-
Animaux hybrides sauvages

Les croisements entre espèces de mammifères ou d’oiseaux sont improbables a-t-on longtemps considéré. Pourtant ces dernières années on a découvert entre autres qu’il existait un narval -béluga, des loups -coyotes, des grizzlys-ours-blancs, des dauphins hybrides, et chez les oiseaux des passereaux hybrides (manakins) en Amazonie. On peut s’attendre à ce que cette liste s’allonge. A priori cela ne devrait pas nous surprendre : l’ ADN de nos ancêtres Homo sapiens d’Europe renferme de 1 à 4% de gènes issus des Néandertaliens, et de fait nous sommes les hybrides les plus nombreux sur Terre (1).
Longtemps il fut envisagé que l’hybridation chez les animaux était un événement d’une part exceptionnel, d’autre part que tout les hybrides naissaient stériles. Mais depuis que le séquençage et l’analyse génétique sont devenus les outils quotidiens des biologistes, bien de nos certitudes anciennes sont ébranlées, et notre connaissance des espèce animales se trouve enrichie de nouvelles données qui tendent certes à nous dérouter dans un premier temps, mais aussi nous ouvrent les yeux sur des phénomènes longtemps qualifiés de mystères, voire d’impasses de l’évolution.
C’est ainsi que les idées que l’on s’était forgées sur l’hybridation entre espèces éloignées, que ce soit sa fréquence, voire son improbabilité, tout ce corpus d’a priori est aujourd’hui remis en cause.
Le premier exemple ici évoqué fait référence à la capture en 1980 par un chasseur Inuit sur les côtes du Groenland d’un « narval-béluga » dont l’artiste Markus Butler de la Smithsonian Institution a pu reconstituer la silhouette : le chasseur avait conservé le crâne de sa capture et transmis le spécimen aux scientifiques. Il figure ici en b encadré par un crâne de béluga en a et de narval en c.

Screenshot Les différences anatomiques entre ces trois spécimens sont évidentes, et toute aussi évidentes sont leurs différences génétiques : les deux espèce de cétacés ont divergé voici plusieurs millions d’années. L’ADN extrait du crâne de narval-béluga a confirmé que c’était une espèce hybride.
A ce jour c’est le seul exemple d’hybride narval – béluga répertorié. Cependant en 2016, dans l’estuaire du Saint-Laurent, il a été observé le curieux comportement d’un jeune narval qui fréquentait de près un groupe de bélugas qui semble-t-il l’avait adopté, alors que d’ordinaire les deux espèces s’ignorent. Quelques années plus tard alors que ce même narval avait atteint sa maturité sexuelle, les observateurs l’ont soupçonné d’avoir des relations sexuelles avec un béluga. Ces amours ont-elles eu un fruit ? Le nouveau-né sera-t-il fertile ? A ce jour aucune réponse. Mais depuis la question se pose de savoir combien de narval-bélugas courent les océans…
Un autre exemple d’hybride est celui du croisement d’un grizzly et d’un ours blanc tel celui qui vit au zoo de Osnabruck en Allemagne. Mais ce n’est pas le seul hybride de ce type : en 2006 un chasseur canadien a tué un ours blanc-brun et l’analyse génétique a révélé qu’il s’agissait d’un hybride de grizzly et d’ours blanc. Depuis les découvertes de ce type se sont multipliés. IL est probable que réchauffement climatique aidant, les rencontres entre grizzlys et ours blancs deviennent plus fréquentes. Jusqu’ici on avait constaté qu’elles se soldaient par des agressions. Mais aujourd’hui force est de constater que l’amour peut aussi l’emporter…

Screenshot Le grizzly-ours blanc du zoo Onsabruck, Allemagne. Coradox via Wilimedia Commons
L’hybridation d’autres espèces, en particulier les dauphins est de longue date reconnue comme quasi une normalité chez des animaux à la sexualité débridée au point de devenir quasi légendaire, et ce bien avant que les scientifiques n’y mettent un peu d’ordre. On compte une bonne vingtaine d’espèces de dauphins qui vivent dans les grands fleuves et les océans. Une première étude en 2016 a comptabilisé 20 cas d’hybridation de dauphins et parmi eux seulement sept chez des animaux vivants en captivité.
N’oublions pas que les différentes espèces de ces cétacés ont divergé voici une bonne dizaine de millions d’années, et donc on peut supposer qu’il existe au sein de ce groupe une malléabilité génétique certaine qui favorise le métissage entre espèces.
Faut-il s’attendre à ce que viennent au jour dans un avenir proche une ou plusieurs espèces nouvelles de dauphins ? C’est possible.
En Amérique du Nord dans les milieux terrestres, les cas d’accouplements féconds entre loups et coyotes ne sont pas moins fréquents au point qu’ils sont nommés d’un néologisme à consonance hollywoodienne : coywolf. On croise ces hybrides dans le Nord Est de l’Amérique depuis une bonne centaine d’années, et leurs populations dans les dernières décades ont tendance a se multiplier jusqu’à se chiffrer en millions d’individus. Des prélèvements ont mis aussi en évidence la présence d’ADN de chiens domestiques chez certains de ces coywolves.
On se souvient que les loups d’Amérique ont été quasi éradiqués en même temps qu’avançaient les colons sur les territoires du grand Nord. Ce n’est qu’à compter du début du 20ème siècle avec la création des grands parc naturels autour des Grands Lacs que l’espèce a été protégée. C’est à partir de cette période que les rares mâles loups pour se reproduire se sont accouplés avec des femelles coyotes. Maintenant leurs rejetons sont des millions…
Les hybrides ont des caractéristiques anatomiques singulières et sont plus robustes que les coyotes, avec entre autres des canines plus puissantes comme illustré ci-dessous (Coyotte à gauche, coyywolf à droite).

Screenshot Un quatrième exemple nous vient du monde des oiseaux : des passereaux d’Amazonie au plumage vif, les manakins à tête dorée. Ce sont des espèces de petite taille assez rares : identifiées en 1957 pour la première fais, ce n’est que 45 ans plus tard que d’autres individus ont été repérés.
Ce qui a intrigué les chercheurs est la diversité de couleur des plumes de la tête des mâles réparties en trois types, au point que la question d’une possible hybridation s’est posée., ce qui a été confirmé par les études génétiques qui ont suivi.

Screenshot Les trois espèces de manakin et leur distribution dans le bassin de la Madeira en Amazonie.
Pour les chercheurs, les variations climatiques dans la région induites par les glaciations quaternaires ont entrainé des remaniements dans les paysages : des régions longtemps isolées par de larges cours d’eau ont favorisé la naissance de plusieurs espèces qui ont évolué indépendamment. Ensuite elles ont été à nouveau en contact ce qui a favorisé la naissance d’hybrides.
Cet exemple est instructif : la perspective que le réchauffement climatique va générer des déplacements massifs de populations cantonnés jusqu’ici à des territoires bien délimités et isolés les uns des autres, laisse envisager que dans l’avenir les « mélanges d’espèces » vont se produire, se multiplier et devenir plus qu’une mode.
Et l’on mesure que sur notre planète Terre réchauffée par nos impérities, va s’instaurer un grand marché des rencontres entre espèces, avec au rendez-vous le sexe et ses plaisirs. Honni soit qui mal y pense, et Linné y trouvera plus que son compte, n’en déplaise aux cagots.
-
Le chien laineux retrouvé

Les peuples de la côte ouest du Canada, l’actuelle Colombie Britannique, ont élevé pendant des millénaires une race de chiens à fourrure laineuse blanche qu’ils filaient puis tissaient pour confectionner des couvertures et tapis rituels. Cette tradition s’est interrompue à la fin du XIXème siècle. Heureusement des témoignages oraux de cet artisanat et aussi des photos d’époque et figurations picturales, pièces textiles et même la fourrure d’un de ces animaux permettent de reconstituer en détails cette coutume qui remet en scène les femmes d’alors qui de bout en bout l’ont perpétuée (1, 2).

