Le genre est très à la mode chez nos polémistes spécialistes en sciences sociales, et jusque dans les ministères leurs empoignades trouvent un écho. Que disent les autres  Mammifères sur ce sujet brûlant ? En particulier les hyènes tachetées ? Dans leurs sociétés très évoluées, mâles et femelles exhibent des attributs sexuels d’aspect identiques. Au point que les hyènes sont souvent qualifiées d’androgynes. C’est du moins le langage des autres, car au sein de leurs clans, ni aucun ni aucune d’entre elles n’est trompé(e) ni se trompe….

Deux hyènes adultes : en A le mâle pourvu d’un pénis, en B la femelle et son clitoris masculinisé. Photo Glikman 2004. En C trois jeunes hyènes des deux sexes montrent leurs organes génitaux. D’après Glikman et al. 2005.
Deux hyènes adultes : en A le mâle pourvu d’un pénis, en B la femelle et son clitoris masculinisé. Photo Glikman 2004. En C trois jeunes hyènes des deux sexes montrent leurs organes génitaux. D’après Glikman et al. 2005.

 

Les hyènes tachetées (Crocuta crocuta) puent, ricanent, sont à l’occasion nécrophages, décrites comme androgynes, et au final peu sympathiques à nos yeux et même craintes. Présentes dans toute l’Afrique au sud du Sahara, elles vivent en clans très structurés par des codes et règles, habitent longtemps les mêmes repaires où les mères élèvent leurs petits, coopèrent et échangent entre mamans au cours de l’élevage nourriture et savoir. Et puis elles ont appris à chasser de concert avec une redoutable efficacité tous les herbivores de la savane, guidées par la chef de meutes. Les mâles, jeunes et vieux, sont toujours traités en subalternes.

Lorsque les meutes de hyènes se déplacent, de loin comme de près, il est impossible de distinguer mâles et femelles, qu’ils ou qu’elles soient adultes ou à peine nés. Les unes et les uns, on ne sait quelles ou quels, exhibent entre les jambes un membre bien développé : clitoris ou pénis ? Comme d’autres, plus haut, pour qualifier cette similitude des organes génitaux, j’ai employé le terme d’androgyne : il serait préférable d’utiliser celui de monomorphe, mais ce mot s’il n’échappe pas à notre dictionnaire, qualifie une pathologie…et je ne veux pas fâcher nos nouvelles amies.

 

Pourtant il est une situation où l’on peut aisément distinguer les deux sexes : les hyènes, lorsqu’elles sont rassemblées pour dévorer une carcasse, les femelles sont les premières qui se gavent, alors que les mâles attendent patiemment leur tour.

Et puis il y a le temps de la chasse, où d’évidence la meute est guidée par la femelle dominante du groupe, souvent la plus âgée et la plus expérimentée.

Chaque groupe familial, jusqu’à 80 individus de tout âge, est en effet dominé et guidé par une femelle : après sa naissance au sein du groupe, devenue adulte, une jeune hyène femelle gagne peu à peu en assurance, écarte les concurrentes, jusqu’à les dominer. Aucun mâle ne contestera sa prise de pouvoir et viendra s’opposer à elle et à ses prétentions. D’ailleurs ces messieurs sont plus petits, moins lourds que leurs partenaires. Il faut ajouter comme donnée essentielle, la précocité et la maturité des jeunes : à peine né(e)s, ils, elles ont les yeux ouverts, leurs dentures est bien en place, et les luttes fratricides dans les nichées se concluent par l’élimination d’au moins la moitié des nouveaux né(e)s d’une portée, tué(e)s et mangé(e)s par leurs frères et sœurs, cousins ou cousines.

 

Le moindre des paradoxes du contrat social qui lie les membres de ces sociétés matriarcales est que mâles et femelles, à première vue, ne peuvent pas être distingués : tous les adultes ont entre les jambes, bien visibles, un organe de même aspect : pénis ou clitoris ?

Aussi trompeur que puisse paraître un tel appendice, d’évidence son aspect n’est pas fait pour leurrer les membres de l’engeance à quelque sexe qu’ils appartiennent : un regard et surtout une odeur suffisent à chacun pour être renseignés. Alors il y a les autres, cette foule affamée de carnivores de tout poil qui rêve de supplanter les hyènes, et se gaver à leur place. Il y a aussi leurs futures victimes qui ignoreront jusqu’à leur dernier souffle de quel genre masculin ou féminin le plus se méfier. Surtout il y a ce fait incontournable : les hyènes tachetées sont plus intelligentes que tous les autres carnivores, et c’est sans doute parce qu’elles forment des sociétés structurées, qu’elles ont acquis une culture collective et individuelle comparables à celle de bien des Primates.

 

Lorsqu’elles se rencontrent après une absence, femelles et leurs jeunes se flairent, se lèchent et jugent du statut de l’une et l’autre par un cérémonial de reconnaissance http://www.youtube.com/watch?v=XxhE8d1elbY

 

Les rencontres mâles femelles sont plus mouvementées, et les prétendants doivent se montrer prudents

https://www.youtube.com/watch?v=GHAOPzN-Fpg

 

Pour plus de vidéo, rejoignez : http://www.arkive.org/spotted-hyaena/crocuta-crocuta/video-00.html

 

 

Mais alors pourquoi mâles et femelles se ressemblent-ils au point qu’on les confond ?

