Les écureuils volants sont moins rares qu’on ne croit. Mais il est vrai que c’est surtout de nuit qu’ils s’activent. Aussi on peut dire que ces noctambules sont plus que discrets, secrets. Et c’est par hasard qu’on vient de découvrir un trait original de leurs fantaisies nocturnes : dans leurs vols planés, leur pelage devient fluorescent et d’une jolie teinte rosée. Est-ce pour effaroucher les prédateurs ? Rechercher un partenaire d’amour ? Plus simplement faire carnaval au quotidien et jouer les drags queens ? La réponse n’est pas pour demain. Et qu’importe : leur vie privée ne nous regarde pas ! Il existe bien des grenouilles bleues et tant d’animaux hauts aux couleurs, parfois phosphorescents, et d’autres à l’inverse translucides qui livrent à tout un chacun et sans pudeur leurs humeurs sans pour autant réellement se dévoiler. Alors pourquoi pas des écureuils roses, sachant que les éléphants de même livrée, aux dires de Jack London, n’ont aucune chance de franchir la porte de nos ivresses.

Cela s’est passé en mai 2017, alors qu’un amoureux de la nature plus que matinal, au demeurant professeur de botanique, arpentait dès potron-minet son lieu de prédilection, un coin de forêt du Wisconsin armé d’une torche-caméra pourvue d’un détecteur UV : il souhaitait déceler par ce subterfuge lichens et autres plantes rares, lorsqu’il vit apparaître dans le faisceau de sa lampe la fugitive silhouette nimbée de rose d’un écureuil volant. Il s’empressa de signaler son aventure à un groupe de zoologistes qui suit de près et de longue date les Glaucomys volans de la région, et bien sûr ils poursuivirent l’enquête (1).

Ils ne sont pas les seuls à aimer fréquenter ces petites bêtes. Cette vidéo montre l’attention que leur portent les gardes-forestiers. On y voit relâchés dans leur milieu naturel une maman écureuil et ses deux petits : ils avaient chu accidentellement de leur nid et avaient été récupérés et soignés, pour être libérés après quelques semaines de soins intensifs https://www.youtube.com/watch?v=wTyfyQm2NpU

 

De jour, les écureuils volants apparaissent sous une livrée couleur non de muraille mais plutôt du même coloris que les arbres qu’ils fréquentent, et ainsi mimétiques, ils passent souvent inaperçus des promeneurs. D’autant qu’ils ne sont alors guère actifs. Mais la nuit venue, la sarabande commence…

Ecureuil volant d’Amérique dans sa parure diurne. Photo A.M Kholer

 

 

Recherche de nourriture, de partenaire d’amour ou de jeu, l’un n’excluant pas l’autre, ils s‘élancent d’arbre en arbre dans des vols planés qui défient les lois de la gravité. Que dans ces vols nocturnes leur fourrure alors soit fluorescente est certes une surprise, mais il faut souligner que cette qualité est largement répandue dans le règne animal et végétal. Enfant, hôte de la campagne dans mon midi natal, j’observais en famille les lucioles et autres vers luisants qui fréquentaient nos terrasses après diner et papillonnaient autour de la lampe à pétrole où l’un de mes ancêtres évoquait pour la tablée les jours heureux à jamais perdus. En d’autres occasions, trempant les pieds sur les plages de Mare Nostrum, c’étaient mille éclairs de vie qui surgissaient autour de mes brasses apeurées dans l’eau noire et tiède de ces bains de minuit improvisés. Et la littérature scientifique signale en nombre d’occasions la phosphorescence de plantes et d’animaux qui délivrent des messages nocturnes fluorescents que l’œil humain a souvent du mal à déceler. Est-ce pour se protéger ? Se reconnaître à l’insu de tout autre à moins qu’il ne soit pourvu d’un  détecteur UV ? Ou simplement batifoler ? Les animaux qui vivent dans le noir ont su mettre en œuvre toute une panoplie d’adaptations plus déroutantes les unes que les autres. Est-ce pour mieux se cacher ? Pour mieux se montrer ? En débattre entraine sur le terrain mouvant de la logique du verre à demi plein à moins qu’il ne soit à demi vide.

Pour l’heure et concernant nos écureuils volants, en poursuivant leur enquête, les chercheurs ont exploré les collections des nombreux musées d’Amérique du Nord où des dépouilles de ces petits mammifères sont conservées, en particulier celles de trois espèces : Glaucomys oregonensis, G. sabrinus, et G. volans. Ils ont constaté que les trois espèces nocturnes possèdent un pelage fluorescent rosé, alors que les écureuils « ordinaires » diurnes qui vivent dans le même environnement n’ont pas cette qualité.

Dépouille d’un écureuil volant américain en lumière naturelle et en ultraviolet Photo AM Kohler et al.

 

 

Et l’on s’aperçoit à cette occasion que le spectre des « dialectes » du langage animal – et végétal – est très large. Il y a les émissions sonores sur un très large spectre d’ondes, celles colorées ou lumineuses, les marquages odorants, et bien sûr les gestuelles et les parures. Toutes ces manifestations ont leurs codes, leurs vocabulaires, leurs grammaires et même leurs modes, qui comme on le sait varient avec le temps et les saisons. Nous sommes loin d’en avoir réalisé l’inventaire. Mais courage : ces recherches nous ouvrent des voies riches d’enseignement pour mieux nous apprendre à communiquer et nous comprendre, pourquoi pas les imiter et à l’occasion discuter avec nos partenaires terriens aussi divers qu’inattendus.

 

1) Allison M Kohler, Erik R Olson, Jonathan G Martin, Paula Spaeth Anich; Ultraviolet fluorescence discovered in New World flying squirrels (Glaucomys), Journal of Mammalogy, , gyy177, https://doi.org/10.1093/jmammal/gyy177