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Les virevoltes du guépard

Sprinter le plus véloce, c’est en ces termes que le plus souvent on nous décrit ce très élégant carnivore. Comme si enfermé dans son couloir, le guépard n’était capable que de vitesse linéaire sur un parcours limité, quitte à s’écrouler épuisé sur la ligne d’arrivée.
Rien n’est plus faux. La course du guépard, est certes la plus rapide au monde, mais c’est certainement aussi la plus déjantée : l’animal est capable de virages sur l’aile, contre pieds, cabrioles, zigzags, sauts en tout genre, le tout à très, très grande vitesse, exécutés lors de poursuite de ses proies. Un vrai TGTTV en somme : Très Grand Tortillard Très Grande Vitesse. Pour preuve cette vidéo où l’on excite un guépard grâce à un leurre à faire preuve de ses capacités manœuvrières :
https://www.nytimes.com/video/science/100000002459297/sciencetake-the-cheetahs-agility.html
Chronomètre en main, on sait qu’il est capable de pointes à plus de 90 km/heure avec une moyenne aussi soutenue que virevoltante de l’ordre de 50 km/heure. Un as de l’enduro…
Du haut de ses 40 kg, son but est de courser gazelles et impalas de moins de 55 kg, les déséquilibrer, puis les étouffer pour s’en repaître.
On se dit que pour courir de la sorte, ce n’est pas qu’une question de pattes. Il faut aussi que le guépard garde son assiette et ne perde pas de vue son but, la victime qu’il convoite, quel que soit les détours qu’elle emprunte. Ainsi doit-il virevolter dès qu’elle change de cap, à l’occasion freiner des quatre fers et rebondir dans l’instant sans perte d’aplomb et d’équilibre tout en gardant dans le viseur son but.
Et l’on vient de découvrir que les guépards d’aujourd’hui possèdent un gyroscope interne pour les stabiliser dans leurs courses plus performant qu’il y a une centaine de milliers d’années à peine (1).
Cet organe de l’équilibre est situé au plus profond de l’oreille interne, dans l’os pétreux. Ses principaux composants sont les trois canaux osseux semi circulaires dans des plans perpendiculaires perchés sur le vestibule, ou limaçon. Parcourus d’otolithes, ils sont tapissés de cellules sensitives innervées d’un dense réseau nerveux
Une fois de plus ce sont les progrès de l’imagerie en 3D qui nous révèlent ces modifications anatomiques survenus aux temps modernes. D’évidence le guépard d’aujourd’hui possède un appareil auditif plus performant, plus développé et sensible que celui de son ancêtre d’il y a une centaine de milliers d’années.

A gauche situation de l’organe de l’équilibre chez le guépard (document AMNH). A droite, six vues mettant en évidence les différences de forme du vestibule (en bleu) et de volume du limaçon entre guépard fossile , en grisé, et l’actuel (réf 1). Alors des fois çà marche et il surprend sa proie : https://www.youtube.com/watch?v=30UaROwbA8Y
Et le carnivore est assuré d’un repas.
D’autre fois il essuie un échec et repart le ventre vide et l’oreille basse, c’est le cas de le dire : https://www.youtube.com/watch?v=jDtDsMjCoKM
Et si certaines de ses proies pour s’en défendre avaient construit pour lui échapper un gyroscope directionnel tout aussi performant que celui du guépard ? Dans le langage des humains, cela s’appelle la course aux armements. Chaque adversaire développe des technologies de plus en plus perfectionnées pour contrecarrer celles que son ennemi met au point.
Pourquoi antilopes et impalas, victimes désignées de longue date du guépard ne perfectionneraient-elles aussi leurs systèmes de défense contre ses ennemis, et en particulier leurs propres gyroscopes pour virevolter mieux et plus haut ?
Il est probable que les chercheurs vont s’attacher à creuser la question.
Voici un demi siècle, on se doutait bien qu’il avait tout faux le Guépard, héros de Lampedusa, quand il déclarait « tout change et rien ne change ». On en a la preuve ici. Pour survivre, il faut sans cesse s’adapter, aussi bien dans la nature que chez les aristocrates de Sicile. Du moins si l’on souhaite laisser un héritage.
.(1) G. Grohée et al. 2018. Recent inner ear specialization forhigh-speed hunting in cheetahs. ScieNtific REPOrTS | (2018) 8:2301 | https://www.nature.com/articles/s41598-018-20198-3
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Hydrodynamique de la déjection

Quel que soit le volume, la forme ou le poids de ses fèces, voire le diamètre et la longueur de son rectum, et bien sûr sa taille, le temps moyen de défécation d’un Mammifère est relativement court : 12 ± 7 secondes. C’est la conclusion d’une étude récente de physiciens hydrodynamiciens qui ont étudié un groupe d’animaux du zoo d’Atlanta, Géorgie (1).
On se souvient des lois de miction établies par cette même équipe qui en 2014 étudia avec précision le sujet https://scilogs.fr/histoires-de-mammiferes/la-loi-de-miction-des-mammiferes/
Ses mérites furent reconnus et salués en leur temps par l’obtention d’un IgNobel Prize. Aujourd’hui les mêmes se sont penchés à une autre extrémité du corps des Mammifères, proche de la première, pour en jauger avec des méthodes similaires et la même rigueur les capacités défécatoires. Ces physiciens spécialistes de l’hydrodynamique ont choisi pour terrain d’expérience quelques animaux domestiques de leur entourage, glané des vidéos sur la toile, et surtout ont étudié de près les pensionnaires du zoo d’Atlanta, Géorgie. Cette institution fondée en 1889 s’est rendue célèbre en accueillant les premiers pandas que la Chine à son réveil confia en 2008 à des Américains du Nord. Choix judicieux puisque quelques années plus tard ces invités de marque ont donné naissance à des jumeaux, deux adorables petits pandas dont les débuts dans la vie furent médiatisés alors même qu’ils n’étaient qu’embryons. Bien évidemment le panda fait partie du panel d’animaux choisis par les chercheurs, avec à ses côtés l’éléphant, le gorille, le rhinocéros et l’hippopotame, pour ne citer que les hôtes les plus remarquables de ces lieux dont on a suivi de près la vie intime.
Pour comprendre et analyser le mode et le temps de défécation des uns et des autres, ils n’ont pas craint de mettre en place des caméras de surveillance à différents points stratégiques pour rendre compte et archiver ces moments forts de la vie animale. D’autant que ces événements de leur quotidien se produisent un peu à l’improviste, de jour comme de nuit. Toute cette documentation est disponible et peut être consultée sur le site de la bien nommée revue « Soft Matter » publiée sous les auspices de la Royal Society of Chemistry. Pour mettre en exergue l’intérêt de ce travail, les responsables éditoriaux n’ont pas hésité à faire appel à un illustrateur reconnu pour la page de couverture de la publication où il est fait un bilan de ces rechercehes.

