Les croisements entre espèces de mammifères ou d’oiseaux sont improbables a-t-on longtemps considéré. Pourtant ces dernières années on a découvert entre autres qu’il existait un narval -béluga, des loups -coyotes, des grizzlys-ours-blancs, des dauphins hybrides, et  chez les oiseaux des passereaux hybrides (manakins) en Amazonie. On peut s’attendre à ce que cette liste s’allonge. A priori cela ne devrait pas nous surprendre : l’ ADN de nos ancêtres Homo sapiens d’Europe renferme de  1 à 4%  de gènes issus  des Néandertaliens,  et de fait nous sommes les hybrides les plus nombreux sur Terre (1).

Longtemps il fut envisagé que l’hybridation chez les animaux était un événement  d’une part exceptionnel, d’autre part que tout les hybrides naissaient stériles.  Mais depuis que le séquençage et l’analyse génétique sont devenus les outils quotidiens des biologistes, bien de nos certitudes anciennes sont ébranlées, et notre connaissance des espèce animales se trouve enrichie de nouvelles données qui tendent certes  à nous dérouter dans un premier temps, mais aussi  nous ouvrent les yeux sur des phénomènes longtemps qualifiés de  mystères,  voire d’impasses de l’évolution. 

C’est ainsi que les idées que l’on s’était forgées sur  l’hybridation entre espèces éloignées, que ce soit sa fréquence, voire son improbabilité, tout ce corpus  d’a priori est aujourd’hui remis en cause.

Le premier exemple ici évoqué fait référence à la capture en 1980 par un chasseur Inuit sur les côtes du Groenland d’un « narval-béluga » dont l’artiste Markus Butler de  la Smithsonian Institution  a pu reconstituer la silhouette : le chasseur  avait conservé le crâne de sa capture et  transmis le spécimen aux scientifiques. Il figure ici en b encadré par un crâne de béluga en a et de narval en c.  

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Les différences anatomiques entre ces trois spécimens sont évidentes, et toute aussi évidentes sont leurs différences génétiques : les deux espèce de cétacés ont divergé voici plusieurs millions d’années. L’ADN extrait du crâne de narval-béluga a confirmé que c’était une espèce hybride. 

A ce jour c’est le seul exemple d’hybride narval – béluga répertorié. Cependant en 2016, dans l’estuaire du Saint-Laurent, il a été observé le curieux comportement d’un jeune  narval qui fréquentait de près un groupe de bélugas qui semble-t-il l’avait adopté, alors que d’ordinaire les deux espèces s’ignorent. Quelques années plus tard alors que ce même narval avait atteint sa maturité sexuelle, les observateurs l’ont soupçonné d’avoir des relations sexuelles avec un béluga. Ces amours ont-elles eu un fruit ? Le nouveau-né sera-t-il fertile ? A ce jour aucune réponse. Mais depuis  la question se pose de savoir combien de narval-bélugas courent les océans…

 Un autre exemple d’hybride est celui du croisement d’un grizzly et d’un ours blanc  tel celui qui vit au zoo de Osnabruck en Allemagne. Mais ce n’est pas le seul hybride de ce type : en 2006 un chasseur canadien a tué un ours blanc-brun et l’analyse génétique a révélé qu’il s’agissait d’un hybride de grizzly et d’ours blanc. Depuis les découvertes de ce type se sont multipliés. IL est probable que réchauffement climatique aidant, les rencontres entre grizzlys et ours blancs deviennent plus fréquentes. Jusqu’ici on avait constaté qu’elles se soldaient par des agressions. Mais aujourd’hui force est de constater que l’amour peut aussi l’emporter…

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Le grizzly-ours blanc du zoo Onsabruck, Allemagne. Coradox via Wilimedia Commons

L’hybridation d’autres espèces, en particulier les dauphins est de longue date reconnue comme quasi une normalité chez des animaux à la sexualité débridée au point de devenir quasi légendaire, et ce  bien avant que les scientifiques n’y mettent un peu d’ordre. On compte une bonne vingtaine d’espèces de dauphins qui vivent dans les grands fleuves et les océans. Une première étude en 2016 a comptabilisé 20 cas d’hybridation de dauphins et parmi eux seulement sept chez des animaux vivants en captivité. 

