quantité de sang qu’elles prélèvent, la moitié de leur poids au maximum soit  une quinzaine de grammes, que pour les maladies bactériennes et virales qu’elles sont susceptibles de transmettre par leurs morsures.

    youtube.com/watch?v=7RostZvdoLM

    Mais il faut ajouter que la légende s’est saisie des moeurs des vampires, aussi bien dans  les contes d’autrefois que la littérature et aujourd’hui le cinéma. Et si au final les Chauve-souris dans leur ensemble ont mauvaise presse, les vampires n’y sont pas pour rien. Les princes de l’enfer ne seraient-ils pas leurs cousins ! Et le film de Jean Painlevé de 1945 diffusé dans les écoles  primaires et secondaires de notre République durant plusieurs décennies n’a pas peu participé à noircir leur portrait, bien que soutenu  par une  bande son très sautillante  : youtube.com/watch?v=FBPZxPIyw9s

    Cette peur en grande partie infondée, tout de même l’Amérique du Sud c’est très loin, a participé à la méconnaissance de leurs moeurs, à leur rejet alors que les vampires  ont acquis au fil de leur histoire un art de vivre et de cohabiter qui mérite d’être rapporté, voire serve d’exemple et encourage à les imiter.

    Les colonies de vampires sont de véritables phalanstères qui réunissent de quelques dizaines jusqu’à deux mille individus dans une grotte, une caverne; ou tout lieu reculé propice au repos diurne de cette gent ailée qui ne s’active que la nuit venue. On y trouve des sections réservées aux femelles et aux petits qu’elles élèvent qui s’avèrent d’une grande stabilité dans sa composition. La durée de vie d’un vampire est de l’ordre d’une quinzaine d’années, et ces gynécées réunissent les mêmes individus tout ce temps. Ce n’est pas le cas des mâles dans le quartier qui leur est réservé : ils changent souvent de résidence et alors que des liens de proximité parentale existent dans le groupe des femelles, mère-fille, tantes er grands-mères et leur progéniture, les « candidats »  pères appartiennent à différentes lignées et ils papillonnent d’un refuge à l’autre leur vie durant.. 

    Vampire (photo Oasalehm, Smithsonian) et une colonie (Photo Sutterstock. com)

     

    Chaque femelle donne naissance à un jeune unique qu’elle allaite 6 mois tout en lui servant régulièrement un complément alimentaire de sang qu’elle régurgite dans son gosier. Les mères coopèrent dans l’élevage des petits qui n’atteindront l’âge adulte qu’à un an. Et pas seulement dans leur surveillance. Si d’aventure l’une d’elles n’ a pas pu se nourrir et absorber une quantité de sang suffisante lors de sa chasse nocturne, une de ses congénères fera cantine pour elle et servira à l’affamée un repas de substitution. 

    A ces qualités d’altruisme qui ne sont pas rares dans le monde animal, il est venu s’en ajouter une nouvelle liée au combat que ces animaux doivent livrer face aux risques d’épidémie que les colonies de vampires comme tant d’autres subissent régulièrement. Et c’est une étude expérimentale  qui est venue en faire la démonstration.

    Les chercheurs ont étudié une colonie d’une centaine de  vampires (Desmodus rotondus) qui séjourne dans le Nord du Belize , ex Honduras Britannique, dont la résidence est un arbre creux avec plusieurs issues (1). Ils y dorment, se reposent et élèvent leurs petits durant le jour, entre  6 heures du matin et 6 heures du soir. La nuit ils partent en chasse pour se nourrir.

    Dans un premier temps, pour contrôler les activités de ces vampires,  ils ont colmaté toutes les sorties à une seule exception afin de surveiller les allées et venues nocturnes des animaux en l’obstruant par un filet aux fins de marquage des sujets qui s’échappaient du lieu. La nuit venue ils ont ainsi capturé les mâles, les premiers à s’envoler, puis les femelles qui ont suivi. Au total ce sont une centaine d’animaux qui ont pu être enregistrés. De fait, ils se sont surtout intéressés aux  41 femelles qui ont été marqués et repérés, pour être suivis par la suite dans leur déplacements et rapprochements à l’intérieur de leur séjour. Dans la suite de leurs observations, ils ont réouvert les autres issues et les animaux ont pu dès lors s’adonner à leurs sorties nocturne quotidiennes sans obstacle et surtout sans être perturbés.  

    Après une période de contrôle au cours de laquelle a été dressée une « carte référentielle » des contacts entre femelles au quotidien dans leur repaire, ils ont injecté chez 16 d’entre elles des doses de lipopolysaccharide (LPS). Sans être pathogène, cette molécule induit des comportements fiévreux d’apparence pathologique. Chez 15 autres ce sont des injections d’une solution saline neutre qu’elles ont reçues. Dans les  3 jours qui ont suivi ils ont pu observé et quantifié par un protocole adapté les modifications de comportement induites par les deux traitements. grâce à des enregistreurs de leurs déplacements. Cette technologie permet de tracer en temps réel les contacts inter individuels et de les visualiser dans des graphiques.

    Se fondant sur la collecte des données effectuées sur une période de plusieurs jours après injection des produits sus-nommés, on s’aperçoit que les animaux « malades » ont moins de relation avec les autres et leur comportement social dans les échanges est diminué. En chiffre cela se traduit par le constat qu’une femelle fiévreuse a quatre fois moins de contacts avec ses partenaires habituels que d’ordinaire. Par ailleurs ces mêmes individus traités à l’LPS dorment plus longtemps, se déplacent moins, s’isolent du groupe et ne participent pas aux séances collective d’épouillage (grooming) qui sont fréquentes aussi bien chez ces vampires que dans d’autres communautés de mammifères. 

    Lorsqu’un pathogène est en cause, , virus, bactérie ou parasite, en adoptnnt ces règles de distanciation, sa propagation dans une colonie est d’évidence freinée, le taux de contagion ralenti et avec lui le risque de contagion. 

    Dans une précédente chronique j’avais repris en conclusion l’injonction d’un groupe de chercheurs « Imitons les chauve-souris » https://scilogs.fr/histoires-de-mammiferes/des-la-rentree-tous-a-lecole-des-chauve-souris/

    Je réitère le conseil. Mais ne tardons pas trop.

    1). S.P. Ripperger, S. Stockmaier,G. G. Carter. 2020. Tracking sickness effecte on social encounters via continuous proximity sensing un wild vampire. bats. Behavioral Ecology. XX(XX), 1–7. doi:10.1093/beheco/araa111