Etiqueté « Mutton », cette fourrure d’un chien laineux est dans les collections de la Smithsonian Institution depuis 1859. Photo de cette fondation.
Le premier explorateur qui a documenté cette tradition d’élevage et de tissage de la fourrure d’un chien domestique est sans conteste le Capitaine George Vancouver qui de 1791 à 1795 eut en charge d’explorer et cartographier les côtes du Pacifique Nord de l’Amérique, aujourd’hui Colombie Britannique, province du Canada. Quelques années plus tard, le peintre canadien Paul Kane (1810-1871) a brossé une toile où figurent des tisserandes de cette région oeuvrant sur leur métier pour confectionner un tapis de laine. L’atelier est abrité sous une tente et dans le voisinage figure un petit chien blanc fraichement tondu qui leur a fourni leur matériau de base, du moins une partie.

Tableau de moeurs de P. Kane réalisé en 1840 lors de sa visite sur les îles proches de Vancouver.
En ce temps là, ces femmes canotaient chaque jour depuis leurs campements sur le continent pour rejoindre les îles proches très rocailleuses où séjournaient les élevages de chiens laineux afin de les nourrir. Des femelles constituaient l’essentiel des meutes qui y étaient parquées, et elles leur apportaient du poisson, de la viande et des os de mammifères marins comme l’ont montré les fouilles effectués sur place où abondent les restes osseux. A cette occasion on devait aussi peigner, brosser et cajoler les animaux. Deux fois par an ils étaient tondus et après dégraissage par brossage de la laine brute avec de la diatomite (3), cette laine était filée en association avec d’autres textiles animaux et végétaux, principalement du poil de chèvre des montagnes (Oreamnos americanus). Avant d’entamer le processus de tissage, une partie du fil était teint en rouge avec de l’écorce d’aulne, une autre en jaune clair avec du lichen et des fils bleus et noirs étaient obtenus à l’aide de minéraux ou des myrtilles. Ensuite venait le temps du tissage et les femmes s’installaient devant leurs métiers, produisant des couvertures à motifs de serge de différentes tailles, certaines avec des motifs géométriques élaborés et colorés, d’autres ornées d’une simple bande.
Ces chiens et leur fourrure étaient une source de richesse pour les villageoises qui veillaient à perpétuer la pureté de cette race qu’elles avaient sélectionnée de longue date, et cette production textile avait à voir avec la célébration de leurs ancêtres et de leur passé.
Je viens de résumer ici en quelques mots ce qui a été une longue enquête qui a associé pour ces recherches des archéologues, des zoologistes, des généticiens, des ethnologues, des linguistes et sociologues qui ont collaboré afin de recueillir des témoignages, rassembler des artefact éparpillés dans divers musées et chez des particuliers pour réunir et comprendre et rendre cohérents les éléments de ce qui fut longtemps un passé culturel ignoré voire méprisé.
Les équipes impliquées dans cette aventure scientifique ont entre autres analysé les données exploitables de près de 175 000 restes osseux de mammifères provenant de 210 sites répartis depuis le sud Oregon jusqu’au sud-est de l’Alaska. Dans ces gisements, 173 contenaient des ossements de canidés (loups, coyotes, renards, chiens) et 54% appartenaient à du chien domestique. Les datations révèlent que ces communautés indigènes ont peuplé ces régions depuis au moins 5000 ans.
Inutile de préciser que distinguer des os de chien et de loup est difficile. Mais des critères précis autorisent cette discrimination et ont permis de faire ces évaluations chiffrées.
L’une des plus difficiles questions a été de déterminer quelle race de chien a été choisie et sélectionnée pour être élevée pour sa laine. On sait que le chien a été domestiqué en Amérique du Nord principalement pour la chasse voici 10 000 à 15 000 ans et qu’il accompagnait les premiers colons de ce continent venus d’Asie. On a pu constater dans un premier temps que ces populations côtières possédaient deux types de chien domestique, l’une de grande taille pour la chasse, l’autre plus petite pour la laine. D’ailleurs le Capitaine George Vancouver rapporte dans ses écrits dès 1792 la fréquence de petits chiens blancs dans le voisinage des autochtones. ll précise : « « Ils sont tous tondus aussi près de la peau que les moutons en Angleterre ; et si compactes sont leurs toisons, que de grandes portions peuvent être levées par un coin sans causer de séparation. »
La race de chien qui fut sélectionnée pour cet usage est probablement proche des chiens de type spitz comme le chien de traineau esquimau, le samoyed ou le chow-chow dont quelques représentants figurent ci-dessous et qui sont présents dans les régions arctiques., réputés pour leur endurance et résistance au froid et leurs longs poils.

Chiens de type spitz : samoyed, chien esquimau, shiba inu et de Poméranie, Photos Farlap/Alamy Stock, Barbara von Hoffman/Amamy stock, Olena AFANasova. Alamy stock.
Par ailleurs il a pu être documenté que ces peuples de la côte non seulement cultivaient des plantes, mais élevaient des saumons dans des piscicultures et s’adonnaient aussi à l’ostréiculture : les outils utilisés pour la tonte étaient d’ailleurs des coquilles d’huitres. L’élevage des chiens outre leurs activités de chasse et artistiques était l’une de leur principale préoccupation. Les chiens laineux faisaient littéralement parti de leurs communautés : certains étaient enterrés enveloppés d’un linceul de cette laine aux cotés de leurs maitres et maitresses. Par ailleurs les couvertures et tentures fabriquées en utilisant leur laine faisaient parti de rituels symboliques pour célébrer les ancêtres.
Des récits recueillis dans les années 1930 évoquent des contes qui rapportent que des humains épousaient des chiens ce qui conféraient aux partenaires des pouvoirs surnaturels. L’héritage des noms et des richesses font aussi partie de cette tradition. Dès lors il n’est pas étonnant que ces moeurs bestiales n’aient fait l’objet d’aucun compte-rendu et même aient été occultées par les « conquérants du Nouveau Monde » imprégnés de puritanisme judéo-chrétien. Ils ont du se pincer le nez et détourner le regard de ces coutumes de « sauvages » lorsque qu’ils furent confrontés à cette réalité !
Heureusement quelques unes des ces couvertures faites de ces laines mélangées de chien laineux et de chèvre ont été collectées et conservées dans les musées pour nous rappeler ce passé culturel riche et sophistiqué.