Aristote, l’un des premiers naturalistes, s’est étonné de la solide réputation d’androgynie qui les suivait. Il est vrai qu’il vivait alors sur l’Ile de Lesbos où le sexe et sa pratique étaient au centre de bien des conversations avant de devenir sujets d’étude. Dans son « Histoire des animaux », le premier lycéen écrit que la rumeur s’est répandue que « chaque hyène est pourvue des deux organes mâle et femelle ». Après une étude minutieuse de l’appareil urogénital des hyènes, il conclut que cette rumeur est infondée. Mais il ajoute qu’il est probable que la forme des poches qui recèlent les glandes séminales des mâles a pu induire en erreur les chroniqueurs et être confondues avec les excroissances clitoridiennes que présente les femelles. Pourtant, la suite de la description que donne Aristote des hyènes qu’il a disséquées permet de conclure que ce ne sont pas des hyènes tachetées qui vivent au sud du Sahara qu’il a examinées, mais des hyènes rayées du Maghreb et du Moyen Orient qui n’ont ni les mêmes règles de vie en société, ni la même anatomie des parties génitales, ni surtout la même intelligence

Il se trouve que « l’erreur » d’Aristote a été reprise et même amplifiée par Pline l’Ancien : il appuie les dires d’Aristote. Ce qui lui vaudra quelques siècles plus tard de s’attirer les moqueries de Buffon :

« Il y a peu d’animaux sur lesquels on ait fait autant d’histoires absurdes que sur celui-ci. Les anciens ont écrit gravement que l’hyène (sic) était mâle et femelle alternativement : que quand elle portait, allaitait ses petits, elle demeurait femelle pendant tout l’année : que l’année suivante elle reprenait les fonctions du mâle ; et faisait subir à son compagnon le sort de la femelle. On voit bien que ce conte n’a d’autre fondement que l’ouverture en forme de fente que le mâle a, comme la femelle, indépendamment des parties propres de la génération qui, pour les deux sexes, sont dans l’hyène semblables à celles de tous les autres animaux. On dit qu’elle savait imiter la voix humaine, retenir le nom des bergers, les appeler, les charmer, les arrêter, les rendre immobiles : faire en même temps courir les bergères, leur faire oublier leur troupeau, les rendre folles d’amour, etc…Tout cela peut arriver sans hyène : et je finis pour qu’on ne me fasse pas le reproche que je vais faire à Pline, qui paraît avoir pris plaisir à compiler et raconter ces fables ».

Ainsi successivement Aristote n’a pas disséqué la bonne hyène, Pline a adopté ses vues aveuglément, quant à Buffon qui se moque des « fables » de Pline, il n’a sans doute jamais vu une hyène tachetée de sa vie. Il est vrai qu’entre Montbard et Paris, elles sont rares.

Depuis lors, notre connaissance des hyènes s’est approfondie et nous savons aujourd’hui reconnaître quatre espèces de hyènes :

 

– Les hyènes rayées d’Afrique du Nord, du sud du Sahara, du Moyen Orient et que l’on trouve jusqu’aux Indes, c’est celle qu’a étudié Aristote ;

– Les hyènes tachetées qui vivent en Afrique au sud du Sahara, sujets de cette chronique ;

– Les hyènes brunes d’Afrique du Sud ;

– Les hyènes protèles Afrique du Sud et de la Corne de l’Afrique.

 

Ces quatre espèces de hyènes actuelles ont un ancêtre commun. Mais chez une seule espèce il y a « masculinisation » des organes génitaux des femelles. Et ce dès les premiers stades du développement intra utérin : la durée de gestation est de 111 jours, et dès le trentième jour les prémisses des organes génitaux, clitoris ou pénis, sont distinguables chez les fétus, avant que les testicules ou les ovaires ne soient aptes à synthétiser des hormones androgènes. Autrement dit, le clitoris masculinisé de la hyène tachetée est un organe qui, s’il doit au hasard, est devenu une nécessité. Contrairement à ce qu’a pu écrire S.J. Gould à son sujet, le clitoris masculinisé n’est pas induit par un excès de testostérone. C’est un organe à part entière façonné par la sélection naturelles. Il confère aux femelles leur statut social de dominantes.

A la naissance, les nouveaux nés, un ou deux par portée, sont éjectés au travers du clitoris masculinisé, et c’est toujours une parturition difficile : 60% des primipares perdent leurs petits à la naissance. Pourtant, l’espèce est prospère et sa démographie n’est pas affectée outre mesure en dépit de ce taux de mortalité infantile ravageur.

 

Faire carrière dans la savane n’est ni plus difficile ni plus facile qu’ailleurs. Chez les hyènes, si on nait femelle, on a des attributs de mâle. Grâce à ce subterfuge, toute femelle peut dominer et soumettre tous les mâles. Et certaines cultivent aussi le secret espoir de gouverner toute la meute et devenir chefs de clan : c’est à coups de dents qu’elles gagneront ces derniers galons.

 

 

Gerald R.Cunha et al. 2014. Development of the external genitalia :Perspectives from the spotted hyena (Crocutacrocuta). Differentiation, 87 (2014) : 4–22. http://dx.doi.org/10.1016/j.diff.2013.12.003

 

 

Stephen E. Glickman1 et al. 2006. Mammalian sexual differentiation :

lessons from the spotted hyena. TRENDS in Endocrinology and Metabolism Vol.17 No.9 : 349-356.