Histoires de Mammifères

Nous sommes des Mammifères, ne l'oublions jamais !

  • Les bonobos ont la paluche signifiante

    Les bonobos ont la paluche signifiante

    L’occasion de la recension dans un média voisin https://decodeurs360.org/culture/des-animaux-homos-et-transgenres/d’un ouvrage animalier arc-en-ciel 1 me fait souvenir d’un autre ignoré en son temps par la critique française 2et m’invite à ce rappel à la manière d’Alexandre Dumas, vingt ans après.

    Parmi plus d’un millier d’exemples dont Bruce Baghemihl rendait alors compte dans le détail de leurs mœurs homo et bisexuelles, mammifères, oiseaux, reptiles et autres, il y rappelait que de longue date, la sexualité exubérante de nos cousins les grands singes a été reconnue, décryptée, répertoriée, et au final citée en exemple comme l’expression de leur nature profonde : goût du plaisir partagé, stratégie de conquête et de survie de l’espèce. Parmi les pionniers de ces études, il citait Susan Savage-Rumbaugh et Franz De Wall qui dès les années 70 avaient publié de pertinentes études sur le sujet.

    Il m’est resté gravée dans la mémoire  de cette ancienne et très joyeuse lecture d’un ouvrage qui par son poids pouvait tomber des mains mais dont le contenu m’avait enthousiasmé, une planche de dessins au trait (p.67) qui illustre la gestuelle amoureuse qu’expriment les bonobos lors de leurs galipettes forestières. Je l’ai ici  retranscrite avec maladresse et une très libre traduction de sa légende.

    Il serait temps que ce savoir des très libres mœurs de nos parents les plus proches se répande, et que soient revisités et dénoncés préjugés et tabous qui aujourd’hui encore tiennent le haut du pavé, manif pour tous aidant, mais aussi hélas de certains dirigeants tout aussi coincés, et surtout ignorants des joyeux détours qu’emprunte la sélection naturelle pour assurer la survie des espèces, toutes les espèces, et leur évolution.

    Tout visiteur de zoo a pu assister à des scènes érotiques devant les cages des grands singes où le comique fait oublier la condition carcérale des protagonistes, et surtout déclenche les rires complices des plus jeunes des visiteurs alors que trop de leurs parents s’en détournent, non qu’ils soient offusqués, mais parce que « cela ne se fait pas ! ».

    Dans la nature, observer les amours animales est plus difficile, mais grâce à l’obstination de nombreuses équipes, un répertoire de la gestuelle et du langage amoureux de nombreuses espèces a été dressée, et une littérature écrite abondante en rend compte, avec à l’appui images et vidéos. Et les bonobos ne sont ni les plus bavards ni les plus inventifs.

    Qu’on se le dise : le plaisir et l’amour sont dans le pré ou la forêt, et à nouveau …sans attendre Platon et son Banquet.

    1. Fleur Daugey. 2018. Animaux homos. Histoire naturelle de l’homosexualité. 166 p., Albin Michel.Bruce Bagemihl.1999. Biological Exuberance. Animal Homosexuality and Natural Diversity. 752 p. , Saint Martin’s Press.
    2. Bruce Bagemihl.1999. Biological Exuberance. Animal Homosexuality and Natural Diversity. 752 p. , Saint Martin’s Press.
  • Histoire moléculaire du scrotum : en avoir ou pas.

    Histoire moléculaire du scrotum : en avoir ou pas.

    Le titre ne doit pas laisser penser que cette histoire a quelque chose à voir avec le très petit alors que le sujet concerne les parties nobles. Dès les premières lignes de cette relation, le lecteur sera rassuré. Le problème est que s’il est des organes dont les transformations au cours du temps laissent des traces très matérielles dans les roches, des fossiles, les os des membres et autres structures osseuses,  à l’inverse il n’existe aucun vestige pour raconter l’histoire des tissus mous, si ce n’est l’analyse du génome où l’on déchiffre les différentes étapes de leur formation. Ainsi la qualification de moléculaire que l’on accorde à cette histoire du scrotum n’a de microscopique que par les outils et techniques qu’il a fallu déployer pour la rendre intelligible.

    Car n’en déplaise à certaine tradition argotique ou de langue verte qui les nomme noix ou noisettes,  les testicules font partie des tissus mous. Chez une grande moitié des Mammifères mâles cette paire de fragiles glandes est logée dans l’entrejambe dans un petit sac, le scrotum. Mais pourquoi chez une autre moitié de lignées au cours du développement les glandes sexuelles mâles restent positionnées au plus profond de l’abdomen ?

    Chercher l’ancêtre, le primitif, est un métier qui occupe bien des savants, et cette question de l’origine et histoire du scrotum vient de trouver ses archéologues, une équipe de généticiens des Instituts Max Planck et Senckenberg (1).

    Alors cet écureuil quelque peu exhibitionniste est-il notre Adam ? Et la rétention des testicules dans l’abdomen signe-t-elle un caractère dérivé ?

    Ecureuil exhibitionniste

     

    Il faut dire que pour tous les Mammifères mâles, avec ou sans scrotum, la conservation des cellules sexuelles pose problème. Chaque individu en fabrique à longueur de vie. Mais pour rester fonctionnels, les spermatozoïdes doivent être conservés à une température inférieure à celle du corps.(https://scilogs.fr/histoires-de-mammiferes/la-bourse-est-la-vie/)

    Deux stratégies pour assurer la pérennité des spermatozoïdes et leur label « longue conservation » ont été adoptés. L’une consiste à aérer au mieux dans les bourses ou scrotum les testicules gorgés de sperme, l’autre est de fabriquer un « frigidaire » entouré d’un réseau vasculaire qui maintient la semence au dessous de la température du corps.

    La dichotomie scrotum ou pas scrotum est le résultat du positionnement initial des testicules dans l’embryon. Chez tous les Mammifères les glandes sexuelles apparaissent et se forment dans une région abdominale proche des reins. Par la suite, lors de la croissance du jeune, peu avant qu’il n’atteigne l’âge adulte, les testicules migrent vers la base de l’abdomen comme illustré ci dessous pour ce jeune chien en empruntant le canal inguinal et sont accueillies dans le scrotum.