British humour Pour conduire l’étude, des critères et protocoles stricts ont été suivis. Ainsi ont-ils scrupuleusement adopté la Bristol Stool Chart de 1997 qui établit une typologie des fèces qui depuis fait autorité. Dans ce référent universel, 7 différents types de crottes sont classés et définis depuis le type 1, les plus compactes, à 7 pour les plus liquides.
Bien évidemment, alors que les observations se sont poursuivies durant de longues semaines, il a été tenu compte aussi des périodes de diarrhée ou de constipation que les animaux ont enduré durant toute l’étude. Ce qui explique en partie la forte marge d’erreur par rapport à la moyenne relevé (± 7 secondes).
En amont de ces observations, grâce à l’emploi de marqueurs radioactifs et par radiographie, il a été possible de mettre en évidence les différentes étapes de solidification des fèces durant leurs parcours dans l’intestin jusqu’à la dernière étape, le rectum. Quelques images à ce sujet figurent dans l’article. Mais une banque de données d’imagerie gastro entérologie animale serait très utile, en particulier pour les vétérinaires : leurs patients, à l’inverse de leurs maitres, restent muets sur les embarras qu’ils connaissent, et cette bibliothèque imagée de boyaux en action peut utilement les renseigner.
La première question fut justement d’essayer de mettre en relation forme et volume des fèces avec les anatomies du rectum des différents animaux étudiés.
La deuxième étape de leur recherche a consisté à établir un bilan poids des fèces / taille de l’animal / temps de déjection afin d’en extraire une « loi » expérimentale. Les observations et le modèle qui en résulte sont ici illustrés..

Droite de corrélation entre masse du corps (Kg) et durée de défécation (seconde). Nombre d‘espèces : 23. En pointillé la droite expérimentale et en trait continu la droite théorique (réf. 1) Si la courbe expérimentale montre que l’éléphant est à peine plus rapide que le chat alors que d’évidence il évacue des fèces plus volumineuses, celle théorique est rigoureusement horizontale. Nous les Mammifères, quel que soit notre poids, déféquons en 12 secondes, chronomètre en main.
On constate que la droite théorique est quasi parallèle à l’axe y. Il est possible que la marge d’erreur relevé sur la droite expérimentale soit due aux aléas digestifs (diarrhée et constipation) qu’ont traversé les animaux comme suggéré plus haut.
Il faut aussi se dire que tout animal sur le point de déféquer, quelles que soient les circonstances, lorsque le moment est venu doit s’exécuter, et il est alors en position de vulnérabilité. Seulement attentif à libérer ses intestins. il risque la surprise d’une attaque. Raccourcir le temps de déjection est donc un impératif vital pour la survie de son espèce. Dans la nature, l’avenir n’appartient pas aux constipés.
Après avoir étudié avec la même rigueur le pipi puis le caca, le champ des recherches de ce groupe de physiciens devrait s’étendre dans les prochaines années à d’autres sujets : la sudation, l’éjaculation, la menstruation, la lactation, sans oublier le larmoiement. Mais alors pour aborder cette dernière question, il leur faudra provoquer bien des chagrins. C’est dommage. Car jusqu’ici ils nous ont plutôt ravis.
(1) P.J. Yang et al. 2017. Hydrodynamics of defecation. Soft Matter, 2017,13, 4960-4970. DOI 10.1039/C6SM02795D
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La nuit, tous les chats ne sont pas gris

La nuit, il n’y a pas que les sons et les odeurs qui guident les animaux et les aident à s’éviter ou se reconnaître : il suffit d’un rayon de lune, d’un nuage qui court et découvre les étoiles, pour que les parures bigarrées de plumes ou de poils des uns et des autres deviennent autant de signaux lumineux riches de sens (1). Dès lors les salles obscures du théâtre de la vie empruntent aux Lumière leurs recettes, avec en supplément des signaux cryptés.
S’ils sont oiseaux, ils préfèrent le jour, alors que les mammifères sont des nocturnes presque obligés, et ce depuis on peut dire la nuit des temps, l’époque qui les vit naître les uns et les autres, au Secondaire. Alors on a longtemps cru que pour s’éviter, se rencontrer, se poursuivre, les uns diurnes obligés autant que la nuit seyait aux autres, tous n’avaient que deux moyens de communiquer au coucher du soleil : les sons et les odeurs. C’était oublier un peu vite que la nuit n’est pas faite que d’ombre : il suffit que la lune apparaisse pour qu’un plumage ou une robe de poil envoie des signaux lumineux et qu’une conversation s’engage, côté cour ou côté jardin, à moins que la fuite permette aux protagonistes de s’épargner et de rejoindre les coulisses.
Chez les mammifères, les mieux équipés pour se rendre visibles dans l’obscurité sont les petits et moyens carnivores. Le masque du blaireau, de la moufette ou la parure de la civette sont les meilleurs exemples.

Blaireau, moufette, civette On peut se dire qu’ils sont en compétition directe avec les grands carnivores, et que c’est peut-être pour eux sur les terrains de chasse partagés, un moyen de prévenir de leur présence ces concurrents mieux armés, sans pour autant déclencher une guerre : en cas de rencontres inopinées, il vaut mieux s’éviter que de risquer s’écharper.
Ils ne sont pas les seuls à porter un masque qui n’a rien de vénitien puisqu’au lieu de dissimuler il est une carte de visite riche d’infos. Parmi eux on compte certains de nos cousins primates, loris, lémurs et aye-ayes, qui ont des habitudes nocturnes et un faciès rayonnant. Mais le lérot, l’ours à lunettes et tant d’autres de mêmes mœurs sont maquillés aussi pour mieux surprendre et se signaler dans la pénombre. Bijoux de strass et de paillettes n’ont-ils pas même fonction chez les noctambules urbaines ?