Couvertures de laine chien-chèvre de las régions c^tières de Colombie Britannique. Smithsonian Institution.
A la fin du XIXème siècle avec l’arrivée sur les marchés de produits mnufacturés et l’accès à des logements en dur, cette tradition culturelle s’est étiolée jusqu’à s’éteindre.
- Virginia Morell. 2023 The dogs that grew wool and the people who love them. Hakai Magazine. https://hakaimagazine.com/features/the-dogs-that-grew-wool-and-the-people-who-love-them/
(2) Audrey T. Hun et al. 2023 The history of Coast Salish “woolly dogs” revealed by ancient genomics and Indigenous Knowledge. Science. Vol 382, Issue 6676. pp. 1303-1308 DOI: 10.1126/science.adi654
(3) les roches formées de diatomées sont souvent associées à des cendres volcaniques et donc permettent des datations
-
En mémoire de Jean-Yves Crochet, 1941-2023

Jean-Yves Crochet a débuté sa carrière de paléontologue au Muséum National d’Histoire Naturelle de Paris. Puis, à la fin des années soixante, Louis Thaler l’invite à l’Université de Montpellier en tant que maitre de conférences pour rejoindre l’équipe de paléontologues de son laboratoire qui s’associera à l’Institut des Sciences de l’Evolution créé quelques années plus tard. Il y fera carrière sa vie durant en tant qu’enseignant chercheur. Très aimé de ses étudiants, toujours disponible et joyeux de leur transmettre ses connaissances de géologue de terrain, il ne ménagera jamais sa peine pour les instruire et leur commenter les paysages géologiques de la région.
Pour autant il ne néglige pas la recherche, loin de là : il est l’auteur de 119 publications scientifiques dans des revues françaises et internationales.
Alors qu’il est enseignant, il effectue une thèse de doctorat d’état qu’il soutient en 1978 sur « Les Didelphidae (Marsupicarnivora, Marsupialia) holarctiques tertiaires » publiée en 1980 aux Editions de la Fondation Singer-Polignac.

Cinq visages parmi d’ autres de la vie de Jean-Yves surpris par ses amis
Toute sa vie il poursuivra ses recherches sur les Marsupiaux et ce sur tous les continents. C’est ainsi qu’il signalera les plus anciens marsupiaux d’Afrique dans l’Eocène inférieur de Chambi, Tunisie ; la présence de marsupiaux dans les dépôts de la limite Crétacé-Tertiaire qu’il a découverts au Pérou ; la présence des mêmes dans l’Oligocène des Bugti au Pakistan où là aussi il a participé à une mission de recherche paléontologique dans de difficiles conditions..
Peu à peu il acquiert une notoriété internationale dans le domaine des Marsupiaux et participe à de nombreux congrès et expéditions internationales sur le terrain.
Lors d’une mission en Algérie il participe à la découverte d’un Proboscidien dans l’Eocène continental d’ El Kohol qui sera longtemps considéré comme le plus ancien du continent.
Son éclectisme et sa curiosité l’ont entrainé à étudier les plus anciens mammifères d’Europe découverts dans le Montien de Belgique. Pour autant, il n’a jamais négligé son ancrage local et entre autres a participé à la résurrection du Lophiodon des Matelles, perdu de vue depuis 150 ans et héros involontaire d’une saga géologique qui a vu l’érection du Pic-Saint-Loup si cher à Jean-Yves.
L’un de ses terrains de chasse favori fut aussi sa vie durant les Phosphorites du Quercy qu’il a explorées pendant des années en compagnie de ses collègues de l’Université de Montpellier. Chaque hiver, pendant plusieurs semaines, ils séjournaient près de Caylux et ils ont extrait de ces cavités des quantités considérables de restes fossiles des dépôts karstiques qui s’étagent de l’Eocène moyen à l’Oligocène, et pour certains quasi contemporains des premiers hominidés d’Europe. Les Mammifères constituent la majeure partie des découvertes, mais Oiseaux, Batraciens et Reptiles y ont aussi leur part.
Dans le cadre de ces recherches il a eu l’occasion d’étudier les Insectivores du Paléogène que l’on y rencontre et par exemple eut l’opportunité de signaler les plus vieilles taupes dans un des nombreux gisements du Quercy. Il a aussi publié sur les Créodontes, carnivores primitifs des mêmes sites et réétudié l’unique pangolin découvert dans le Quercy.
Mais sa curiosité s’est aussi portée sur les gisements quaternaires par l’entremise des dépôts karstiques qu’on y trouve. Spéléologue émérite, il a effectué de nombreuses explorations dans le monde souterrain, faisant outre des relevés précis de ces galeries des découvertes de nombreux fossiles du Quaternaire.
C’est cette même curiosité insatiable qui l’a poussée à participer aux fouilles de Bois-Riquet près de Lézignan-la -Cébe dans un site Acheuléen qui a révélé outre des restes fossiles animaux, des outils préhistoriques de cet âge clé dans l’histoire des premiers hommes dans nos régions.
Jean-Yves était infatigable et lorsqu’il n’était pas dans des pays exotiques à la recherche de fossiles, à longueur d’année il courait la garrigue, explorait des grottes, participait en les commentant à des excursions géologiques, archéologiques et paléontologiques, le tout avec une bonne humeur et joie de vivre très communicatives.
Avec lui s’éteint le seul paléontologue anarcho-rabelaisien de ces 50 dernières années !
Pour visiter l’Hérault en sa compagnie, une lecture recommandée :
Jean-Yves Crochet, 2020. Géo tourisme de l’Hérault.. Editions Biotope, Mèze , https://www.biotope.fr
-
Le minet a 300 mines

Les expressions faciales des chats lors de leurs rencontres sont plus diverses qu’envisagé jusqu’ici, près de 300 selon une étude récente. Cette nouvelle approche et sa méthode peuvent nous être utiles afin que tout un chacun puisse mieux lire le visage de son petit compagnon et mieux assouvir ses désirs et identifier s’il est en peine ou sur le point de manifester son ire (1,2).

Chat circonspect. Science, cliché Olivia ZZ via Getty images.
« Je suis le Chat qui s’en va par les chemins mouillés du bois sauvage, remuant la queue et tout seul, et tout lieu se valent pour moi » écrit Rudyard Kipling dans ses « Histoires comme çà ».
Sans doute ses moeurs solitaires sont la raison pour laquelle jusqu’ici on avait négligé d’observer les mimiques des chats lors de leurs rencontres, à quelques caricatures près : chacun sait qu’ils ont le poil de la face hérissé et aplatissent les oreilles lorsqu’ils croisent un ennemi, ou les moustaches vibrantes, se léchant les lèvres et le regard mielleux dans le cas contraire par exemple.
S’il est vrai que depuis 10 000 ans au moins les chats fréquentent nos foyers, ils ont su néanmoins garder une réserve certaine. Contrairement à la plupart des autres animaux domestiques, aucune sélection artificielle jusqu’à une date récente n’a entravé ou modifié leur destin, et les chats sont restés à l’état de nature ce que notre cher Jean-Jacques avait su discerner et aussi leur portait-il une grande tendresse.
Et c’est ainsi que de l’état sauvage ils ont conservé le goût de la liberté, de l’indépendance, et la discrétion peut être considérée comme leur première qualité. D’aucuns prétendent même qu’ils sont peu sociaux, assertion contredite par l’existence de colonies de chats semi sauvages fort civiles qui persistent dans plus d’une île où accidentellement un ou plusieurs couples de ces animaux ont été déposés par des marins peu délicats, et de nombreux foyers accueillent sans problème plusieurs chats sans qu’aucune guerre ne se déclare.
Aussi c’est bien malgré eux qu’à leur endroit les humains ont développé une passion teintée d’empathie qui déborde en plus d’une occasion. De nos jours la Toile en témoigne au quotidien et plus d’un site leur est consacrée, alors que les rayons de supermarché consacrés à leur confort s’étalent sur des kilomètres. En bien d’autres lieux notre amour des chats se met en scène et se partage, en particulier dans des clubs de rencontre où chats et leurs « maitres » – les guillemets s’imposent – se retrouvent pour évoquer les bonheurs aussi bien que les soucis et misères de cette cohabitation pluri séculaire.
C’est ainsi qu’en un de ces lieux où prospère une certaine « civilisation du chat », le Cat Cafe Lounge de Los Angeles, Californie, est née l’idée chez deux de ses clientes assidues d’observer au plus près les rencontres entre chats qui s’y croisent en compagnie de leurs mentors. Précisons que les clientes en question sont par ailleurs éthologistes de l’Université de Californie voisine. La première raison qui les a incitées à envisager cette étude systématique de l’expression des émotions chez le chat qui aurait intéressé Charles Darwin au plus au point, est que lorsqu’ils souffrent de maux divers, il est difficile de mesurer leur peine et donc d’y remédier à bon escient. Et pas question de les trainer dans un laboratoire pour tenter de les soumettre à un IRM…
Pour établir leur protocole sur des bases solides, ces chercheuses se sont inspirées des nombreuses études qui visent à analyser de façon automatique le visage humain. Ces travaux ont de nombreuses applications dans différents domaines : santé, sécurité publique, biométrie, relations computer-humains par exemple. Avec l’IA en perspective, ces recherches se sont beaucoup développées ces dernières années, et pour avoir une portée généraliste utilisent des systèmes d’exploitation fondés sur des points-repère standardisés et normalisés sur le visage.
Marchant sur ces brisées, les deux savantes ont utilisé un portrait de chat standard avec des ponts-repères comme celui illustré ci-dessous (d’après réf. 2)