    Migration des testicules chez le chien (source AskAVetQuestion.com)

     

    Mais ce processus ne concerne qu’une moitié des Mammifères, les autres conservent les testicules dans leur position initiale, près des reins, et cela concerne l’ensemble des Afrothériens, à savoir : les Proboscidiens, les Hyracoïdes, les Siréniens, les Oryctéropes, les Musaraignes à trompe et les Taupes dorées. Tous ces ordres sont supposés être apparus en Afrique.

    Se fondant sur ce constat, les généticiens se sont penchés sur les gènes de développement qui gouvernent cet épisode de la croissance pour en décrypter les modalités. L’hypothèse de base de leur recherche a été de supposer que la descente des testicules était le stade ancestral alors que chez les Afrothériens sans scrotum c’était un état dérivé. Dès lors on pouvait envisager que chez ces derniers, c’était les gènes de développement concernés dans cet épisode qui étaient inhibés ou avaient disparu.

    Quelques milliers d’analyses moléculaires et de calculs plus tard, ils ont mis la main au collet dans leurs éprouvettes et autres boites de Pétri sur les coupables : les gènes RXFP2 et INSL3 présents chez  – presque – tous les Mammifères et qui ont disparu chez les Afrothériens. Bien évidemment ce résultat fondamental a été aussitôt enregistré, répertorié et mis à disposition de tous les généticiens dans la GenBank qui abrite plus de richesses que Fort Knox et est à l’abri de toute trumperie.

     

    Valait-il la peine de consacrer autant de temps et d’argent pour résoudre ce qui peut paraître une question subsidiaire ? Certainement.  Il est un désordre de développement observé chez le garçonnet et savamment dénommé cryptorchidie qui a pour conséquence que l’un ou les deux testicules restent bloqués dans le haut de l’abdomen lors de sa croissance. Cette pathologie affecte 5 à 9 % des enfants dans les pays développés, et il semble même que la fréquence de ce mal soit en augmentation (Consulter Wikipedia pour plus d’informations et de statistiques). Elle est tout aussi fréquente chez les autres Mammifères domestiques ou sauvages.

    Aussi étudier de près la génétique du développement de cet épisode de la croissance des jeunes mâles est particulièrement pertinent. Comme j’ai souvent l’occasion de le dire à Montpellier : « nous sommes avant tout des Mammifères. », et à Delphes on ajoutait : « connais-toi toi-même ».

     

     

     

    (1) Sharma V, Lehmann T, Stuckas H, Funke, L, Hiller M (2018) Loss of RXFP2 and INSL3genes in Afrotheria shows that testicular descent is the ancestral condition in placental mammals. PLoSBiol 16(6): e2005293. https://doi.org/10.1371/journal.pbio.2005293

     

  • Le saumon, l’ours, la myrtille et la souris

    Le saumon, l’ours, la myrtille et la souris

    En Alaska, les ours ont plus de chance que dans les Pyrénées. Non seulement il y sont acceptés et reconnus comme citoyens ordinaires, mais de plus, la Nature a bien fait les choses : peu avant l’hiver et le moment de rejoindre une tanière pour s’y assoupir jusqu’au printemps, les rivières sont envahies de saumons qui en gagnent les sources pour s’y reproduire. Et les ours n’ont qu’à puiser à larges coups de patte dans ce vivier pour barder leurs bedaines d’une bonne couche de graisse. Puis, pour agrémenter ce met de choix, dans les bosquets avoisinants, c’est aussi la saison des myrtilles. Ainsi une chaine alimentaire se crée car en se baguenaudant ils essaiment dans leurs crottes les petites graines indigestes de leur menu… qui bientôt donneront de jolies plants. A moins que souris et autres rats des champs et des bois ne s’en régalent. Cela s’appelle un écosystème (1)

    Cycle de dispersion des graines impliquant le saumon, l’ours, les fruits et les souris sylvestres

     

    Je dois l’avouer, le titre de cette fable est un peu trompeur, car si le seul saumon est à la base de cette chaine alimentaire, s’en repaissent l’ours brun et l’ours noir, le terme myrtille englobe une douzaine d’espèces végétales qui produisent des fruits (fraise, mure, airelle, myrtille, et autres baies), et souris recouvre outre la souris sylvestre, des campagnols, la musaraigne, le lièvre et même des oiseaux qui à l’occasion picorent les fèces fraiches des ours ! Et n’oublions pas les insectes, mollusques… et les champignons.

    Souris des bois (en haut) et campagnol attablés (réf.1)

    La question à la base de cette étude d’écologie de terrain a été de comprendre par quels mécanismes les éléments nutritifs d’origine marine se diffusent dans les plantes terrestres au point qu’un tiers de leur azote en provient.

    Depuis longtemps on avait remarqué que les fèces des ours contiennent de nombreuses graines. Aussi fut-il décidé de lancer une enquête sur ce sujet très terre à terre pour comprendre par quels processus l’azote marin se retrouvait concentré à ce taux dans les plantes. C’est à 40 km de Haines, dans une région côtière du sud de l’Alaska peu peuplée que durant deux saisons, de juin à octobre en 2014 et 2015, ont été soigneusement échantillonnées les dites fèces sur un terrain bien quadrillé, en même temps que des pièges et des caméras étaient installés pour enregistrer quels animaux s’en repaissaient.

    L’enquête a mis au jour une chaine alimentaire dont les ours bien nourris de saumon sont les super prédateurs et dont dépendent la prospérité de toute une série de plantes et de petits mammifères qui s’en nourrissent.

     

    Les paramètres de ce cycle alimentaire sont maintenant bien connus. Ce sont les fèces d’ours brun les plus abondantes (2/3) et chacune peut renfermer jusqu’à 100 000 graines. Après identification au niveau de l’espèce des dites graines, il a été possible de quantifier ces résultats. Il apparaît que ce sont les graines de myrtille et d’airelle qui dominent, et que dix autres espèces fournissent des baies mangées par les ours qui deviendront autant de semence…ou d’aliment pour animaux. Les concentrations naturelles de graines sur les crottes sont très fréquemment visitées. Ainsi la souris sylvestre effectue un peu plus de huit visites quotidiennes, et le campagnol plus de deux. Pendant les deux saisons d’observation, la souris a été surprise par les caméras de surveillance 4295 fois et le campagnol 1099. Et tout cela bien évidemment parce que les ours sont très bien nourris par les saumons !