Frimousses de loris, lérot et aye-aye Ces parures et masques sont surtout efficaces aux deux bouts de la nuit, le moment où l’activité est intense, le crépuscule et l’aube.
Mais il est aussi beaucoup des affiliés du peuple mammalien de la nuit qui ont un atout imprévu pour repérer les autres et se guider dans le noir en évitant le pire, une espèce de talent secret : l’aptitude à percevoir le rayonnement ultraviolet (2).
Quels avantages retirent-ils de ce don ? Comme la rétine des humains est incapable de percevoir ces longueurs d’onde, c’est un subterfuge qui va nous éclairer, et c’est à l’aide d’un boitier d’appareil photo sensible aux UV qu’une chercheuse dans le grand Nord Canadien nous fait littéralement partager le point de vue du caribou : il est capable sur la neige de distinguer mieux que quiconque un loup, pourtant revêtu de son pelage hivernal : https://www.youtube.com/watch?v=nke5c7Nml_8
Les rennes de Laponie et d’ailleurs peuvent aussi repérer dans la nuit polaire les ours blancs. Mais on ignore si le carnivore a les mêmes facultés.
Caribous et rennes ne sont pas les seuls à percevoir les rayons ultraviolets : nos compagnons chiens et chats ont les mêmes aptitudes, sans pour autant être à égalité dans ce domaine. Si l’on propose à un chien de traverser un labyrinthe plongé dans l’obscurité, il met plusieurs minutes à franchir les chicanes et à s’en sortir, alors qu’un chat, dans les mêmes conditions, ressort du piège sans encombre en quelques secondes.
A propos de nos matous, souvent on se dit que c’est leurs pupilles dilatées qui fait qu’ils distinguent mieux que quiconque rats et souris la nuit venue. Pas seulement. Leur vision du monde est bien différente de la notre. Et si de jour nous percevons mieux notre entourage, d’évidence la nuit appartient aux chats https://www.youtube.com/watch?v=FRci0Kbk33o
1) Penteriani V, Delgado MM. 2017 Living in the dark does not mean a blind life: bird and mammal visual communication in dim light. Phil. Trans. R. Soc. B 372: 20160064.
http://dx.doi.org/10.1098/rstb.2016.0064
2) Douglas RH, Jeffery G. 2014 The spectral transmission of ocular media suggests ultraviolet sensitivity is widespread among mammals. Proc. R. Soc. B 281: 20132995. http://dx.doi.org/10.1098/rspb.2013.2995
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Pourquoi les dauphins d’eau douce ont-ils la même trombine ?

Aux quatre coins du globe, dans les grands fleuves d’Amérique et d’Asie, on peut croiser des dauphins inféodés à l’eau douce et maitres de ces lieux. Hélas pour peu de temps : cette poignée d’espèces est en sursis, reliquat d’un âge d’or qui vit dans les grandes voies fluviales qui drainent les continents surgir et prospérer dans ces différents biotopes des cétacés venus des proches océans qui se sont adaptés à la vie en eau douce et ne l’ont plus quitté.
La diversité de leurs appellations et de leur situation taxonomique reflète l’histoire de leurs origines : c’est en différentes occasions que des dauphins qui jusque là vivaient en milieu marin ont conquis à différentes époques, ici l’Amazone et d’autres tributaires qui drainent le continent sud américain, là les fleuves d’Asie descendus des Himalaya, pour faire court l’Indus, le Ganges et le Yang Tsé. La carte ci dessous rend compte de leur prospérité actuelle. Mais le registre fossile révèle qu’elle n’est que la partie émergée d’un iceberg qui dans les temps anciens fut plus riche.

Répartition des dauphins d’eau douce L’image suivante est l’arbre phylogénétique qui reflète les relations de parenté de ces sept espèces et propose de les répartir en pas moins de quatre genres et familles distincts. Chacune (en bleu) s’est individualisée voici au moins une bonne quinzaine de millions d’années, au Miocène.

Phylogénie des dauphins de mer et d’eau douce Ces dauphins d’eau douce issus de différentes souches d’une part sont très différents d’aspect des formes marines, mais entre eux présentent bien des ressemblances (1). Le schéma suivant met en exergue leurs ressemblances qui concernent plusieurs organes.
Toutes ces similitudes sont indiquées par un rond et un point sur la figure :
– Les yeux sont petits ;
– Le cou est flexible
– Les nageoires (flippers) sont élargies
– La symphyse mandibulaire est allongée
– Le museau est long et forme un rostre
– Sur les mâchoires les dents sont plus nombreuses que chez les dauphins de mer et espacées ; lorsque l’animal referme sa gueule forment une nasse.
– Les arcs zygomatiques sont allongés
– Les os nasaux sont dans le prolongement des processus zygomatiques
Tous ces dauphins d’eau douce chassent pour s’en nourrir le menu fretin des fleuves, et ont adopté la même technique que celle d’un autre habitant des fleuves d’Asie, le gavial, qui a les même goûts et la même gueule : il ravage les bancs de poisson en l’ouvrant largement pour les piéger dans cette nasseOn peut donc envisager que l’allongement du museau constaté chez ces Vertébrés est une adaptation à la capture des poissons qui vivent en bancs dans les fleuves et rivières.
Pour essayer d’y voir plus clair sur ce problème de convergence entre dauphins d’eau douce par delà le temps, une analyse cladistique classique est inopérante. Cette méthode ne tient pas compte de la dimension historique de l’évolution, elle masque plus qu’elle ne met en exergue les points d’achoppement de ces questions.
Aussi les chercheurs cités ici ne s’en sont pas tenus au seul catalogage des ressemblances. Ils ont souhaité approfondir le problème. Dans ce but ils ont réalisé une étude morphométrique précise pour évaluer le degré de ressemblance entre les crânes des différentes espèces de dauphins d’eau douce et celles marines. Pour cela , sur les crânes des différents genres ont été choisis des points repères, puis collectés les mensurations et traités ces données en 2D par les méthodes morphométriques et statistiques classiques (Procrustes ANOVA).
Cette étude a permis d’une part de quantifier les différences observées entre espèces, et d’autre part de mesurer le degré de ressemblance entre les deux groupes dauphins d’eau douce et dauphins de mer.
Sa conclusion est claire : il s’avère que tous les dauphins d’eau douce sont plus proches entre eux que ne le sont les formes marines, et ce en dépit de leur éloignement phylogénétique. Issues de rameaux différents, toutes ces espèces ont néanmoins adopté les mêmes solutions anatomiques pour construire un crâne adapté à leurs nouvelles conditions de vie. Et c’est là le fait le plus troublant et la question centrale qui doit être maintenant élucidée : quels mécanismes morphogénétiques sont capables à des millions d’années de distance de réaliser les mêmes plans pour construire des structures anatomiques destinées aux mêmes fonctions ?
Il se trouve que l’actualité paléontologique du moment vient de nous offrir récemment un autre exemple de convergence : à plus d’une centaine de millions d’années de distance, du Mésozoïque au Cénozoïque, différentes lignées de Mammifères à poil et sang chaud, non Euthériens, Marsupiaux, Placentaires, toutes à un moment ou un autre se sont adaptées au vol plané. Toutes ont construit un appareil d’ancrage des membres supérieurs solide pour soutenir la membrane alaire, un train d’atterrissage résistant, un parachute souple haute performance pour aller de branche en branche, et de plus d’évidence toutes possédaient ou possèdent encore aujourd’hui un système de guidage performant. Aujourd’hui ce sont le phalanger, les colugos, les écureuils volants et autres. Hier c’étaient les Volaticotherium du Crétacé et d’autres espèces du Jurassique.
Cette autre histoire de convergence vous sera contée dans le Dinoblog. Alors, à suivre…
(1) C.E. Page et N. Cooper. 2017. Morphological convergence in « river dolphin » skulls. PeerJ 5:e4090; DOI 10.7717/peerj.4090
Nota : toutes les figures exceptée la dernière sont empruntées à l’article cité.
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Les vocalises de dame souris sont sexuelles…et de messire aussi !

