Un nouveau Mammifère, ça se fête. Et si c’est un Rongeur, alors double ration : je leur ai consacrés 50 ans de ma vie ! C’est dans les iles au relief tourmenté des Célèbes, en Indonésie, qu’une équipe cosmopolite vient de débusquer un Muridé jusqu’ici inconnu : Hyorhinomys stuempkei (1). Pour le nommer, ses découvreurs ont mis en exergue son groin de cochon, ses affinités murines, et l’ont dédié à un zoologiste farceur, Harald Stümpke . Mais ils auraient pu pour forger son patronyme tout aussi bien évoquer ses yeux malicieux, les vastes pavillons de ses oreilles, 20% de la longueur du corps , ses incisives inférieures d’une longueur tout aussi inusitée, et surtout sa toison pelvienne dont la densité, la longueur, la richesse de couleurs des poils ne lassent pas d’étonner, au point d’être un peu jalousés par les uns et les autres, et je fais partie de la bande.

Portrait de Hyorhinomys stuempkei. Photo Jake Esselstyn / Louisiana State University.
Portrait de Hyorhinomys stuempkei. Photo Jake Esselstyn / Louisiana State University.

 

Le même exposant contre son gré sa toison pelvienne fournie et ses incisives très allongées. Crédit photo Kevin C. Rowe Museum Victoria, Melbourne.
Le même exposant contre son gré sa toison pelvienne fournie et ses incisives très allongées. Crédit photo Kevin C. Rowe Museum Victoria, Melbourne.

Les iles Sulawesi, tridactyles en indonésien et Célèbes en français, sont très accidentés, peuplées de 17 millions d’habitants, et on y compte 4 parcs naturels : leur faune et flore est très riche, et des mesures de protection de ces environnements forcément en péril eu égard leur fragilité ont été prises de longue date. Sur l’ile principale on a pu inventorier 47 espèces de Muridés (rats et souris) qui colonisent tous les milieux et ont des régimes alimentaires très divers, au point d’étonner les écologistes les plus avertis. Il en est de très ordinaires qui se nourrissent de fruits et graines, d’autres insectivores ou carnivores, une espèce de rat qui vit dans les cours d’eau et se nourrit exclusivement de poissons, et voici peu, on a signalé un rongeur sans dents : Paucidentomys vermidax. Il est le seul Rongeur au monde dont la cavité orale est dépourvu de molaires. A longueur d’année il se nourrit de vers de terre et autres bestioles au corps mou. S’il venait à fréquenter les hommes, il préférerait goûter nos hamburgers plutôt que nos fromages.

Cartographie des reliefs des Célèbres et forêt de montagne où vit Hyorhinomys stuempkei. Crédit Photo Kevin C. Rowe.
Cartographie des reliefs des Célèbres et forêt de montagne où vit Hyorhinomys
stuempkei. Crédit Photo Kevin C. Rowe.

 

A ce jour « le « rat-cochon » n’a lui été signalé que dans une seule localité, à 1600 m d’altitude, au cœur de la très dense forêt tropicale.

C’est bien sûr son étrangeté qui a interpelé les zoologistes qui l’ont découvert, au point qu’ils l’on dédié à un de leur collègue à l’extravagance reconnu : Harald Stümpke. C’est le pseudonyme qu’avait choisi Gerolf Steiner, zoologiste allemand, auteur d’un petit livre canular qui dans les années 60 se tailla une belle notoriété, du moins à l’échelle du milieu des biologistes d’alors, en particuliers dans notre pays. Sous le titre « Anatomie et biologie des rhinogrades. Un nouvel ordre de mammifères », Steiner y décrivait un nouveau mammifère particulièrement étrange et rare qui se déplaçait sur le nez, et qu’il prétendait avoir croisé dans l’archipel peu connu des Aïeaïeaïes. En France le livre parut avec une longue préface du plus célèbre zoologiste d’alors Pierre Paul Grassé. Et ce fut pour ce lamarckien, du moins le prétendait-il, l’occasion de gausser à mots couverts, en termes aussi savants qu’alambiqués, ce que l’on nommait alors « la théorie de Darwin ». Grassé était alors Secrétaire de l’Académie des Sciences, et son influence était grande. Mais pour lui mutation au hasard et sélection naturelle ne pouvaient en aucun cas être à la base de l’évolution biologique. Il n’était pas le seul en France à défendre ce point de vue. Comme le commente très bien Pierre Jouventin dans son ouvrage « La face cachée de Darwin. L’animalité de ‘homme » (Libre et solidaire éditeur), cette période de négation de l’approche darwinienne a perduré dans notre pays jusque dans les années 80. Il a fallu d’abord « le hasard et la nécessité » du prix Nobel Jacques Monod, et puis le travail de mon maitre Louis Thaler, de Patrick Tort et d’autres pour qu’enfin triomphe le darwinisme chez les biologistes français.

Je ne crois pas que des arrières pensées de cet ordre aient amené les découvreurs du rat-cochon à dédier le petit animal à Harald Stümpke. Pour eux, c’est plutôt une façon de célébrer l’esprit potache de Gerolf Steiner. Et comme l’humour est une denrée rare chez les « savants », alors l’occasion était belle de saluer un scientifique qui n’en manquait pas.

 

 

 

 

(1) Jacob A. Esselstyn et al. 2015. A hog-nosed shrew rat (Rodentia: Muridae) from Sulawesi Island, Indonesia. Journal of Mammalogy 96 (5): 895-907; doi: 10.1093/jmammal/gyv093