    Ainsi la migration annuelle de ces poissons venus du large fait que les populations d’ours s’accroissent régulièrement, ce qui a des effets indirects sur les écosystèmes. Il y a dispersion des graines de nombreuses espèces végétales qui nourrissent de nombreux animaux, sans compter l’apport d’azote d’origine marine qui enrichit les sols. Et on mesure que dans les régions où malheureusement les ours sont en régression, à terme les écosystèmes souffriront de la rareté de ces super prédateurs, et encore plus de leur disparition.

     

    (1) Shakeri, Y. N., K. S. White, and T. Levi. 2018. Salmon-supported bears, seed dispersal, and extensive resource subsidies to granivores. Ecosphere 9(6):e02297.10.1002/ecs2.2297

  • Sans attendre Platon

    Sans attendre Platon

    On dit que le partage des ressources alimentaires est l’une des étapes les plus importantes dans la construction des sociétés humaines sorties de l’animalité. Il vient d’être montré que nos cousins les bonobos de ce point de vue nous ressemblent beaucoup, et se conduisent comme nous : à l’issue d’une chasse ou d’une cueillette conduites dans deux clans voisins, on a constaté que les uns et les autres se réunissent pour faire ripaille, se partager le butin, viandes ou fruits, et après le banquet , on se lutine un peu, voire plus. Puis chaque tribu  repart de son côté vers d’autres aventures (1).

     

    A l’inverse de ce que l’on observe chez les chimpanzés communs (Pan troglodytes) très agressifs au sein de leur clan et entre groupes, les relations chez les bonobos (Pan paniscus) sont apaisées, cordiales même. Chaque tribu est stable sur plusieurs années et forme une famille soudée sous la houlette d’une femelle dominante qui occupe un territoire de cueillette et de chasse bien délimité. Et il arrive aussi qu’entre clans voisins, l’occasion d’une rencontre fait qu’ on s’organise pour une chasse ou une cueillette. Dès lors à son issue les deux parties se réunissent et s’attablent autour de la proie ou de la récolte de fruits que l’on partagera et dégustera de bon coeur. Au fil des rencontres, les territoires de deux clans voisins peu à peu s’élargissent jusqu’à largement empiéter l’un sur l’autre et se chevaucher. Ce constat se fonde sur une série d’observations et en particulier d’une journée particulière dont furent témoins des éthologistes qui pourrait aussi s’intituler : une partie de campagne.

     

    Le 21 janvier 2017, sur le site de la rivière Bompusa ils ont pu suivre l’activité et les rencontres de deux clans biens connus, ici nommés les Bleus et les Rouges. Le soir venu, l’un et l’autre, chacun de leur côté ont construit des nids pour y passer la nuit dans leurs territoires respectifs. Le lendemain, un mélange des deux clans fait de 10 femelles et 5 mâles matures des Bleus et 12 femelles et 3 mâles aussi matures  des Rouges furent aperçus vers midi près de la rivière Bompusa. Deux heures après, le mâle alpha des Bleus captura et tua un céphalophe et fut approché dans l’instant par les membres des Bleus et des Rouges des deux sexes. Aussitôt il grimpa avec sa proie au sommet d’un arbre suivi par les femelles des deux groupes et leur progéniture. Dans les minutes  qui suivirent cinq femelles des Bleus et quatre des Rouges quémandèrent une part de cette proie. Pour ce faire, il y eut des jeux des mains et des regards échangés, le tout sans aucune agressivité. Bleues et Rouges obtinrent toutes des morceaux de viande aussitôt avalées. Puis une femelle Bleue découpa la tête et la partagea avec ses petits et les adultes des deux groupes. Une femelle Rouge elle gagna une cuisse offerte  par le mâle Bleu et s’empressa de la partager elle aussi avec ses petits et les adultes des deux groupes.  Au cours de ce repas pris en commun, il y eut de nombreuses caresses génitales-orales échangées entre les convives. De plus, lorsque fut venu le temps de la sieste, il y eut de longues séances d’épouillages réciproques entre Rouges et Bleus des deux sexes et avec les petits, on se lutina un peu, et même un mâle des Bleus profita de l’occasion pour s’envoyer en l’air avec une femelle des Rouges, ni vu ni connu. A trois heures de l’après-midi les deux groupes disparurent en partie de la vue des observateurs. Si l’on a pu voir les Rouges à l’issue du festin construire des nids pour y passer la nuit suivante à proximité, les Bleus s’étaient évaporés dans la jungle et furent perdus de vue.

    Des bonobos reluquent un cuisseau de céphalophe avant de le partager (LuiKotale Bonobo
    Project /Robin Loveridge)

     

    Des constats ultérieurs montrent que chaque  clan avait alors regagné son territoire. Cependant on s’est aperçu trois semaines après cette rencontre que les fiefs des uns et des autres jusque là simplement jointifs avaient tendance à empiéter l’un sur l’autre et même se chevaucher sans que cela provoquât le moindre conflit.

    Dans d’autres occasions, ce furent des fruits de l’arbre à pain qui furent rompus et mangés à la même table et de la même façon que l’avait été les pièces de viande. Ainsi a-t-on la preuve que les tribus de bonobos à l’occasion de rencontres fortuites sont susceptibles de partager aussi bien des aliments carnés que des fruits

    L’acquéreur d’un fruit d’arbre à pain brise la coque et en transmet une partie du fruit à un mendiant (LuiKotale Bonobo Project/Barbara Fruth)

     

    Il est souvent considéré que le partage de nourriture avec des « étrangers » est propre au genre humain et n’est apparu que récemment dans son histoire, et que cela a pour première conséquence de réguler les relations sociales entre groupes stables. Il a de plus été suggéré que chez nos ancêtres la viande était le premier aliment offert et échangé à l’issue d’une chasse réussie. On constate que les bonobos partagent aussi bien les proies que les fruits et que ces échanges facilitent leurs relations. Ainsi la convivialité n’est pas le propre que des hommes : sans attendre Platon, les bonobos aiment tout autant que nous banqueter.