La gent trotte menu a son langage. Mais il nous est inaudible car c’est par ultrasons que les souris de nos maisons conversent. Grâce aux technologies modernes, il est possible d’enregistrer, analyser et comprendre certaines de ces vocalises. Et il s’avère que le sexe tient une grande place dans leurs conversations. Il y a un temps où mâles et femelles papotent entre eux et entre elles. Mais dès qu’il s’agit d’amour, c’est d’un tout autre registre dont usent les un.es et les autres, à moins que ce ne soit l’inverse (1).
« Cri de souris » est une expression populaire si triviale qu’elle n’a de sens que pour nos oreilles : ces stridulations ne sont émises par nos minuscules hôtes qu’en cas de danger imminent, de surprise, voire de terreur, et destinées à décontenancer un adversaire de taille., comme illustré ci dessous, qui s’empressera peut-être de répondre sur le même ton.

Qui crie le plus fort et saute le plus haut ? jupiterimage Ce n’est pas de ces débordements sonores publics qu’il va être ici question. Mais à l’inverse, des conversations très privées et quotidiennes des souris de nos maisons, Mus musculus musculus, que notre Jean de la Fontaine a si souvent mis en scène et fait dialoguer, bien qu’il ignorât tout de leurs grammaire et lexique. A l’impossible nul n’est tenu, le talent suffit.
Aujourd’hui il est devenu possible, si ce n’est de leur prêter l’oreille, au moins d’enregistrer leurs discours et leurs chants dans des studios construits et équipés à leur mesure. Ainsi au fil des ans, on s’est aperçu que la richesse des vocalises de la gent trotte menue était toute aussi variée que celle des oiseaux https://www.youtube.com/watch?v=_P2MtDNWX0Y
De là à dresser un répertoire des expressions courantes, de la grammaire et de la syntaxe que révèlent ces phonogrammes très précis, les chercheurs ne s’en sont pas privés. Jusque par des imitations cibler les réactions que telle ou telle vocalise suscite dans le petit peuple des caves et greniers.
Cette quête, un peu à l’aveugle il faut bien l’avouer, rappelle celle qu’a exercé certaine agence de renseignement, la CIA, sur les émissions sonores codées des sous-marins soviétiques au temps de la guerre froide sans jamais y comprendre goutte…Mais les éthologistes rodentologues sont plus malins que les soit disant espions, qu’il viennent du chaud ou du froid. Car eux d’abord n’ont pas de doute : les souris ne fomentent aucun complot, et si elles discutent, c’est pour échanger des propos qui engagent leur vie courante. Autrement dit, leurs discours par essence doivent être intelligibles. C’est d’ailleurs ce que révèle l’analyse de leurs vocalises que l’on peut ranger en deux catégories : il y a un temps où on papote entre gens de même sexe ; un autre où l’on s’adresse à l’autre, autrement dit où l’on parle d’amour. Deux vocabulaire, deux syntaxes, deux grammaires bien différents. Et la diversité des signaux sonores répertoriés dans les phonogrammes en témoignent.
Comme chez nous, il y a des Callas et des Pavarotti qui savent de faire entendre et écouter de tous. Et puis des choristes dont les talents ne sont pas négligeables. Il n’empêche que la majorité du peuple des souris sans être silencieuse n’est guère loquace, et a un registre peu étendu.
Mais au fait talent oratoire et succès reproductif sont-ils corrélés ? La question reste ouverte.
(1) Zala SM, Reitschmidt D, Noll A, Balazs P, Penn DJ (2017). Sex-dependent modulation of
ultrasonic vocalizations in house mice (Mus musculus musculus). PLoS ONE 12(12):
e0188647. https://doi.org/10.1371/journal.pone.0188647
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Yeti = Ours : ADN.
C’est le message et sa signature envoyés par des biologistes à tous les fans de l’Abominable Homme des Neiges, y compris les Tintinophiles (1). Beaucoup de bruit pour rien est mon avis. Et pas sûr que ces neuf preuves de l’existence du dit convainquent les uns et les autres. Jusqu’à se demander si ce type de quête mérite que l’on y consacre attention et crédits.
Après la course au yéti dans les Himalaya, il faudra organiser celle à son pendant américain Big Foot, et puis à toutes les bestioles qui peuplent les contes et légendes d’ici et d’ailleurs. Dans la foulée pourquoi ne pas lancer des expéditions pour retrouver l’arche de Noé, le palais de la Reine de Saba ou le tombeau de Jésus ?
Dans cette quête onirique, une seule mérite que l’on y consacre attention : la Bête du Gévaudan. Le loup est bien de retour dans nos campagnes. Bergères et bergers réapprenez à vous en défendre sans attendre d’autre secours
(1) Lan T, Gill S, Bellemain E, Bischof R, Nawaz MA, Lindqvist C. 2017. Evolutionary history of enigmatic bears in the Tibetan Plateau–Himalaya region and the identity of the yeti. Proc. R. Soc. B 284: 20171804. http://dx.doi.org/10.1098/rspb.2017.1804
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La souris Mathusalem est en marche… mais les Amish la précèdent !