Grâce à cette base de traitement géométrique pour analyser les images des expressions faciales des chats, 48 au total, elles ont enregistré des vidéos des rencontres entre chats dans leur bistrot préféré, soit 194 minutes de film étalées sur deux mois de fréquentation.
L’analyse et l’exploitation raisonnée des images leur a permis de découvrir pas moins de 276 expressions faciales chez ces chats lors de leurs rencontres, pas très loin après tout des 357 relevées dans les mêmes conditions chez nos cousins les chimpanzés.
Dans l’ensemble elles notent que une majorité de ces mimiques sont très certainement complices (47%), d’autres agressives (37%) et pour le reste soit 18% les physionomies évoquent le sourire sans aucune malice mais quelque peu ambigu du chat du Cheshire qui fait des apparitions dans l’univers merveilleux d’Alice.
Ci-dessous quelques unes de ces mines de minet (d’après réf. 2)

Il est probable que le processus de domestication en augmentant les possibilités de rencontre entre des animaux « naturellement » solitaires a favorisé la différenciation des expressions faciales chez le chat.
Ce qu’il faut retenir est que en présence d’un chat étranger, on doit être attentif à ses oreilles, ses yeux et moustaches. Ces éléments du visage de minet sont très parlants et disent si oui ou non on a des chances d’être bien accueilli. Attention, si la bouche est entrouverte, méfiance, l’agression est proche !
(1) L. Scott, B. N. Florkiewicz. 2023. Feline Faces: Unraveling the Social Function of Domestic Cat Facial Signals. Behavioural Processes . DOI: 10.1016/j.beproc.2023.104959
(2) G. Martvel, I. Shimshoni & A. Zamansky, 2023. Automated Detection of Cat Facial Landmarks .. Computer Science. https://doi.org/10.48550/arXiv.2310.0979
-
Homo nadeli et le culte des morts

La découverte de squelettes d’Homo nadeli disposés en position foetale au fond de la grotte Rising Star près de Johannesburg, Afrique du Sud, suggère que des rites funéraires étaient en usage voici plus de 240 000 ans. Ces pratiques précédent de plus de 100 000 ans celles de nature comparable observées chez notre ancêtre Homo sapiens fossilis (1, 2, 3, 4).
Depuis 1999, à environ 50 km au sud de Johannesburg, tout un territoire est classé et préservé sous l’autorité de l’UNESCO et considéré « berceau de l’Humanité » tant sont nombreuses et riches d’enseignement les découvertes d’hommes préhistoriques et des témoignages de leurs activités. Les sites des grottes de Rising Star où on été découverts en 2015 les premiers restes de Homo nadeli font partie de cet ensemble.

Reconstitution d’homo nadeli par John Gurche et ses restes. National Geographic 2015
Dans un premier temps les découvreurs ont suggéré que ces restes humains avaient été délibérément déposés au fond de ces grottes devenues leur tombeau pour les protéger de la voracité des carnivores nécrophages. Aujourd’hui, suite à de nouvelles excavations, et découvertes, les mêmes constatent que les corps sont disposés en position foetale, et ils concluent que ces individus ont fait l’objet de rituels funéraires (1). Les datations dont on dispose pour ces restes fossiles oscillent entre 240 000 et 335 000 ans, et sont donc largement antérieures aux sépultures d’Homo sapiens fossilis de même nature que l’on a signalées en d’autres lieux (4).

Restes d’Homo nadeli découverts au fin fond de la grotte de Rising Star en Afrique du Sud Cliché Berger et al (Réf. 1)
Les cavités creusées dans un calcaire dolomitique daté du Précambrien et dénommées « grottes de Rising Star » constituent un système de galeries sur plusieurs niveaux dont à ce jour seulement trois kilomètres ont été explorés et cartographiés avec précision. Les restes fossiles de Homo nadeli, sépultures ou ossements isolés, se trouvent dans la zone dénommée « Dinaledi Chamber », « Hill Antechamber » et d’autres sites proches. L’accès à ces lieux n’est pas aisé et nécessite des capacités d’exploration dans une obscurité totale comme l’illustre la video proposée en conclusion de cette recension.
Outre les restes fossiles, les parois de ces grottes ont révélé en 2022 des gravures de différents types (2). La plupart de ces dessins sont des lignes droites de 5 à 15 cm de long et forment des ensembles géométriques quadrangulaires ou triangulaires que des éclairages en lumière polarisée éclairent au mieux. Sur le plan ci-dessous leurs positions sont signalées par les lettres A, B et C. Ces signes ont été apposés sur les paroies de telle sorte qu’ils soient visibles lorsque l’on passe de la Dinadeli Chamber pour accéder à la Hill Antechamber.

Une gravure et carte du sous-système de Dinaledi de la Grotte Rising Star. Les barres orange situent la position des gravures murales Les carrés rouges situent les lieux de fouilles. D’après Réf. 2
L’ensemble de ces découvertes suggère que l’on est en présence d’un degré élevé dans l’histoire de l’évolution de l’ Humanité. Les auteurs dans leur présentation au public de leurs découvertes ont insisté sur un point : Homo nadeli était un tiers plus petit que nous et un peu plus grand que les chimpanzés ; il enterrait ses morts et décorait les murs de leurs sépultures de graffitis. A ce jour ce type de culte des morts n’avait été rencontré que chez des humains au cerveau plus développé. Cela signifie que les Homo sapiens ne sont pas les seuls à pratiquer des rites symboliques, et qu’ils ne les ont peut-être pas inventés mais copiés.
Comme on pouvait s’y attendre, ces conclusions ne font pas l’unanimité, et certains disent qu’elles sont très prématurées. Cependant, déjà l’évidence que les tombes soient dissimulées dès cette époque est en soi une découverte importante.
Une video 3D permet de suivre l’exploration depuis la Hill Antechamber au travers d’ un passage d’accès à la Danaledi Chamber où gisent deux tombes. Credit: Corey Jaskolski/National Geographic.
- L.R. Berger et al . 2023. Evidence for deliberate burial of the dead by Homo nadeli. Preprint : https:// 10.1101/2023.06.01543127/
- L.R Berger et al. 2023. 241 000 tà 335 000 years old rock engravings made by Homo nadeli in the Rising Star cave system, South Africa. https://www.biorxiv.org/content/10.1101/2023.06.01.543133v1
- A. Fuentes et al. 2023. Burials and engravings in small-brained hominin; Homo nadeli from the Late Pleistocene : contexts and evolutionary implications. 10.1011/2023.06.01543135
- Martinón-Torres, M., d’Errico, F., Santos, E. et al. Earliest known human burial in Africa. Nature 593, 95–100 (2021). https://doi.org/10.1038/s41586-021-03457-8
-
Ronronner : une marotte plus qu’une musique