     

    (1) Barbara Fruth & Gottfried Hohmann. Food Sharing across Borders. First Observation of Intercommunity Meat Sharing by Bonobos at LuiKotale, DRC . Hum Nat (2018) 29:91–103.

    https://doi.org/10.1007/s12110-018-9311-9

  • Comment se faire des amis.es

    Comment se faire des amis.es

    Nos cousins Lémuriens ont la réponse : pour nouer des relations durables, en préalable il faut avoir pris des leçons particulières. Puis, faisant étalage de ce savoir-faire acquis, votre entourage profitera de votre expérience, vous en saura gré, et en retour témoignera à votre endroit d’une reconnaissance sans faille. Au final, être plus éduqué mérite plus que la considération des autres, une faveur toujours renouvelée. Mais il y a un truc : l’école des copains et des copines pour ces Lémuriens nés à Madagascar est à 15 000 km de leur lieu de naissance. C’est un Airbus scolaire qu’il a fallu mobiliser pour qu’ils arrivent à l’heure (1).

    Car si cette leçon de vie nous vient du peuple des Lémurs, c’est une élite de cette espèce qui en témoigne, celle recueillie dans son lieu de naissance et transportée aux fins de « conservation de l’espèce » dans un parc zoologique d’un pays riche, très riche, les Amérique. Et voici ce petit troupeau, quelques douzaines de makis (Lemur catta)  capturés dans le sud de la Grande Ile invité à vivre et se reproduire dans un environnement à leur mesure où ils seront assurés de trouver protection et pitance, l’ile Saint-Catherines, en Géorgie, USA.

    Quelques Lémurs et leurs gamelle et gardien sur l’île Saint-Catherines, Géorgie.

     

    Les 90 km2 de ce territoire aux allures de petit paradis  ont été déclarés parc naturel protégé voici quelques décennies. Depuis n’y sont admis à partager ses délices que les espèces protégées locales ou invitées, sous le regard vigilant d’experts en écologie tropicale et leurs élèves : https://www.youtube.com/watch?v=_6ETl33K0LQ.

    …mais aussi des touristes fortunés dont les oboles comptent.

    On y surveille et protège en particulier sur les plages les lieux de ponte de tortues marines, et on y assure la survie de nombreuses espèces.

    L’arrivée des makis en Amérique date de quelques années, lorsqu’un programme de sauvegarde de l’espèce menacée sur ses terres d’origine leur a ouvert les portes de l’exil vers des cieux plus cléments. Est-il utile de rappeler que 90% des 103 espèces de Lémur de Madagascar sont considérées en danger ? Le maki, Lemur catta, est sur cette liste rouge, et donc envisager  de trouver un asile à quelques poignées de ses membres est a priori une bonne idée.

    Dans la foulée, pourquoi ne pas profiter des ces « invités » pour tester leur QI et autres aptitudes. Ils sont tout aussi Primates que nous. Et voici que ce petit troupeau d’exilés, quelques douzaines, dispensé cependant de porter l’uniforme orange des guantantanoméens ordinaires, est depuis quelques années sous surveillance vigilante d’éthologistes aguerris (2). Des émules du bon Docteur Konrad Lorenz veillent sur eux et de façon très ludique les interroge : dans tous les protocoles de ces expériences où sont testées leurs capacités cognitives, des récompenses sont à la clé.

    Pour l’heure, les expérimentateurs  ont sorti du lot de ces migrants quelques uns d’entre eux et leur ont enseignés  comment extraire de tiroirs transparents des friandises. Ensuite, ces instruits ont été relâchés auprès de congénères, ignorants de facto, dans des espaces où étaient disposés des boites à friandises. Le résultat ne s’est pas fait attendre : les instruits ont fait étalage de leur savoir-faire, et toute la communauté en a profité jusqu’à les imiter. Mais ce n’est pas tout : sur le long terme, on a constaté que les relations instruits-ignorants s’intensifiaient, que les initiés profitaient de plus d’égard qu’auparavant, et que longtemps après la fin de l’expérience, ils conservaient des relations sociales plus étroites avec les ignorants.

    A gauche des ignorants attentifs aux exploits d’un instruit surpris à droite en train d’exercer son nouveau talent (Photos I. Kulahci)

     

     

    L’aspect satisfaisant de ces expériences est qu’elles nous confortent nous humains dans l’idée que le savoir-faire acquis est un atout, un plus dans l’établissement et la construction de relations sociales durables. Et même, à l’occasion, pour l’élite des instruits, cela permet d’accéder à une position dominante dans sa communauté. Au delà, dans les sociétés humaines où le patriarcat est la règle dans presque toutes les cultures, ce sont donc les mâles instruits qui de ce fait sont les plus respectés et logiquement accèdent aux plus hautes fonctions.

    Cela est-il vrai chez les Lémurs ? Pas du tout, chez eux, c’est le matriarcat qui est à la base des structures sociales.

    Aussi il est un peu regrettable que les auteurs du travail à la base de cette chronique n’ait  pas eu connaissance d’autres travaux, pourtant réalisés dans cette même ile Saint-Catherines et sur les mêmes animaux (3). Avec pertinence, on y rappelle que chez les Lémurs, ce sont les femelles qui ont priorité pour l’accès à la nourriture, le service d’épouillage réciproque (grooming), et même l’occupation d’un lieu commun : les mâles se retirent et s’effacent devant leurs compagnes. Au sein des familles,  à la maturité sexuelle, ce sont les mâles qui quittent le groupe, alors que les filles restent auprès de leurs mères.

     

    Il est donc un peu fâcheux que dans leur étude, Ipek Kulahci et ses collègues (2) fasse l’impasse sur cette donnée essentielle, et ne disent rien de précis du sexe des protagonistes de leur expérimentation dont ils ont noté par ailleurs scrupuleusement les agissements et préférences. Etaient-ils ou étaient-elles des instruits.es  ou des ignorants.es ? Dans notre langue, l’usage de l’écriture inclusive permet de poser la question. Faut-il conseiller  à ces chercheurs de l’adopter pour qu’à l’avenir ils s’intéressent au sexe de leurs protégé.es, bien que tous ne soient pas des anges….

    (1) C’est la distance Madagascar l’île Saint-Catherines, Géorgie, USA.  Un millier de kilomètres la séparent de Guantanamo, dans le sud de Cuba.

    (2) Kulahci et al., 2018, Knowledgeable Lemurs Become More Central in Social

    Networks. Current Biology 28, 1306–1310April 23, 2018 ª 2018 Elsevier Ltd.

    https://doi.org/10.1016/j.cub.2018.02.079

    (3) Burgess, Tiffany, « Female Social Rank and Steroid Production in Semi-Free Ranging Lemur Catta on St. Catherines Island, Georgia » (2015). Electronic Theses & Dissertations. 1303.