Combattre le vieillissement est la hantise de bien des docteurs Faust anciens et modernes. Ce long tunnel de l’ignorance et de l’espoir serions-nous en train d’en voir l’issue ? Des spécialistes qui bichonnent et observent de petites souris de laboratoire à longueur d’année viennent d’ouvrir une piste. Ils proposent de provoquer à coups de pharmacopées l’élimination et l’expulsion des cellules en fin de vie de l’organisme pour combattre son vieillissement (1). Dans le même temps, une autre équipe révèle qu’une communauté Amish de l’Utah possède une mutation unique dans son génome qui lui assure une longévité exceptionnelle (2).
Ce sont donc deux voies à première vue bien différentes qui s’ouvrent pour tenter de résoudre ce très vieux problème : l’une, classique, propose des médications anti âge, alors que l’autre fait appel à l’inné pour gâter ses élus d’une durée de vie hors du commun.
Des souris vers les hommes, franchissons le pas.
Paradoxalement, comme souvent, c’est le constat du vieillissement prématuré de souris d’élevage qui a mis sur la voie de la cure de rajeunissement qu’il conviendrait de leur infliger pour que des ans ces souris là puissent réparer l’outrage (1).
L’espérance de vie d’une souris de laboratoire est de l’ordre de 24 mois, le double de celle d’une souris sauvage. Si elle peut survivre aussi longtemps, c’est parce qu’elle est dans sa cage dorée protégée des outrages du temps et de tout ennemi naturel, alors qu’une nourriture aussi abondante qu’équilibrée lui est servie.
Il n’empêche que contre toute attente, des spécialistes qui élèvent dans les meilleures conditions ces animaux de laboratoire ont constaté voici quelques années que certains lots montraient des signes de sénilité précoce. Leurs pensionnaires tout juste âgés de 3 mois développaient des cataractes, étaient précocement amaigris alors que leur pelage s’étiolait et se raréfiait.
Il leur a fallu plusieurs années d’études pour s’apercevoir que de fait ces sujets étaient frappés d’un mal étrange : les cellules sénescentes de différents organes (œil, rein, derme), au demeurant devenues incapables de se multiplier, néanmoins y perduraient et n’étaient pas éliminées. Dès lors, ils ont choisi de cibler leur attention sur ces cellules qu’ils ont qualifié de « zombies », devenues improductives pour l’organisme, néanmoins nuisibles à sa survie et donc malfaisantes.
En 2011, le même groupe de chercheurs a pu analyser avec précision les différentes étapes de ce processus de sénescence, en identifier les causes, et proposer des remèdes pour le combattre. Le processus mis en évidence et les modalités qu’ils préconisent pour sursoir à son déroulé sont résumés dans ces quatre croquis :

1. Le déclencheur ; 2. Les conséquences ; 
3. Eliminer pour survivre ; 4. Les tueurs de zombies. - Le déclencheur : des altérations ou la maladie et des signaux d’autres cellules en cours de développement peuvent provoquer la sénescence.
- Les conséquences : devenues sénescentes, ces cellules ne se divisent plus et rejettent les protéines en particulier les cytokines qui attirent les molécules immunitaires.
- Eliminer ou survivre : si le système immunitaire peut tuer les cellules sénescentes il permet aux tissus de se régénérer. Mais dans les tissus malades ou âgés, les cellules sénescentes continuent à se développer.
- Les tueurs de zombies : les anti sénolytiques permettent d’éliminer les cellules sénescentes au niveau des articulations, des vaisseaux sanguins du système cardio vasculaire ou de l’organe de la vision..
Les années suivantes, les ressources de la biotechnologie ont permis la mise au point d’un éventail de drogues dénommées « sénolytiques » qui détruisent les cellules sénescentes. Elles agissent en particulier avec succès dans les tissus pulmonaire et rénal ainsi que dans les articulations et en particulier inhibent l’action de protéines de la famille BCI-2. A l’échelle de l’organisme dans son entier, ces substances contribuent à en prolonger la survie. Et le gain de survie chez les souris traités avec ces drogues est de 25%. Ce qui veut dire que si l’on peut appliquer ces médecines aux humains, la longévité médiane des hommes et femmes dans les pays développés sera de l’ordre de près de 110 ans !
Les promoteurs de ces recherches son optimistes et ne doutent pas que dans un délai raisonnable ces liqueurs de jouvence ne soient disponibles en rang serré dans les échoppes grandes et petites où nous puisons nos réconforts et thérapies de tout ordre..
Quant à la longévité exceptionnelle observée chez un groupe d’Amish de l’Utah, eux n’auront pas théoriquement besoin d’avoir recours à ce type de prescription pour vivre longtemps : une mutation de leur génome les assure d’une survie de 10 ans supérieure à celle observée dans le reste de la population en Amérique du Nord (2).
Ce sont les télomères altérés de certains de leur gènes qui sont porteurs de cet espoir de survie nous explique-t-on : https://www.youtube.com/watch?v=Gmkk_fwI93g
Cette mutation a entrainé la perte d’une fonction dans le génome. Ce qui d’après ce que j’ai cru comprendre a même effet que la prise d’une drogue « sénolytique » telle que mise au point pour combattre le vieillissement des souris dont il est question dans la première partie de cet exposé.
Ainsi, comme suggéré dans le titre, dans la course à la longévité, les Amish ont une longueur d’avance, et ils le doivent à leurs gènes… et surtout à leurs mœurs !
On sait que leurs croyances enferment les membres de ces communautés religieuses dans un système de reproduction endogame favorable à l’apparition et au maintien de mutations qui dans les populations de large effectif seraient éliminées. Le plus souvent ce type de mutation due à l’endogamie d’un groupe s’avère délétère. Et chez les Amish, plusieurs « maladies génétiques » dues à leur isolement ont été répertoriées : nanisme, propension à développer le diabète, maladies cardio vasculaires et autres. Par ailleurs, les Amish redoutent et évitent tous les soins médicaux préventifs, y compris les vaccins. Aussi, le constat d’une longévité hors du commun chez un de leurs clans apparaît-il en contradiction avec leur hygiène de vie et leur repli. Il n’enn est que plus remarquable.
Peut-on espérer profiter de ce laboratoire naturel pour que se répande à plus large échelle ces qualités ? On peut en douter. Au demeurant, si les Amish se multiplient avec ardeur, ils se gardent des autres, et n’ont pas le gout d’éparpiller leurs gènes. Et si pour assurer sa progéniture d’une longévité pareille à la leur il faut entrer dans la ronde de cette communauté de reproduction, pour les volontaires fini le vingtième et unième siècle, retour au dix neuvième. Pour ma part, ils ne me semblent pas aussi rock n’ roll qu’ils le prétendent https://www.youtube.com/watch?v=9epblxwsgIs A mes yeux, le monde des Amish n’est pas Thélème.
Il n’empêche que ces études génétiques ne manquent d’intérêt dans la mesure où est mis en exergue à cette occasion l’influence pernicieuse d’une molécule bien identifiée, le PAI-1, responsable du vieillissement et sous contrôle de l’action de télomères devenus inactifs à l’issue de la mutation observée chez les Amish. Aussi, les auteurs de ces découvertes se targuent-ils à juste titre semble-t-il d’être pionnier dans ce domaine qui met en relation la perte d’influence d’un gène et ses conséquences physiologiques.
Pour vivre plus vieux et en meilleure santé, réduisons notre production de PAI-1. Et peut-être sera-t-il possible de mettre au point pour les humains une molécule anti PAI-1 à l’action de même nature que les anti BCI-2 que l’on sert aux souris.
(1) Scudellari. 2017. To stay young, kill zombis. Nature, vol 550, 448-450. 26 october 2017. doi:10.1038/550448a
(2) S. S. Khan, S. J. Shah, E. Klyachko, A. S. Baldridge, M. Eren, A. T. Place, A. Aviv,
- Puterman, D. M. Lloyd-Jones, M. Heiman, T. Miyata, S. Gupta, A. D. Shapiro, D. E. Vaughan,. A null mutation in SERPINE1 protects against biological aging in humans. http://advances.sciencemag.org/content/3/11/eaao1617.
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A mes vaches, j’offre le parfum Antilope N° 5