Le larynx du chat et ses cordes vocales sont bâtis de telle sorte que sans effort et sans se prendre la tête notre animal préféré exprime sa satisfaction par un mélodieux et soutenu ronron. Ainsi ravit-il son entourage et participe-t-il de la bonne humeur dans le foyer (1).
Ronron, notre onomatopée qui exprime au mieux selon nous français la douce musique qui s’échappe du gosier d’un chat heureux de vivre ne fait pas l’unanimité chez nos voisins, à une exception près : lc castillan dit « el gatto ronronnea ». Mais les anglo-saxons écrivent « the cat purrs », les italiens « il gatto fa le fura », et les allemands « Die Katze schnurrt ». Autrement dit, ce qui est une onomatopée évidente chez nous ne l’est pas chez nos voisins. Mais ce n’est pas de linguistique qu’il sera question ici, plutôt d’anatomie et physiologie du chat : comment exprime-t-il ce très fameux ronron, musique de félicité par excellence quoique un peu monotone quelle qu’en soit sa traduction dans le langage des hommes.

Un chat heureux sous les caresses. Science, Christine Glade iStock.
Le premier qui émit une théorie sur le sujet fut Richard Owen (1804-1892), surtout célèbre pour sa découverte puis son invention des Dinosauria. Très éclectique dans ses recherches zoologiques, en 1833 il proposa en se fondant sur l’étude anatomique de l’os hyoïde des carnivores félidés de distinguer les chats rugissants (roaring) tels le tigre, le lion, des chats ronronnant (= purring) dont le chat domestique est le meilleur exemple.
Plus près de nous, il a été montré que la capacité de rugir était due aux cordes vocales particulières de certains félins associées à un appareil hyoïde élastique. A l’opposé jusqu’ici on croyait que les sons de basse fréquence du ronron des chats étaient sous contrôle d’un influx nerveux qui contractait la musculature du gosier de manière appropriée pour émettre un son soutenu. Ainsi croyait-on que le ronron était sous contrôle du cerveau qui dirigeait la contraction des muscles.
Il n’en est rien ! Une étude anatomique précise suggère à l’inverse que les basses fréquences (20 à 30 Herz) qu’émet le chat n’ont besoin pour être émises d’aucune contraction musculaire ni impulsion nerveuse : les mêmes mécanismes aérodynamiques que ceux qui génèrent les vocalisations à plus haute fréquence, comme les miaulements à l’intérieur des cordes vocales permettent aussi l’émission du ronronnement.
Grâce à « the dodo » il et possible d’avoir un éventail sonore de ronrons par différents interprètes. Cette musique pour une oreille humaine paraitra monotone, uni corde. Mais qui sait : l’oreille des félins sait peut-être y trouver des vocalises subtiles et pleines de sous-entendus.
D’une façon générale on constate que les animaux de grande taille tel l’éléphant possèdent des cordes vocales plus allongées que ceux plus petits, ce qui leur permet d émettre des vocalises de basse fréquence. C’est la même règle qui s’applique aux instruments de musique : une contrebasse émet des notes basses, un violon des notes aigües. Un gros animal et un petit feront de même.
Mais alors comment les chats peuvent-ils émettre des sons de basse fréquence eu égard leur taille ?
Pour percer ce mystère les chercheurs ont conduit une étude anatomique et expérimentale sur un groupe de huit chats euthanasiés pour des maux incurables divers : il aurait été impossible de faire subir à des chats vivants des protocoles expérimentaux pour comprendre les modalités du ronronnement. Et donc ces vétérinaires ont découpé à peine morts les larynx de ces animaux pour les présenter ensuite à une soufflerie afin de simuler des vocalisations. Avec cette méthode ils ont pu produire des ronronnements de 25 à 30 Herz de fréquence sans aucune difficulté et en particulier, on s’en doute, sans l’aide d’aucune contraction musculaire ni influx nerveux issu du cerveau. Les cordes vocales ont vibré grâce à cette aération dirigée en émettant un son grinçant et soutenu.

Replis vocaux du chat en vue transversale (A). La ligne jaune mesure la longueur des membranes vocales soit 7.5 mm. En B et C coupe histologique du larynx avec la position des coussinets (pad). Réf. 1.
Pour ces chercheurs, l’aptitude à produire de façon soutenue un ronronnement basse fréquence est facilitée par une adaptation anatomique originale illustrée ci-dessus. Les chats possèdent des coussinets de quatre millimètres de long environ sur leurs cordes vocales, et ce tout au long de la glotte. Ces excroissances orientent et assurent la circulation de l’air en continu et permettent l’émission de vocalises sans effort.
Pour autant il n’est pas impossible que le ronron ordinaire puisse être amplifié par une activité musculaire sporadique due à une circonstance imprévue, caresse d’un tiers bipède, rencontre d’un ou une partenaire, ou tout simplement présentation d’un repas particulièrement succulent. Dans ces conditions le ronron cesse d’être une simple marotte ou un tic – il ne sera bien sûr jamais un dada – mais se transforme en une musique mélodieuse destinée à un public complice.
- Herbst et al., 2023, Domestic cat larynges can produce purring frequencies without neural input. Current Biology 33, 1–6 November 6, 2023 . https://doi.org/10.1016/j.cub.2023.09.014
(2) Sarah Kuta. 2023. Smithsonian Magazine. http://links.si.mkt6346.com/els/v2/gK8rSezYy~Q9/M0d4M2J5YnFCZ0Z1SzVQbXVBOWZhc3hjK2VoWWsxdUNOUkpxM1VpSExMQys0RmJjd3RNdVl3RHRobFNDWTB4cUJSelZvN241YUNsMnB4WEtKcXJsaDRMdHBObFBZcFVnS0xGU09sWVpEWWIyKzdXOTUzVTFadz09S0/
-
Eléphants et humains : une difficile cohabitation

« Sauvez les éléphants » est un slogan écolo qu’il est fréquent d’entendre dans les pays riches. Mais vivre avec les éléphants est-il facile lorsqu’on les côtoie au quotidien ? En Afrique la question se pose chaque jour (1).
Voici un siècle on estimait à une dizaine de millions la population des ces pachydermes. 50 ans plus tard il n ‘en restait plus qu’environ 1. 3 millions et aujourd’hui les estimations les plus optimistes envisagent qu’environ un demi million d’éléphants vivent en Afrique. Ce sont surtout les éléphants de savane qui sont menacés à court terme d’extinction aux dires de l’Union Internationale de la Conservation de la Nature alors que les éléphants de forêt, espèce distincte, eux sont considérés dans un état critique depuis 1980. Le braconnage pour leur ivoire est la première cause de cet effondrement démographique : chaque année, plus de 100 000 éléphants sont abattus pour leurs défenses. Heureusement depuis 2013, la lutte contre ce fléau s’est avérée efficace, en particulier depuis que le gouvernement chinois a interdit le commerce de l’ivoire sur son territoire.
Mais c’est un fragile succès aux dires des gens de terrain, et ce pour deux raisons : la « soif » d’ivoire de l’Asie et d’ailleurs peut à tout moment se réveiller ; en Afrique, la cohabitation éléphants – humains est devenue problématique en bien des régions, y compris celles qui abritent des parcs nationaux de conservation des espèces.
Des aménagements ont été réalisés qui permettent aux animaux de se déplacer dans les campagnes aux travers des cultures et villages pour aller d’un point d’eau à un autre ou d’une zone de pâturage à une autre comme ici illustré.