  • Le guépard, champion de course Et de restauration rapide

    Le guépard, champion de course Et de restauration rapide

    Chronomètre en main, il est reconnu que les guépards sont les plus véloces de tous les Mammifères, capables de franchir 100 mètres en 3 secondes pour capturer une proie. Confrontés aux appétits de voisins tout aussi affamés mais plus imposants, ils ont développé une stratégie alimentaire aussi vive : la goinfrerie. Ils  peuvent ingurgiter et se rassasier en trois bouchées d’une capture que sont près de leur chiper lions et hyènes s’ils tardent trop à s’en repaître (1).

    Dans nos sociétés, il est des corps de métier pour qui l’heure du repas est aussi mesurée et comptée que dans la savane celle du guépard : travailleurs du bâtiment et  tant d’autres doivent se sustenter en un temps record à mi journée pour ensuite poursuivre leurs taches. Au risque de contracter des maux divers pour ce trop de hâte à se remplir l’estomac. Dans leur domaine, nécessité fait loi, et le Code du Travail est impuissant à protéger ces travailleurs des maux aussi récurrents  que chroniques qui les affectent dus à ces excès de zèle.

    Dans la savane, les carnivores de moyenne taille tels les guépards sont confrontés au même

    problème. Le bénéfice énergétique de la capture d’une proie peut leur être volé en un clin d’œil par plus forts qu’eux : les lions et les hyènes qualifiés de carnivores de premier rang.

    Les guépards sont des chasseurs solitaires qui comptent sur leur rapidité pour poursuivre et se saisir d’une proie en un temps recordhttps://scilogs.fr/histoires-de-mammiferes/les-virevoltes-du-guepard/. Le taux de réussite de ces attaques est élevé. Il n’empêche  que la dépense énergétique liée à ces captures qui assurent leur survie ne l’est pas moins. Aussi, si après leur exploit ils sont dépossédés de leur proie par plus forts qu’eux, ils risquent à terme de dépérir et de ne plus être capables de se sustenter.

    Anne Hilborn et ses collègues vivent dans le Sérenguetti depuis 35 ans et ont accumulé les observations sur les mœurs et coutumes des habitants de la savane, en particulier ce jeu, cet équilibre, qui fait que les Carnivores de haut rang parviennent à s’alimenter sans problème grâce à leur habileté à se procurer des proies, mais aussi parce qu’ils volent à d’autres le produit de leur chasse, ceux que les éthologistes qualifient de «  mésocarnivores », à savoir guépards et panthères.

    C’est leur poids et leur inaptitude à coopérer pour mieux se défendre qui fait la faiblesse des guépards, et les prive souvent d’un repas qu’ils ont eu bien du mal à capturer et dont ils sont privés par plus forts qu’eux.

    Quelles réponses ces champions de course de vitesse ont-ils apporté à ce risque annoncé d’être dépossédés de leurs captures  ? Ils ont appris à se rassasier en trois coups de dents et de déglutition pour se caler l’estomac et survivre… à condition qu’ils n’aient pas la marmaille à surveiller ! Car si mâles et femelles célibataires guépards peuvent sans problème se sustenter et adopter une « fast-food attitude » pour se nourrir en un temps record, les mères de famille ont une stratégie différente. En premier lieu, beaucoup choisissant d’élever leurs petits en un lieu où la densité des grands carnivores, lions et hyènes,  est moindre. Et puis, sachant que leurs « petites gueules » prennent du temps pour engloutir la viande fraiche, sitôt  après une capture, elles se saisissent de la proie et entrainent leur marmaille en un lieu reculé entouré de hautes herbes pour que leurs petits  se repaissent en toute tranquillité, elles-mêmes restant aux aguets.

    Mère guépard attentive et ses petits goinfrant

     

     

     

     

     

    Hélas, ces mères vigilantes payent un prix : c’est là une forme de sacrifice qui peut les voir dépérir, perdre leurs forces jusqu’à provoquer un amaigrissement qui les met en danger.

    A moins qu’elles abandonnent ce rôle de mère et retournent au célibat. Il leur suffira alors  de trouver un lieu haut perché pour y accrocher leur proie. https://www.youtube.com/watch?v=LE0ad2sCKds

     

    Le jeu de l’antilope perchée

     

     

     

     

     

     

    Mais, attention : vautours et autres charognards ailés  risquent de les voler.

     

    (1) Anne Hilborn et al. 2018. Cheetahs modify their prey handling behavior depending on risks from top predators. Behavioral Ecology and Sociobiology (2018) 72: 74

    https://doi.org/10.1007/s00265-018-2481-y

     

     

  • Quand les baleines font un bœuf

    Quand les baleines font un bœuf

    Chaque hiver, les baleines boréales du Spitzberg se retrouvent près des glaces qui envahissent alors la zone pour se reproduire. Et en prélude à ces rencontres, elles chantent à tue-tête…du moins si l’on se glisse  incognito dans leur voisinage pour écouter leur concert avec des enregistreurs performants. Leur musique est très jazzie par comparaison avec le chant des baleines à bosse leurs voisines qui évoque plutôt la musique classique.  Surtout, les mélodies de blues qu’elles chantent sont d’une grande diversité (1).

    Les baleines boréales ont la réputation d’être les plus joyeux de tous les cétacés. En période de rut, leurs acrobaties sous marines se concluent et par des claquements de queue sur la surface de la mer lorsqu’elles plongent, et aussi des bonds soudains où elles extraient de l’onde leurs 80 tonnes de graisse et de muscle pour ensuite dans un plouf retentissant déclencher des mini raz de marée. Ce sont les mâles les plus agités, mais leurs partenaires ne sont pas en reste pour les suivre dans ces ballets jusqu’à l’accouplement qui conclut cette joyeuse fête des corps. A ce jour aucune explication rationnelle n’avait pu être apportée à ce comportement somme toute exceptionnel. Les études récentes faites sur les chants qu’elles expriment pourraient aider à percer cette énigme : les baleines boréales émettent des rythmes syncopés qui évoquent la musique de jazz. Pourquoi ne danseraient-elles pas sur ces notes comme nous le faisons ?