Ce slogan publicitaire, on pourrait le diffuser chez les éleveurs de bovins de l’Afrique subsaharienne. Leurs troupeaux sont décimés par les maladies transmises par la mouche tsétsé. Une nouvelle technique propose de faire porter aux vaches un collier diffuseur d’un répulsif qui éloigne les insectes piqueurs. La composition de cette fragrance imite celle émise par l’antilope kob qui vit dans le même environnement que les animaux domestiques et les protège de l’infection. L’adopter signifie vacciner les animaux domestiques contre un mal endémique en utilisant un subterfuge que la faune sauvage a sélectionné.

Antilope kob dans le bush et vaches avec leurs colliers anti tsétsé Vecteur de trypanosomes qui provoquent le nagana, maladie aussi invalidante et mortelle chez le bétail que ne l’est la maladie du sommeil chez les humains, la mouche tsétsé fait des ravages dans les troupeaux de bovins d’Afrique Centrale et du Sud et limite l’extension de leur élevage. « Demandons conseil aux antilopes » se sont dits les éleveurs qui savent que les grands herbivores sauvages sont peu affectés par ce mal.
Il se trouve que les antilopes non seulement appartiennent à la grande famille des bovidés comme nombre d’espèces domestiquées, mais de plus fréquentent le bush, ce même milieu, où s’est développé l’élevage des vaches et des bœufs au Kenya et dans les reste de l’Afrique, pour le lait que la viande, et que l’on utilise aussi dans les travaux des champs. Les mouches piqueuses friandes de leur sang les suivent à la trace et leur transmettent des trypanosomes vecteurs de maladie qui font des ravages dans leurs rangs. Jusque là pour s’en défendre, les paysans n’avaient pour seul recours que d’installer des pièges à insectes dispersés dans la brousse, ou d’allumer des fumigènes à proximité de leurs bétails pour les éloigner.
S’ils ont porté leur regard sur l’antilope kob, c’est parce qu’elle n’est pas affectée par les maladies et qu’elle est aisément repérable par la forte odeur de musc qui en émane. Et ils ont découvert que ce fumet très particulier qui se dégage de son pelage comporte une série de composants qui éloignent les mouches piqueuses et les protègent de leur agression. Et c’est ainsi qu’ils ont été amenés à en analyser la chimie pour la reproduire.
L’étude de ce composé complexe effectué, les mêmes molécules ont été utilisées pour fabriquer des doses de répulsif dont on garnit des petits réservoirs diffuseurs attachés aux colliers des bœufs et vaches.
L’efficacité de la méthode préconisée se révèle dans les chiffres : 80% des animaux équipés ne développent aucune maladie parasitaire provoquée par les trypanosomes transmis par la mouche tsétsé. Pour ce qui est des animaux utilisés pour la traction de charrues ou le convoyage, le risque de les voir contaminer est aussi largement diminué. Ainsi pourra-t-on étendre la surface des zones d’élevage et agrandir les troupeaux. Eu égard la démographie de ces pays, il devient urgent d’augmenter les ressources alimentaires locales, et c’est donc là une bonne nouvelle.
Dans les mêmes environnements vivent nombre d’herbivores sauvages qui comme les antilopes kob sont peu affectés par ces parasitoses. On peut supposer que certaines de ces espèces se trouvent naturellement protégées parce qu’elles ont le cuir épais : les girafes, les proboscidiens, les rhinocéros. D’autres ont adopté une autre stratégie : c’est l’apparence de leur pelage qui déroute les insectes piqueurs et c’est en particulier le cas des zèbres https://scilogs.fr/histoires-de-mammiferes/quelles-zebrures-pour-le-zebre/
(1) Saini RK, Orindi BO, Mbahin N, Andoke, JA, Muasa PN, Mbuvi DM, et al. (2017) Protecting cows in small holder farms in East Africa from tsetse flies by mimicking the odor profile of a non-host bovid. PLoS Negl Trop Dis 11(10): e0005977.
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Chats vous intéressent ?

Il y a des chats partout. Jusque dans mon lit. Et malgré ce, pas toujours de bonne humeur. D’où est partie cette vague de petits félins si séduisants et câlins qu’il n’est guère de foyers de par le monde qui n’accueille un de ses membres ? Et de plus, quelle indépendance d’esprit ! A se demander qui est l’hôte de qui ! Alors on se dit qu’heureusement notre belle langue française a prévu pour ce type de cohabitation au moins deux mots à double sens : ils sont nos hôtes ou convives et nous sommes les leurs, et l’inversion des rôles est la règle, signifiée d’un simple coup de patte (1).
Depuis quand dure cette cohabitation entre Homo sapiens et Felis sylvestris ? Et peut-on dire qu’elle est le résultat d’un processus de domestication d’un animal sauvage comme il en est tant d’autres ?
Mon cas personnel sera vite réglé : « Ecaille de tortue » tolère notre présence depuis une dizaine d’années et elle n’est domestique qu’à ses heures, pas forcément les nôtres.
Du particulier allons au général pour d’abord se demander chez quelle(s) espèce(s) sauvage(s) ce déferlement a sa source. A l’occasion successivement interroger la carte de répartition des chats sauvages qui nous entourent, consulter les archives archéologiques, et suivre au plus près les empreintes génétiques que les matous ont inscrites au sommier de leur arbre généalogique (2). Et on va voir que c’est une affaire compliquée ! Le chat a bien su cacher son jeu, peut-être sans le vouloir, à moins que les fausses pistes qu’il trace ne soient des ruses pour se faire plus aimer.
Cinq sous espèces de chat sauvages ont été identifiées et chacune occupe une zone géographique bien définie, encore que des chevauchements et échanges de l’une vers l’ autre sont possibles et même fréquents (fig.1).