Une éléphante guide ses jeunes vers un point d’eau dans le Pac National de Tsavo au Kenya. Photo Lucy King. Réf. 1.
Il n’empêche que la cohabitation éléphants-humains est difficile. Ce ne sont pas seulement deux appétits de végétaux qui s’affrontent mais aussi des modes de vie, l’un débridé et fantasque, l’autre celui d’êtres qui se considèrent les maitres du Monde à la démographie plus que soutenue, envahissante.
L’exemple du Kenya est éclairant sur le sujet. Dans les années soixante dans ce pays vivaient environ 8.6 millions d’habitants sur une superficie de 590 000 km2, un peu moins que la France. En 2021 ils étaient 55 millions et la population continue de s’accroitre en même temps que ses besoins vitaux et d’espace. Les cultures et les pâturages se sont donc étendues, les voies de communication densifiées et les éléphants n’en ont cure. Les cantonner dans leurs réserves est quasi impossible.
Pour réduire les conflits, les autorités chargés de la conservation du patrimoine animal proposent de nombreuses solutions et c’est ainsi que sous l’égide de sa directrice Lucy King le programme « Humains-éléphants » propose une véritable boite à outils avec pas moins de 80 recettes pour protéger les cultures. Deux exemples en sont donnés ici. Dans ces cas les auxiliaires des agriculteurs sont des cailloux et abeilles.
Pour mettre à l’abri des trompes et donc de la soif de leurs voisins les citernes d’eau, des paysans ont disposé un pavage de rocailles et cette méthode s’est largement répandue dans le pays.

Quant à la protection des cultures, des ruchers suspendus à des poteaux s’avèrent très efficaces, en particulier pour garantir de la gourmandise éléphantine les champs de tournesols en les clôturant de la sorte : les éléphants n’aiment pas les piqures d’abeille. Qui plus est ces ouvrières bénévoles donnent du miel, une nouvelle ressource alimentaire qui peut aussi être commercialisé : « Mangez du miel d’éléphants ! ».
D’autres méthodes, clôtures électriques à énergie solaire, alarmes sonores avec des cloches, et aussi des mottes de crottin imprégnées de chili réparties de ci de là sont aussi des protections efficaces. Ci dessous une brique de crottin imprégnée de poivre puis précuite s’avèrera très efficace par combustion lente pour éloigner les pachydermes.

On peut constater que qu’il s’agisse de rocailles, abeilles, énergie solaire ou de bouse, ce sont là des productions très naturelles non polluantes à court, moyen et long terme. Au demeurant des ruses très humaines auxquelles Ulysse aurait pu recourir !
Ce programme qui a pour nom Ecoexist (https://www.ecoexistproject.org)
envisage d’accorder aux communautés qui vivent proches des éléphants des cartes de crédit « carbone » utilisables sur les marchés locaux à titre de compensation des dégâts que leurs cultures subissent régulièrement Ce type d’indemnisation est agréé par les sociétés qui participent aux projets d’économie renouvelable pour compenser leurs émissions carbone.
Il n’empêche que vivre aux côtés des éléphants n’est pas facile.Tous ceux qui ont vu leurs jardins ravagés par une orde de sangliers le comprendront…
- Anthony Ham. 2023. Smithsonian Magazine. Inside the Effort to Prevent Conflict Between Humans and Elephants in Africa http://links.si.mkt6346.com/els/v2/WNLaSPA043sW/MnZiUnlUa2haM2xiMHFOUTltSTlwUnZzM0hTYUExNkxzRVRmbUNXL3hxVTg1dHFMUjBkNVB4WjZEdjdQVlRZalg3Nlo3N2drT3p3cUVkZGdOWWlrVmZpVk1MblMyKzJhbGxOdWoraElROUZmeGpidENMT2RLZz09S0/
-
Le sanctuaire des baleines du passé

Au milieu du désert du Fayoum en Egypte, à 250 km au sud-ouest du Caire, gisent des dizaines de squelettes de baleines et de siréniens de mer fossiles. Au pied des collines de sables et grès de faible altitude, les vents tour à tour révèlent ou ré-ensevelissent les restes de ces géants du passé qui ont couru les mers de la Tethys ancêtre de notre Méditerranée voici 30 à 40 millions d’années. C’est un spectacle grandiose qui s’offre à l’oeil des visiteurs, si remarquable qu’il a été inscrit au Patrimoine de l’Humanité par l’UNESCO (1).

Ci dessus une vue panoramique du site de Wadi Al-Hitan. Le fond de la vallée révèle la Formation Birket Qarum de l’Eocène et la flèche pointe l’un des squelettes de Basilosaurus en cours d’excavation (D’après réf. 1).
La découverte de ce site exceptionnel remonte, au moins officiellement, au début du XXème siècle lorsque des premières explorations géologiques aux fins de découvrir s’il existait des ressources pétrolières et hydrologiques dans cette contrée furent entreprises par les Egyptiens et les Anglo-Saxons. L’un des objectifs était de s’assurer s’il était possible de détourner une partie du cours du Nil lors de ses crues pour constituer une réserve d’eau douce proche du Caire. Le chef du projet était Hugh J.L. Bendell ( (1874-1944) qui le premier rendit compte de la découverte de squelettes de cétacés fossiles dans la vallée de Wadi Al-Hitan sur la bordure sud ouest d’un horst composé de dépôts de l’Eocène. Cependant, eu égard la proximité des gisements d’un chemin de caravanes et le gigantisme de ces fossiles, de 5 à 15 mètres de long, il est possible que depuis l’Antiquité des bédouins en aient eu connaissance. Mais aucune preuve écrite n’existe à ce sujet.
La carte topographique et géologique ci-dessous (a) situe le gisement de Wadi Al-Hitan (carré rouge) et les rivages successifs de la Tethys en bleu avec coloriées en brun les zones émergées à l’Eocène. En b figure la zone protégée, les cercles bleus situant les quelques 500 squelettes de cétacés fossiles , en particulier de Basilosaurus aujourd’hui répertoriés dans le secteur. Ce cétacé anguilliforme atteignait une longueur de 15 à 20 mètres et pesait environ 50 tonnes.

Les sédiments qui révèlent le plus de fossiles sont des dépôts d’estuaires et de deltas faits de grés et sables datés de l’Eocène supérieur (34 ma) accumulés au gré des tempêtes, marées, variations du niveau des mers et crues des fleuves d’alors. On y trouve échoués sur ces berges différents types de vertébrés marins pour la plupart mais aussi quelques animaux terrestres. Pour les poissons, il y a des restes de requins, raies, espadons et poisson-chats. On y rencontre aussi de rares crocodiles et quelques tortues.Pour les oiseaux une seule espèce de pélican a été signalée.
Pour les mammifères ce sont les cétacés du passé dits « Archéocètes » les animaux les plus abondants et les mieux conservés : à ce jour près de 500 squelettes de ces animaux ont été répertoriés ainsi que plusieurs siréniens. S’y ajoutent des restes peu nombreux de proboscidiens primitifs, le Moeritherium ancêtre des éléphants qui fréquentait les pâturages de ce delta fossile.
Les espèces de cétacés les plus fréquentes sont Dorudon atrox et Basilosaurus isis. Ci-dessous un fossile de Basilosaurus de 22 m de long tel qu’exposé sur le site ouvert aux visites organisées et présentés dans le musée proche. (Photo Véronique Dauge. UNESCO et Getty Muséum), et sur youtube existent de nombreuses vidéos qui commentent des visites virtuelles.