    Figures de boogie-woogie chez deux espèces, l’une terrestre, l’autre marine (Photo Life)

     

     

    Jusqu’il y a quelques années, seul le chant des baleines à bosse avait été étudié de façon scientifique, et on avait constaté que au sein d’une même population,  les sons que les animaux  expriment sont assez uniformes au cours d’une même saison. Puis leur structuration évolue au fur et à mesure que le temps passe, et ces phrases musicales sont transmises d’une population aux autres au cours des années et se propagent. Toujours est-il que ces émissions sonores aussi soutenues que partagées évoquent d’une certaine façon la musique classique https://www.youtube.com/watch?v=W5Trznre92c

    Ce n’est que plus tardivement que l’on s’est intéressé au chant des baleines boréales. Et c’est ainsi que  à partir de 2008 des enregistrements aux différentes saisons de la vie de ces grands mammifères itinérants ont été réalisées et ont révélé la richesse et la singularité de leurs répertoires dans une zone où elles ont leurs quartiers d’hiver : le Spitzberg.

    Le principal studio d’enregistrement du chant des baleines boréales (réf.1)

     

    C’est ainsi que de 2010 à 2014, des enregistrements ciblés, systématiques dans leurs lieux de résidence temporaire ont pu être analysés. https://figshare.com/collections/Supplementary_material_from_Extreme_diversity_in_the_songs_of_Spitsbergen_s_bowhead_whales_/4035239

     

    Il s’est avéré qu’en cours d’année, la diversité des chants des baleines boréales atteint son maximum pendant la période de reproduction, de décembre à février. Alors que les observations ont été conduites pendant 3 ans sur plus de 200 adultes choristes et solistes des deux sexes, 184 types de chant ont pu être enregistrés. Sur les 3231 enregistrements, la moitié expriment  un seul type de chant, 37% deux types, et le reste plusieurs mélodies.

     

    Kate Stafford, physicienne de l’Université de Washington qui a conduit ces recherches n’hésite pas à déclarer : « Si les chants des baleines à bosse évoquent la musique classique, ceux des baleines boréales sont du jazz ! Les mélodies sont très libres de forme, et si l’on considère les séries de concert qu’elles donnent au cours des hivers, jamais il n’y a eu de reprise des rengaines anciennes. Chaque année, l’improvisation prime ». Et pour mieux nous convaincre, elle fait écouter un de ses « favorite song » : https://soundcloud.com/uwnews/fram2013-2

     

    Pour expliquer cette grande diversité des phrases musicales qui s’expriment dans cette zone, ce même auteur évoque le métissage : récemment le réchauffement climatique a ouvert de nouvelles voies de passage, et des populations venues du Canada, jusqu’ici enclavées dans le golfe de Boothia et au delà, se sont répandues autour du Spitzberg et ont livré à leurs nouveaux voisins des partitions originales de leur cru. Il n’empêche que capables d’émettre plus de 10 types de chants différents, les baleines boréales sont à ce titre des mammifères tout à fait exceptionnels.

     

    Menacées d’extinction au siècle dernier, Elles ont depuis repris goût à la vie. Mais il n’empêche que les activités humaines, les émissions sonores des bateaux qui s’intensifient alors que le réchauffement climatique libère bien des lieux jusqu’ici protégés par les glaces hivernales, les explosions sous marines des forages pétroliers, la curiosité d’un tourisme qui ne s’embarrasse guère de discrétion à leur endroit, tout concourt à leur rendre la vie plus difficile, comme en témoigne ce magnifique documentaire d’Arte  qui raconte aussi leur histoire : https://www.youtube.com/watch?v=D7URyxVXBDw

     

    (1) Stafford K.M., Lydersen C., Wiig Ø., Kovacs K.M. 2018 Extreme diversity in

    the songs of Spitsbergen’s bowhead whales. Biol. Lett. 14: 20180056.

    http://dx.doi.org/10.1098/rsbl.2018.0056

  • Quand les macaques vont aux eaux

    Quand les macaques vont aux eaux

    L’hiver venu, les macaques qui séjournent sur les hauteurs de Nagano, dans des montagnes du centre du Japon, rejoignent quotidiennement les sources thermales chaudes qui jaillissent à proximité pour s’y baigner longuement. C’est pour eux plus qu’une nécessité, une question de survie, car  ce faisant, les femelles dominantes  bien servies par leurs partenaires augmentent leurs chances de se reproduire en prenant ces bains de chaleur (1).

     

    Madame de Sévigné nous rapporte que chaque année elle allait prendre les eaux à Vichy pour s’y purger, s’y nettoyer reins et boyaux, jusqu’à ce que, disait-elle, les eaux d’entrée et de sortie de son régime soient les plus claires possible. Les cures hivernales des macaques du Japon n’ont pas le même dessein thérapeutique, mais sont tout aussi régulières et programmées d’une année l’autre. Du moins le sait-on depuis 1963. Cette année là, dans ce coin montagneux de la Préfecture de Nagano jusque là inexploré et situé au centre le plus septentrional, aussi le plus élevé et le plus froid de la péninsule fréquenté par des singes, il fut envisagé de construire un hôtel pour accueillir près des sources thermales qui y jaillissent des patients en mal de cure. Las, les promoteurs s’aperçurent que la place était prise : les macaques du coin usaient de longue date de ces bains,  et chaque hiver, en particulier par temps de neige, venaient y tremper leurs os transis pour s’y réchauffer. Qu’à cela ne tienne ! On construisit tout de même un hôtel mais non pour des curistes, plutôt pour accueillir les touristes devenus pour quelques jours spectateurs de leurs cousins primates amateurs de bains chauds.  Bientôt ce fut en foule que l’on vit accourir les visiteurs dans ces lieux pour assister à ce spectacle étrange : des familles de macaque en train de prendre les eaux, certes dans le plus simple appareil, et parfois se laissant aller à quelque pittoresque emprunt.

     

    Ce cliché d’un macaque qui a emprunté un smartphone et consulte la météo du jour a obtenu  le prix de la Wildlife Photograph of the Year. Merci Marsel von Oosten.

    Pour autant, longtemps on ne se préoccupa guère des raisons qui poussaient ce groupe de macaques à ainsi se conduire. Pourtant le « comportement thermal » de cette population de qui réside près de Nagano en fait une exception. Car si les macaques du Japon ont colonisé presque toute la péninsule, c’est chez un seul groupe que l’ on observe cette propension l’hiver venu, et surtout par temps de neige, à rejoindre pour s’y baigner le griffon des sources thermales chaudes qui jaillissent à proximité de leur résidence.