Carte de répartition des 5 sous espèces de chats (extrait de réf. 2) Une précision qui concerne le coin gauche de cette carte : l’Écosse. Dans cette région survit une sixième sous espèce ou espèce qui a failli succomber sous les coups des « garde-chasses » locaux et autres ennemis des « vermines » susceptibles de priver les Nemrod britanniques du « gibier » de poil ou de plume : un préposé pour 20 km2 ! C’est une autre histoire de chat que je servirai dans une autre occasion.
Pour l’heure, concentrons nous sur les cinq sous espèces géographiques officiellement reconnues et demandons nous si l’une ou l’autre est à l’origine du Félis sylvestris de nos maisons.
Une étude récente qui conjugue données de la génétique et de l’archéologie conclut que les minous et minettes que tous les foyers de par le monde accueillent sont issus de plusieurs souches, mais d’une seule sous espèce : Felis sylvestris lybica d’Egypte et du Moyen Orient.
La vallée du Nil et ses ossuaires révèlent la proximité cultivée par Pharaon et ses sujets avec la sous espèce lybica , incarnation de la Déesse Bastet ou Sekhmet, et compagnon apprécié des fellahs car il pourchasse rats et souris qui dévorent leurs récoltes. Pour les remercier on leur sert une pitance sortie du Nil, fleuve nourricier d’un peuple et de ses animaux de compagnie. Sur les murs d’une sépulture près de Thèbes on peut voir se délectant d’une perche du Nil un petit félin au pelage typique de la sous espèce lybica.

Décor mural d’une tombe de Nakhts près de Thèbes, 1400 BC. C’est de cette icône, et des nombreuses statuettes et momies de chats, y compris des sarcophages que révèlent les sépultures des civilisations du Nil, qu’est née la légende de l’origine égyptienne du chat domestique commun qui se serait répandu à partir de ce foyer dans tout le bassin méditerranéen et au delà, les armées romaines contribuant les premières à son expansion.
Mais il est des témoignages archéologiques plus anciens de la proximité des chats avec les hommes : en Anatolie on a mis en évidence la proximité de Felis sylvestris lybica et des paysans d’alors dans l’île de Chypre (3).
Une sépulture proche d’un village néolithique qui associe homme et chat est datée de 9500 ans. Comme aujourd’hui, Chypre alors était séparée du continent par un bras de mer d’environ 60 km, et connaissant le peu de goût des chats pour la natation, il est plus que probable que les chats furent embarqués par les navigateurs d’alors qui s’établissaient dans les îles méditerranéennes et les colonisaient. Ceux-là même qui ont exterminés les faunes de mammifères insulaires qui jusqu’à leur arrivée y prospéraient. Hippopotames nains à Chypre, éléphants nains, loirs, lapins et musaraignes géants ailleurs n’ont pas résisté à ces envahisseurs venus coloniser ces îles et ont été au menu des premier navigateurs d’alors. Par la suite, par nécessité, l’élevage et l’agriculture ont nourri les migrants venus avec bétail et semence pour survivre sur les nouvelles terres que les hasards des vents marins leur ont fait connaître.

Un homme et un chat dans une tombe néolithique (-9500 ans) à Shillourokambos, Chypre. Réf. 3) Et c’est ainsi que le chat, avec d’autres, dès le début du Néolithique, accompagne les hommes qui de chasseurs cueilleurs deviennent éleveurs et cultivateurs. Nul doute que ces paysans apprécient les talents du petit carnivore parce qu’il les débarrasse des rats et souris qui pillent leurs récoltes. Eux aussi sont venus dans leurs bagages, mais clandestinement ! Autrement dit, il est des commensaux plus amènes que d’autres. Et force est de constater que ces rongeurs qui collent aux basques des premiers agriculteurs vont les suivre partout et emprunter les grandes voies de migration des populations humaines parce qu’elles offrent des ressources alimentaires nouvelles et abondantes. A l’occasion, ils sont aussi vecteurs de terribles maladies, la peste en particulier. Alors pour s’en défendre, Felis sylvestris lybica est invité par les colons de tous les pays à prendre place dans leurs caravanes et leurs esquifs partis à la conquête du Monde.
On est obligé aussi de constater que les matous bien nourris des maisons, mâles ou femelles, sont comme aujourd’hui des rodeurs invétérés (4) qui ne dédaignent pas mélanger leurs chromosomes avec les espèces sauvages des régions qui les accueillent, femelles ou mâles. Et ces amours barbares compliquent quelque peu la tâche des scientifiques qui souhaiteraient moins de passion chez leurs sujets. En Europe en particulier, nos chats, très policés d’apparence, ne sont pas indifférents au charme des matous sauvages des deux sexes de leur entourage. Ainsi Felis sylvestris sylvestris à la belle robe rayée grisâtre de nos forêts n’hésite pas à mêler ses gènes avec F. s. lybica de nos maisons. Alors on le dénomme chat de gouttière, et qui dit gouttière suppose abri construit des mains de l’homme. Cette présence semi sauvage dans nos régions ne date pas de la semaine dernière. Déjà au Mésolithique et jusqu’au 8ième siècle avant notre ère, le chat rayé de type européen est prédominant dans les archives archéologiques de l’Europe.
Les robes tachetées sont apparues plus récemment. Ces pelages mouchetés ou pommelés de différentes couleurs et tailles prédominent aujourd’hui chez nos greffiers, raminagrobis et autres grippeminauds. C’est le résultat d’une sélection artificielle conduite un peu à l’aveuglette à l’occasion de la naissance des portées de chat trop nombreuses. Comme chez d’autres animaux domestiques dira-t-on. Pas tout à fait. Car chez le chat, ce n’est que depuis le 19ième siècle que des patrons de robe aussi bariolées que sophistiquées se répandent dans touts les foyers de tous les pays et sur tous les continents. Pour d’autres animaux domestiques, chevaux, chiens et bovins, la diffusion de « races » reconnues par leur pelage est plus ancienne. Il semble bien que longtemps minets et minettes furent maitres et maitresses de leur désirs d’enfants, et surent s’affranchir dans ce domaine des souhaits et désirs de leurs « hôtes ». De nos jours, de nouvelles races sont forgées, et des chatons aux étranges pelages, monochromes ou polychromes, frisés ou presque glabres voire de type angora donnent lieu à des concours d’élégance précédés de longues séances de toilettage. Pauvres petites bêtes qui ne connaîtront jamais les émois de la course au guilledou et les concerts de miaou qui l’accompagnent…
En guise de coda, je dois tout de même rappeler que l’accueil trop chaleureux que nous réservons aux chats a aujourd’hui des conséquences néfastes. Et oui trop de chats nuit. Car quelque croquette qu’on leur serve, et aussi abondantes soient-elles, les chats ne mettent jamais en berne leur instinct de chasseur. Dès le coucher du soleil, ils partent en chasse et déciment petits mammifères, oiseaux, reptiles et même insectes dans les villes aussi bien que dans les campagnes . Leurs victimes se comptent chaque année en MILLIARDS (5). Il serait bienvenu que la génétique se penche sur ce problème et trouve un moyen d’inhiber ce trait chez ces petits carnivores trop prolifiques. Mais je crains qu’il y ait peu d’espoir. Pas plus qu’il y en a que ne soit inventé le chien sans trou de balle.
(1) Un cristallographe qualifierait le mot hôte ou convive d’énanthiomorphe, comme l’est un cristal formé de deux moitiés symétriques accolées.
(2) Ottoni, C. et al. The palaeogenetics of cat dispersal in the ancient world. Nat. Ecol. Evol. 1, 0139 (2017).| DOI: 10.1038/s41559-017-0139 | http://www.nature.com/natecolevol
(3) Vigne J-D, Guilaine J, Debue K, Haye L, Gérard P. Early taming of the cat in Cyprus. Science. 2004;304: 259. pmid:15073370. Et Vigne J-D, Briois F, Zazzo A, Willcox G, Cucchi T, Thiebault S, et al. The first wave of cultivators spread to Cyprus earlier than 10,600 years ago. Proc Natl Acad Sci USA. 2012;109: 8445–8449.
(4) Voir le film « Secrets de chats » documentaire de Martina Treusch (Arte mai 2017).
(5) T. Doherty et al. 2014. A critical review of habitat use by feral cats and key directions for future research and management Wildlife Research, 2014, 41, 435–446 http://dx.doi.org/10.1071/WR14159
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Un train peut en cacher un autre