Depuis les premiers signalements de Hugh J.L. Beadnell et des équipes de géologues égyptiens en 1905, d’autres expéditions paléontologiques organisées par l’American Museum of Natural History de New York et l’Egyptian Geological Survey effectuées d’abord à dos de chameaux ont permis de repérer et récolter de nombreux fossiles. Puis ce furent des expéditions de l’Université de Californie dans les années 1920 qui furent aussi très fructueuses. En 1960, Yale University avec Elwyn Simons à sa tête apportèrent d’importantes contributions. Et plus récemment c’est l’Université du Michigan et P.D. Gingerich qui firent à partir de 1985 en collaboration avec le Geological Survey d’Egypte les plus importantes découvertes, jusqu’à proposer et obtenir que le site soit déclaré « Patrimoine de l’Humanité » par l’UNESCO en 2005. Depuis un Musée de site existe à Wadi Al-Hatim et des visites organisées permettent aux visiteurs amateurs de paléontologie d’en mesurer la splendeur.
Dans le Muséum d’Histoire Naturelle de l’Université du Michigan qui a organisé de nombreuses et fructueuses expéditions dans cette région.sont présentés un Dorudon atrox au premier plan et Basilosaurus isis

On peut noter que les deux cétacés possèdent des membres antérieurs qui sont des palettes natatoires qui leur permettaient de se diriger. Pour les membres postérieurs, ils sont très réduits alors que les os du bassin ne sont pas attachés à la colonne vertébrales et sont flottants.
Basilosaurus (= roi – lézard) fut signalé pour la première fois et nommé en 1834 en Amérique du Nord et ces premiers restes attribués de façon erronée à un grand reptile. Par la suite il s’est avéré qu’il s’agissait d’un mammifère marin ancêtre des cétacés (Archéocètes) et d’autres espèces furent découvertes en Egypte; au Maroc, en Tunisie, au Pakistan. et au Pérou dans des dépôts côtiers de la Tethys, cet océan qui a précédé la Méditerranée. Les adultes pesaient entre 50 et 60 tonnes.
Basilosaurus est probablement le plus ancien cétacé pleinement aquatique et a un aspect et une façon de se mouvoir qui évoque une anguille géante, sa colonne vertébrale étant animée principalement de mouvements verticaux. Les mâchoires possèdent une denture avec canines et molaires tranchantes, et le contenu stomacal de certains spécimens révèle qu’il se nourrissait de poissons et requins.
Dans le crâne, l’oreille moyenne et interne sont incluses dans une bulle tympanique faite d’os dense, et l’ensemble des caractéristiques anatomiques indique que ces animaux avaient la capacité d’écouter sous l’eau et de se diriger, repérer des proies et aussi leurs partenaires.
Trois autres espèces moins fréquentes sont présentes : Ancalecetus simonsi, Masracetus markgrafi Aegicetus gehennae. Toutes ces espèces appartiennent à a famille des Basilosauridés qui furent des grands carnivores marins aux dents acérés à tête de dauphin et et à allure d’anguilles de mer.
Le site de Wadi Al-Hitan est important pour trois raisons. En premier lieu pour le nombre et la qualité de conservation des fossiles qu’on y a trouvés et que l’on continue à découvrir chaque année. Il a révélé les restes squelettiques les plus complets des ancêtres des Cétacés. Qui plus est on a aussi des traces de l’environnement dans lequel vivaient ces animaux : invertébrés (oursins, crabes, coquillages) et autres vertébrés y sont abondants et variés : poissons, reptiles siréniens, un mammifère terrestre et même un oiseau ! Nous avons jusqu’ici beaucoup appris mais il reste encore d’autres découvertes à faire.
Le second point qui fait que ce site est important est qu’il permet de comprendre l’histoire géologique de la région et le développement par accumulation des dépôts successifs d’une séquence stratigraphique qui illustre une période géologique riche d’événements de tout type, qui constitue un livre ouvert qui permet d’envisager dans quelles conditions se forment les réserves pétrolières au gré des variations du niveau de la mer.
Enfin et non des moindres, l’interêt du site est que les visiteurs peuvent d’une part voir en place des squelettes de ces animaux du passé et dans un musée de site trouver tous les commentaires et explications qui leur permettent de comprendre les conditions et les modalités de ce grand moment de l’Histoire des Mammifères : l émergence des baleines et cachalots qui pont colonisé toutes les mers du globe. D’abord ce furent des loutres géantes à tête de dauphin qui se reproduisaient à terre, puis des anguilles énormes au mode de vie entièrement marin, et aujourd’hui baleines, cachalots et narvals courent les océans. C’est donc un moment important de l’histoire de la Vie sur Terre qui est illustré à Wadi Al-Hatim
- P.D. Gingerich 2023. Wadi Al-Hitan or ‘Valley of Whales’ – an Eocene World Heritage Site in the Western Desert of Egypt . From: Clary, R. M., Pyle, E. J. and Andrews, W. M. (eds) Geology’s Significant Sites and their Contributions to Geoheritage. Geological Society, London, Special Publications, 543,
https://doi.org/10.1144/SP543-2022-203
- P.D. Gingerich 2023. Wadi Al-Hitan or ‘Valley of Whales’ – an Eocene World Heritage Site in the Western Desert of Egypt . From: Clary, R. M., Pyle, E. J. and Andrews, W. M. (eds) Geology’s Significant Sites and their Contributions to Geoheritage. Geological Society, London, Special Publications, 543,
-
Le goût du chat

Pour quelles raisons l’odeur de marée suscite-elle tant d’excitation chez nos chats ? Cette frénésie ébouriffée accompagnée de miaulements stridents et vigoureux signes caudaux peut se résumer en trois voyelles et une consonne bissée : umami (1), qui n’est pas loin de miaou…