    Ce cliché d’un macaque qui a emprunté un smartphone et consulte la météo du jour a obtenu le prix de la Wildlife Photograph of the Year. Merci Marsel von Oosten.

    Ce n’est qu’assez récemment que l’on s’est préoccupé de trouver une explication rationnelle à ce comportement somme toute exceptionnel. Et ce sont des physiologistes qui ont décidé de consulter leurs augures, en l’occurrence se sont penchés sur leurs fèces. C’est donc sans importuner guère ces cousins curistes qu’ils ont pu analyser et comparer les hauts et bas de leurs humeurs, en particulier les variations du taux d’hormone des femelles dominantes qui d’évidence sont les suzeraines des lieux. Car tous les observateurs s’accordent pour reconnaître que dans ces tribus de Primates, ce sont elles qui les premières décident du moment et du temps du bain, entrainent la troupe à s’y rendre, gouvernent la cure, quitte à administrer quelques remontrances aux indisciplinés qui tenteraient de contourner leur autorité. Et on a constaté qu’elles vont au bain et se baignent plus fréquemment et longtemps par temps d’hiver. En été, les cures sont dix fois moins fréquentes.

    Aussi sachant qu’un réchauffement corporel induit chez les Primates un accroissement des concentrations des glucocorticoïdes, les chercheurs ont fait l’hypothèse que les bains chauds des macaques de Nagano les protégeaient du stress que provoque le froid hivernal sur l’organisme. Les chercheurs ont ainsi ciblé un groupe d’une douzaine de femelles, et tout en comptabilisant durant les deux saisons leurs temps de cure quotidiens, ils ont récolté leurs fèces pour en analyser les concentrations en glucocorticoïdes.

    La conclusion ne s’est pas fait attendre : c’est dans un but de thermorégulation que  les macaques prennent des bains chauds réguliers. Cela favorise chez les femelles dominantes l’augmentation de leurs taux de glucocorticoïdes, et elles se montrent en hiver plus agressives…et leur fécondité s’en trouve augmentée.

    On le sait, hors les humains, tous les Primates vivent dans la zone intertropicale : leurs organismes ne supportent pas les hivers rigoureux de la zone tempérée. La population de macaque de la Préfecture de Nagano située à la limite septentrionale de cette zone intertropicale, qui plus est en altitude, endure des conditions climatiques difficiles, et il y neige fréquemment. Ainsi, alors qu’ils vivent dans des conditions extrêmes, les macaques de Nagano s’y sont parfaitement adaptés : ont survécu et ont proliféré les enfants des curistes les plus assidues. Cela a un nom : la sélection naturelle. Une vidéo illustre cette aventure animale : https://www.nytimes.com/video/science/100000005800676/the-story-behind-japans-bathing-monkeys.html

    On peut rappeler que chez les humains, de longue date  il a été signalé que la prise de bains chauds fréquents avait une influence certaine sur la thermorégulation de ceux qui s’y adonnaient. Par ailleurs, il est reconnu que de nombreux couples déclarés stériles de longue date, recouvraient des chances de fécondité après un voyage sous les tropiques. Il semblerait que les macaques de Nagano aient anticipé et trouvé remède avant eux à leurs  très légitimes désirs d’enfants.

    (1) Takeshita, R.S.C., Bercovitch, F.B., Kinoshita, K. et al. Primates (2018). Beneficial effect of hot spring bathing on stress levels in Japanese macaques. https://doi.org/10.1007/s10329-018-0655-x

     

     

     

     

  • Les sangsues, comptables averties de la biodiversité des Mammifères

    Les sangsues, comptables averties de la biodiversité des Mammifères

    Dans les forêts tropicales humides, les sangsues abondent qui se nourrissent du sang des mammifères de toute taille les parcourant. On peut aisément les récolter lorsqu’elles sont sur un feuillage du sous bois, soit au repos, soit à l’affut d’une victime. Leur contenu stomacal est très riche d’informations et renseigne sur l’identité et la densité des espèces de mammifères de leur entourage, les caractéristiques génétiques des victimes, aussi sur le régime alimentaire des animaux dont elles sucent le sang, et même leur état de santé, en particulier les maladies et parasites dont ils sont porteurs (1).

    L’Asie du Sud Est constitue pour la biodiversité des mammifères un hotspot d’une très grande richesse, mais aussi en très grand danger : plus de 25% des espèces qui y vivent sont des menacées de disparition, et des spécialistes envisagent même que la situation est pire. Pour surveiller l’état démographique de ces populations et améliorer les mesures de protection et de conservation de cette biodiversité en danger, il convient en préalable d’établir des bilans démographiques réguliers de ces populations, et posséder une bonne connaissance de leur état de santé, à tous les points de vue. Les méthodes classiques d’observation parce que trop invasives s’avèrent dangereuses pour ces espèces très fragiles, parce que clairsemées et d’effectifs réduits. Les technologies modernes certes sont performantes qui proposent d’implanter des caméras espions, ou autres postes d’observation très duscrets. Mais seuls les grands mammifères sont concernés par ce type d’approche. D’autres techniques, le piégeage en particulier, consistent à faire des prélèvements sur des populations fragiles, au point de les mettre en danger.

    Ainsi la discrétion s’impose pour les scientifiques en charge de la gestion de ces milieux, et les sangsues sont devenues pour eux des auxiliaires à la fois à la fois performants et furtifs qui leur permettent de surveiller sans les perturber les populations de mammifères et d’oiseaux des forêts tropicales humides. D’autant que à l’inverse des caméras qui n’enregistrent que les mouvements des grands mammifères, les sangsues échantillonnent toutes les espèces à sang chaud, à poils ou à plumes, grandes ou petites, terrestres, souterraines ou volantes, y compris les plus rares. L’étude de leur contenu stomacal constitue donc un subterfuge de bon aloi qui évite de perturber des animaux aussi rares que fragiles.

    Collecte de sangsues dans les forêts du Vietnam et sangsue au repos ou aux aguets sur un feuillage.