N’oublions pas que les différentes espèces de ces cétacés ont divergé voici une bonne dizaine de millions d’années, et donc on peut supposer qu’il existe au sein de ce groupe une malléabilité génétique certaine qui favorise le métissage entre espèces. 

Faut-il s’attendre à ce que viennent au jour dans un avenir proche une ou plusieurs espèces nouvelles de dauphins ? C’est possible. 

En Amérique du Nord  dans les milieux terrestres, les cas d’accouplements féconds  entre loups et coyotes ne sont pas moins fréquents au point qu’ils sont nommés d’un néologisme à consonance hollywoodienne : coywolf. On  croise ces hybrides dans le Nord Est de l’Amérique depuis une bonne centaine d’années, et leurs populations dans les dernières décades ont tendance a se multiplier jusqu’à se chiffrer en millions d’individus. Des prélèvements ont  mis aussi en évidence la présence d’ADN de chiens domestiques chez certains de ces coywolves. 

On se souvient que les loups d’Amérique ont été quasi éradiqués en même temps qu’avançaient les colons sur les territoires du grand Nord. Ce n’est qu’à compter du début du 20ème siècle avec la création des grands parc naturels autour des Grands Lacs que l’espèce a été protégée. C’est à partir de cette période que les rares mâles loups pour se reproduire se sont accouplés avec des femelles coyotes. Maintenant leurs rejetons  sont des millions… 

Les hybrides ont des caractéristiques anatomiques singulières et sont plus robustes que les coyotes, avec entre autres des canines plus puissantes comme illustré ci-dessous (Coyotte à gauche, coyywolf à droite).  

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Un quatrième exemple nous vient du monde des oiseaux : des passereaux d’Amazonie au plumage vif, les manakins à tête dorée. Ce sont des espèces de petite taille assez rares :  identifiées en 1957 pour la première fais, ce  n’est que 45 ans plus tard que d’autres individus ont été repérés.  

Ce qui a intrigué les chercheurs est la diversité de couleur des plumes de la tête des mâles réparties en trois types, au point que la question d’une possible hybridation s’est posée., ce qui a été confirmé par les études génétiques qui ont suivi. 

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Les trois espèces de manakin et leur distribution dans le bassin de la Madeira en Amazonie.

Pour les chercheurs, les variations climatiques dans la région induites par les glaciations quaternaires ont entrainé des remaniements dans les paysages : des régions longtemps isolées par de larges cours d’eau ont favorisé la naissance de plusieurs espèces qui ont évolué indépendamment. Ensuite elles ont été à nouveau en contact ce qui a favorisé  la naissance d’hybrides. 

Cet exemple est  instructif : la perspective que le réchauffement climatique va générer des déplacements massifs de populations cantonnés jusqu’ici  à des territoires bien délimités et isolés les uns des autres,  laisse envisager que dans l’avenir les « mélanges d’espèces » vont se produire, se multiplier et  devenir plus qu’une mode. 

Et l’on mesure que sur notre planète Terre réchauffée par nos impérities, va s’instaurer un grand marché des rencontres entre espèces, avec au rendez-vous  le sexe et ses plaisirs. Honni soit qui mal y pense, et  Linné   y trouvera plus que son compte, n’en déplaise aux cagots. 

1) Carlyng Kranking : https://www.smithsonianmag.com/smart-news/five-shocking-animal-hybrids-that-truly-exist-in-nature-from-narlugas-to-grolar-bears-to-coywolves-180983996/?utm_source=smithsoniandaily&utm_medium=email&utm_campaign=editorial&spMailingID=49586196&spUserID=MTAxNTU1MTA1ODE2MQS2&spJobID=2662507131&spReportId=MjY2MjUwNzEzMQS