Cet adage ferroviaire, ni les écureuils ni les grizzlis des forêts canadiennes n’en ont eu l’écho : les uns et les autres sont nombreux à être victimes du rail, en particulier à l’époque des moissons. Certains plus que d’autres, et c’est le sujet de cette chronique.
Pour gagner les ports de la côte Ouest du Canada, de Calgary à Vancouver, la récolte de céréales emprunte le chemin de fer qui traverse les parcs Nationaux de Banff et Yoho, des forêts de mélèzes et de pins alpestres peuplées de nombreux mammifères et oiseaux de toutes tailles. Sur le parcours, les wagons-trémies lourdement chargés laissent échapper une partie de la cargaison…et cette manne ne passe pas inaperçue de certains, en premier les écureuils, et d’autres, plus massifs mais tout aussi gourmands, les grizzlis.
De fait, il semble bien que ce sont les écureuils qui les premiers ont découvert cette ressource facile à exploiter. Ainsi, en parcourant le ballast accumulent-ils dans leurs bajoues des graines de froment, de blé et autres qu’ils vont enfouir dans des réserves proches sous la futaie. Et ce sont ces silos improvisés que visent les grizzlis qui se goinfrent à leurs dépens !
L’histoire pourrait s’arrêter là, et après tout, tant pis si les écureuils se font gruger. Il n’y a qu’à constater que, contrairement à la légende, ce ne sont pas des épargnants infaillibles.
Bien sûr, de ci de là, l’un d’eux est écrasé par le train. Mais ils sont si nombreux et prolifiques que les bénéfices qu’ils retirent du glanage confortent l’avenir de leur petit peuple.
Le problème est qu’il semble bien que les rongeurs soient plus habiles à se méfier des trains que les ursidés qui chapardent leurs réserves. Ces derniers sont-ils plus durs d’oreille, ou plus goinfres au point d’oublier toute prudence ? On ne sait. Toujours est-il que depuis plusieurs années on déplore un nombre de victimes qui va croissant dans leurs rangs, toutes écrabouillées par les trains, au point d’inquiéter les responsables des Parc Nationaux de Banff et Yoho en Colombie Britannique. Ils constatent que le peuple des grizzlis en déplaçant ses pénates au plus près de la voie de chemin de fer pour se rapprocher et mieux piller les réserves de grains des écureuils s’est mis en danger.

A. La voie de chemin de fer qui traverse le Parc National Banff où on trouve des graines de céréales sur le ballast. B. Un écureuil surpris par une caméra en train de glaner. C. Un grizzli pille une réserve accumulée par un écureuil. D. Un silo plein de graines de froment et lentilles proche de la voie de chemin de fer. Extrait de réf.1, fig.1 Autrement dit, la nouvelle ressource alimentaire que les écureuils leur procurent les entraine à fréquenter un danger que la Nature ne leur avait pas appris jusqu’ici à déjouer et surtout éviter.
Si les écureuils sont victimes du rail, ils sont beaucoup plus nombreux et surtout plus prolifiques que les ours, et proportionnellement on compte moins de victimes dans leurs rangs que chez les grizzlis. De fait, les écureuils, comme nombre de nos animaux domestiques, ont « appris » à franchir routes et voies de chemin de fer, et on peut penser que peu à peu la sélection naturelle a agi chez le peuple des écureuils de telle sorte qu’au fil des générations seuls les individus éduqués ont survécu, se sont reproduits et ont transmis cette aptitude à se garer des trains. Pour les grizzlis beaucoup moins nombreux, et qui ont un taux de reproduction plus faible, le problème est tout différent. Il est possible qu’à la longue ne survivront et ne se reproduiront que les grizzlis « éduqués ». Mais c’est peut-être faire un peu trop confiance à la « Nature » !
Pour l’heure le constat est simple : l’écureuil et le grizzli pratiquent des métiers à risque, l’un glane, l’autre chaparde. L’un d’évidence a découvert une ressource alimentaire nouvelle et en profite largement. L’autre qui exploite de façon éhontée la même ressource est mis en danger parce qu’il n’a pas su s’adapter aux nouvelles conditions de son exploitation.
Que doivent faire les gestionnaires des Parcs Nationaux acteurs et spectateurs de cette nouvelle donne ? Ils s’inquiètent à juste titre de la mortalité des grizzlis due à leur migration qui les fait rejoindre les voies de chemin de fer de l’Ouest canadien où ils savent qu’ils pourront se gaver ?
La Colombie Britannique, comme toutes les provinces du Canada est un pays bilingue, Aussi la première mesure à prendre serait que les responsables du Chemin de Fer Canadien Pacifique (CFCP) – Canadian Pacific Railway (CPR) – disposent sur les bas-côtés de ses voies des panneaux d’informations ainsi libellés :
Un train peut en cacher un autre
Watch out for a second train
- Julia Elizabeth Put, Laurens Put, Colleen Cassady St. Clair.Caching behaviour by red squirrels may contribute to food conditioning of grizzly bears. Nature Conservation, 2017; 21: 1 DOI: 3897/natureconservation.21.12429