     

    C’est au Bangladesh, Cambodge et dans les sud de la Chine que la « collaboration » sangsues scientifiques est la plus développée. Ainsi ces derniers ont-ils pu échantillonné grâce aux 25 clades de sangsues qui y vivent les informations sanguines sur plus de 30 espèces de Mammifères sauvages et quelques oiseaux. Certaines sangsues ont des préférences et par exemple étant cavernicoles se nourrissent plutôt du sang de chauve souris. Le sang des mammifères les plus fréquents que l’on a retrouvé dans les estomacs des 750 sangsues prélevées sont la civette d’Asie et le macaque à queue de lion, des bovidés domestiques et sauvages, des loups et chats sauvages, et bien sûr du sang d’Homo sapiens !

    Cette méthode d’étude indirecte de l’état de santé des populations de Mammifères apparait donc très prometteuse. Mais en préalable, les équipes qui ont initié ces études s’attachent à établir de façon plus précise les relations phylogénétiques des hématophages.

     

    (1) Michael Tessler, Sarah R. Weiskopf, Lily Berniker, Rebecca Hersch, Kyle P. Mccarthy, Douglas W. Yu & Mark E. Siddall (2018): Bloodlines: mammals, leeches, and conservation in southern Asia, Systematics and Biodiversity,

    DOI: 10.1080/14772000.2018.1433729

  • En Amérique, les animaux sont moins dangereux que les porteurs d’armes.

    En Amérique, les animaux sont moins dangereux que les porteurs d’armes.

    C’est des Etats Unis que ces statistiques nous viennent. Chaque année aux USA, en moyenne 200 décès sont imputables à des agressions animales, alors que les morts violentes par armes à feu y sont 55 fois plus élevés, 11 000 environ. Le seul aspect rassurant des études sur ces deux sujets est que les chiffres sont stables à l’échelle de plusieurs décennies. Cependant force est de constater qu’outre-Atlantique, il y a moins de risque à fréquenter les bêtes que les hommes.

     

    Ce sont des statisticiens de Stanford, gage de qualité, qui ont mené une enquête épidémiologique en se fondant sur les données collectées par les services de santé compétents. Ils constatent que de 2008 à 2015, il y a eu 1610 décès répertoriés dus à des agressions d’animaux, chiffre très comparable à celui relevé pour la décennie précédente (1).

    La plupart de ces morts ne sont pas le fait de rencontres malheureuses avec des animaux sauvages, pumas, loups, grizzlys, requins, pour ne citer que les animaux réputés les plus aggressifs. Les causes de décès les plus fréquentes sont le résultat de blessures mortelles infligées par des animaux domestiques, chevaux et bovins, des attaques de chiens, des piqures d’abeilles, de guêpes ou frelons. Ce sont les insectes piqueurs qui s’avèrent les plus meurtriers, responsables de près de 60 morts par ans, en particulier les « abeilles africaines » récemment arrivées sur le continent et qui chaque année gagnent du terrain. Les chiens ne sont pas en reste, et ce sont souvent des enfants qui en sont victimes. Les recommandations de l’enquête insistent sur le fait que des mesures de prévention et d’information permettraient d’épargner bien des vies. Les moins de 4 ans tués par ces « animaux de compagnie » sont quatre fois plus nombreux que l’autre groupe le plus vulnérable, en l’occurrence les personnes âgés de plus de 65 ans.

    Le but de l’enquête est aussi de dresser un bilan financier des dépenses de santé que ces accidents mortels ou non provoquent. Les enquêteurs font remarquer que chaque année aux Etats Unis environ 1 million de cas d’urgence relevant d’agressions d’animaux sont enregistrés dans les établissements hospitaliers, ce qui coûte à la collectivité plus de 2 milliards de dollars. Et ils concluent que l’on pourrait par des mesures de prévention faire de notables économies.

    Il ne semble pas que ce type de calcul entre dans les préoccupations du Ministère de la Justice de ce même pays. Je n’ai trouvé aucune statistique qui rende compte du coût induit par la criminalité, et encore moins du manque à gagner qui découle de la perte chaque année de milliers de vies humaines, auxquels il faut ajouter les centaines de milliers de blessés et handicapés à vie qui survivent après les fusillades accueillis dans les cliniques et hôpitaux du pays, sans parler de tous ceux qui font l’objet de soins psychologiques longue durée parce que traumatisés à vie.

    Cependant des agences liées au Département de la Justice tiennent à jour les statistiques des « morts violentes », et ont dressé de nombreuses « cartes » de la criminalité Etat par Etat, année par année, et aussi pour les différents groupes ethniques qui coexistent dans ce grand pays (2).

    Il en ressort que ce sont les Etats où il y a le plus d’armes à feu per capita qui ont le taux d’homicide (et de suicide) le plus élevé. Ainsi, les Etats de la côte Est des Etats Unis, alors qu’ils sont très peuplés et de façon très dense ont un taux d’homicide 5 fois inférieur à l’Alaska ou le Wyoming que l’on assimile souvent à des zones de tourisme où il est possible de retrouver une Nature quasi vierge. Mais ce sont aussi des Etats où le nombre d’armes à feu par capita est le plus élevé : près de 70 % des adultes possède au moins une arme à feu, et souvent beaucoup plus.

     

    Notons cependant qu’à Hawaï où beaucoup d’armes sont en circulation, on s’entretue assez peu. Question de climat ?

    Quant à prétendre que les jeux vidéo incitent à la violence extrême comme l’a suggéré récemment le Président Trump, c’est tout simplement ridicule. Les Japonais dépensent plus pour ce loisir que les Américains (55 $/an contre 44 $/an) et on ne compte en moyenne que 6 homicides par arme feu chaque année dans ce pays contre 11 000 aux Etats Unis. Il est vrai que pour les Japonais, il n’est pas d’usage de conserver une arme de poing chez soi ou dans sa poche, ce qui n’est pas le cas de l’autre côté du Pacifique (0.6 arme pour cent Japonais contre 88 armes pour 100 Etats-Uniens !). Au total, on évalue à près de 310 millions le nombre d’armes de poing et fusils de tous types en circulation dans la population civile aux USA, alors que militaires et policiers n’en ont que 4 millions à leur disposition.

     

    (1) Jared A. Forrester, Thomas G. Weiser, Joseph D. Forrester. 2017. An Update on Fatalities Due to Venomous and Nonvenomous Animals in the United States (2008–2015)Wilderness & Environmental Medicine, 2018; 29 (1): 36 DOI 10.1016/j.wem.2017.10.004

     

    (2) http://www.gunviolencearchive.org