Miaou, miaou, du thon ! Svetlana Sultanaeva/iStock (2)
Depuis les millénaires où ils ont rejoint nos foyers, les chats de longue date carnivores, d’abord de maraude, n’ont plus à se préoccuper de leur pain quotidien… qui n’est pas fait de céréale. Dans un premier temps ce furent des restes de cuisine carnés qu’on leur servit agrémentés à leur goût, distribués à heure fixe à moins de récriminations sonores soutenues. Mais depuis plus d’un demi-siècle toute une industrie s’est créée pour leur offrir une nourriture abondante, variée, équilibrée, facile d’emploi pour leurs sujets empressés de les bien assister entre deux siestes, les leurs pas les nôtres ! Et depuis, nous tous pauvres humains savons que les chats ont le palais délicat, et les fabricants de pâtées et granulats qui concoctent les produits destinés à nos chers animaux de compagnie ne l’ignorent pas. Ce n’est pas sans doute pour rien que 5% des produits de la pêche dans le monde finit comme ingrédient des composants des aliments pour chats : on les voit déjà dévorer du poisson dans les peintures et gravures de l’Ancienne Egypte 1500 ans avant notre ère.
Aussi un groupe de chercheurs a décidé de se pencher sur les papilles gustatives de nos petits félins et les principes chimiques qui les gouvernent.
Les cinq saveurs primaires auxquelles les papilles des Mammifères sont sensibles sont le sucré, le salé, l’amer, l’acide citrique et l’umami. Et les chats ont un palais unique : s’ils sont incapables de percevoir le sucré, ils sont hypersensibles à l’umami.
Cette saveur n’est entrée dans le répertoire des goûts que récemment, identifiée et caractérisée dans les cuisines du Japon. Son étymologie est simple, umaï = délicieux et mi = goût, et les gastronomes nippons ajoutent que c’est ce qui fait saliver, est rond et long en bouche. Et nous devrions tous en garder le souvenir car c’est la saveur dominante du lait maternel ! Il n’empêche que l’umami n’a reçu ses lettres de noblesse qu’au début du XXème siècle grâce à Kikunae Ikeda, professeur de chimie de l’Université Impériale de Tokyo.
Les analystes avancent que le composant principal de ce goût est un glutamate, acide aminé présent dans les protéines végétales et animales. Dans le bagage génétique des humains, deux gènes, Tas1r1 et Tas1r3, codent des protéines, acides aminés et nucléotides, qui s’assemblent dans les papilles gustatives pour former un récepteur qui détecte l’umami. Et chez le chat ?
Pour répondre à cette question Scott J. McGrane et ses collègues ont pratiqué des études poussées sur les papilles gustatives d’un chat. Ils ont constaté que dans la séquence génétique révélée par ses cellules gustatives on pouvait identifier les gènes Tas1r1 et Tas1r3, ce qui démontrait pour la première fois que les chats possèdent toute la machinerie moléculaire pour détecter l’umami, mais avec des différences par rapport à ce que l’on observe chez les humains. Ils ont poursuivi leur expérimentation avec un groupe de 25 chats dont ils ont testé les goûts en leur proposant pour les abreuver deux types de bols d’eau, l’un contenant diverses combinaisons d’acides aminés et de nucléotides, l’autre seulement de l’eau claire. Les chats ont montré une forte préférence pour les bols contenant des protéines.
Pour les chercheurs il apparait que l’umami est aussi important pour eux que l’est le goût sucré chez nous. Qui plus est en poursuivant leur enquête ils constatent que les chats montrent une préférence pour l’eau parfumée avec des composés mono phosphatés de type histidine et inosine, composés que l’on trouve à un haut niveau de concentration dans le thon. D’ailleurs une expérimentatrice de l’équipe, hôte de chats difficiles à satisfaire lorsqu’elle était apprentie vétérinaire, a rapporté qu’elle avait réussi à faire manger ses chats sans appétit en saupoudrant leur nourriture de flocons séchés de bonite, un ingrédient umami courant au Japon et poisson proche parent du thon.
Mais pourquoi le thon est-il si prisé des chats ? Ils sont originaires de contrées du Moyen-Orient éloignées des mers et océans, et ils ont fréquenté il y a 10 000 ans d’abord des éleveurs, cultivateurs qui n’avaient guère souvent l’occasion de mettre du poisson à leurs menus.
Alors on peut imaginer que s’est en poursuivant rats et souris qui suivaient au plus près les convois de blé et d’orge destines à l’exportation qu’ils ont pris le chemin des ports d’où l’on convoyait les céréales d’un pays l’autre. Et dans ces ports ils ont appris à aimer le poisson, et comme sur l’image ci-dessous qui nous invite à visiter les îles grecques à patiemment attendre le retour des pêcheurs, et autrefois on on leur servait de la perche du Nil, comme l’illustre cette peinture murale d’une tombe de l’Egypte Ancienne.

Une anecdote « souvenir d’enfance » me revient. Peu après la fin de la Guerre et celle des « restrictions », je fus campagnard d’occasion le temps d’un printemps et d’un été afin de me remplumer chez des parents qui habitaient au pied des Cévennes. Mon grand-oncle était un fervent pêcheur à la ligne. Presque tous les matins à l’aube il allait attraper des fritures de chevesnes, perches et autres ablettes vendues tout fraiches dans les mas des alentours. Mais l’oncle gardait toujours quelques pièces dans son panier pour ses chats. Et lorsque vers midi avec ma grand-tante nous les voyions se précipiter la queue dressée vers le portail du jardin, et bien avant qu’il n’y apparaisse suant et soufflant en poussant son vélo chargé de son attirail de pêche, nous savions qu’il était temps de dresser la table ! Les chats l’avaient-ils senti ou entendu venir ? Je crois qu’en fait le goût pour l’umami aiguise tous les sens…
Un conseil pour conclure : s’il advient que vous deviez faire avaler une pilule de médicament à votre chat sans risquer de perdre un doigt, servez lui la drogue diluée dans une cueillèrée d’umami !
- Scott J. McGrane et al., 2023. Umami taste perception and preferences of the domestic cat Felis catus, an obligate carnivore. Chemical Senses, 2023, 48, 1–17 https://doi.org/10.1093/chemse/bjad026
-
Le berceau des Mammifères doit-il changer de calotte ?

De récentes découvertes de Mammifères à molaires tribosphéniques dans l’Hémisphère Sud remettent en cause l’hypothèse acceptée de longue date qui stipulait que les plus anciens Placentaires et Marsupiaux avaient vu le jour dans l’Hémisphère Nord au Barrémien, voici 130 ma. Ces trouvailles multiples dans le Gondwana (Australie, Madagascar, Indes et Amérique du Sud) précèdent de 50 ma celles de Laurasie (1).

Distribution stratigraphique des Mammifères de Pangée, Laurasie et Gondwana (en jaune) D’après réf. 1.
Voici près de 150 ans, Edward Drinker Cope (1840 -1897) a suggéré que la molaire à trois cuspides tribosphénique était le plan fondamental qui avait assuré le succès des Mammifères dans ses variations multiples pour s’adapter à des régimes alimentaires divers. Selon le même auteur, très tôt les Mammifères Thériens s’étaient scindés en deux ensembles : les Placentaires et les Marsupiaux et ce dans l’Hémisphère Nord, donc en Laurasie, conclusion logique en regard du registre fossile alors disponible.
Ses successeurs, G.G. Simpson, B. Patterson, Percy. Butler, A.W. Crompton confortèrent ses vues. Ce dernier en particulier souligna la complexité fonctionnelle de ce plan dentaire à trois cuspides majeures qui implique un mode d’interaction très contraint entre molaire supérieure et inférieure : pour permettre broyage et perforation lors de la mastication des aliments, six facettes s’ajustent avec précision.

Fonctionnalité du plan tribosphénique. D’après Zhe-XI Luo, 2007.
Au premier stade des découvertes, donc environ de 1850 à à la fin des années 1990, les plus anciens fossiles porteurs de ce plan dentaire primordial ont été ceux d’âge Barrémien supérieur, 130 ma, tous géographiquement situés en Laurasie, donc dans l’Hémisphère Nord : ces dans ces territoires que les premières recherches paléontologiques ont débuté. Mais à partir des années 2000 les signalements de fossiles de Mammifères Placentaires et Marsupiaux tribosphéniques beaucoup plus anciens, de quelques 50 ma, ont été découverts dans le Jurassique aux Indes, en Australie, en Afrique du Sud et Madagascar, donc dans la partie de l’Hémisphère Sud appartenant alors au Gondwana.
Faut-il en conclure comme le titre de cette chronique le suggère que le berceau des Mammifères est situé dans l’Hémisphère Sud ? C’est en tout cas la conclusion logique que proposent Timothy K. Flannery et ses collègues. Mais le consensus est loin d’être atteint sur ce sujet très sensible pour beaucoup de mammalogistes. De longs et chauds débats vont animer les prochains congrès qui réuniront ces spécialistes !
Pour en savoir plus sur le plan tribosphénique et ses transformations : https://www.futura-sciences.com/planete/dossiers/paleontologie-nous-mammiferes-1720/page/7/
- Timothy F. Flannery, Thomas H. Rich, Patricia Vickers-Rich, E.
Grace Veatch & Kristofer M. Helgen (2022) The Gondwanan Origin of Tribosphenida (Mammalia), Alcheringa: An Australasian Journal of Palaeontology, 46:3-4, 277-290, DOI: 10.1080/03115518.2022.2132288
- Timothy F. Flannery, Thomas H. Rich, Patricia Vickers-Rich, E.