Le rat et ses puces ne sont pas les seuls responsables de la peste noire qui fit des ravages en 1348 à Londres et dans toute l’Europe. Un autre rongeur a été le principal agent de dissémination de Yersinia pestis, bacille responsable de la maladie : la gerbille d’Asie Centrale. A un an de distance, les travaux de deux équipes de chercheurs, l’une d’archéologues Britanniques exerçant à Londres, l’autre d’écologistes  travaillant en Asie convergent pour rendre plausible l’hypothèse.

L’année dernière, après étude des squelettes des victimes de l’épidémie de peste qui sévit à Londres en 1348, une équipe d’archéologues rendaient ses conclusions : ce n’était pas la peste bubonique qui avait frappé les victimes, mais une autre forme de peste, la peste pneumonique. Ainsi étaient expliquées à la fois l’ampleur de l’épidémie et surtout sa très rapide diffusion à l’échelle du Royaume d’Angleterre,  l’infection s’étant propagé d’un individu l’autre par voies aériennes et les puces que les malades abritaient, la malnutrition et la promiscuité dans une ville de Londres particulièrement insalubre constituant des facteurs aggravants. De façon indirecte, les archéologues exonéraient le rat noir et ses propres puces d’avoir été le principal vecteur du mal. http://www.decodedscience.com/digging-black-death-caused-black-plague-danger/44166.

Cette année des écologistes, qui ont une toute autre approche, viennent de compléter et apporter de nouveaux arguments à cette hypothèse (1). Ils ont étudié la dynamique de certaines populations de rongeurs qui vivent en Asie Centrale, car les épidémies successives de peste noire ont emprunté la Route de la Soie pour se répandre en Europe. Ils se sont intéressés en particulier à la grande gerbille, hôte comme le rat de Yersinia pestis, et rongeur herbivore très abondant dans les steppes d’Asie.

Grande gerbille du Kazakhastan (Rhombomys opimus) Photo Marcin Brrzezinski.
Grande gerbille du Kazakhastan (Rhombomys opimus) Photo Marcin Brrzezinski.

La démographie de cette espèce du Kazakhstan est liée aux fluctuations climatiques : un printemps chaud et un été humide sont suivis de pullulations de ce petit rongeur. Les anneaux de croissance de certaines essences de végétaux sont de bons indicateurs de la pluviométrie annuelle, et dans la mesure où certains arbres ont un millier d’années, il est possible de mettre en parallèle périodes d’humidité et de pullulation de l’animal aves les données historiques sur les épidémies de peste sur la même durée.

Anneaux de croissance d’un tronc de Genévrier vieux de plus de 1000 ans (Montagne du Kyrgisthan). Photo Jan Esper, Université de Mayence
Anneaux de croissance d’un tronc de Genévrier vieux de plus de 1000 ans (Montagne du Kyrgisthan). Photo Jan Esper, Université de Mayence

Les conclusions de cette étude montrent que de façon répétée depuis 1347, il y a eu des réintroductions successives de Yersinia pestis qui ont emprunté la Route de la Soie jusqu’aux ports d’Europe. Le principale réservoir du bacille est la gerbille d’Asie et les épidémies observées en Europe depuis 1347 suivent avec un décalage d’une quinzaine d’années les épisodes pluvieux qui ont favorisé la démographie du rongeur, et indirectement entrainé la propagation du bacille dont il est hôte.

Une épidémie de peste en Europe est la résultante de 3 étapes. D’abord  il y a une pullulation de rongeurs dans l’année ou la suivante qui suit un événement climatique favorable à sa démographie ; puis un temps de latence d’une dizaine d’années au cours desquelles le bacille gagne peu à peu grâce au transport maritime les différents ports accueillant les produits de l’Orient, en particulier la soie. L’épidémie va diffuser à travers toute l’Europe dans une troisième étape dans les 2 ou 3 années qui suivent à partir des marchandises distribuées et de leurs hôtes !
Une épidémie de peste en Europe est la résultante de 3 étapes. D’abord il y a une pullulation de rongeurs dans l’année ou la suivante qui suit un événement climatique favorable à sa démographie ; puis un temps de latence d’une dizaine d’années au cours desquelles le bacille gagne peu à peu grâce au transport maritime les différents ports accueillant les produits de l’Orient, en particulier la soie. L’épidémie va diffuser à travers toute l’Europe dans une troisième étape dans les 2 ou 3 années qui suivent à partir des marchandises distribuées et de leurs hôtes !

Pour autant il ne faut pas blanchir le rat noir jusqu’à l’innocenter, et ne plus poursuivre de notre vindicte ce commensal dangereux : lui aussi abrite le bacille de la peste et peut la propager. Et il se peut qu’un jour ou l’autre le héros de Fred Vargas, le commissaire Adamsberg, ait à mener à nouveau une enquête sur ce mal et les chemins tortueux qu’empruntent les bacilles de Yersinia pestis ,toujours à l’affut de nouvelles victimes (2). L’Organisation Mondiale de la Santé constate que entre 1954 et 1997, 38 pays, dont les Etats Unis, ont été touchés. Souvent on observe qu’après de « longs silences » la peste réapparait ici ou là, sur un rythme décennal, et des pays sont frappés, alors qu’on les croyait à l’abri, parce que pourvus  de structures sanitaires modernes.

Le Mal Noir n’est pas qu’une légende : quand il frappe, il  tue dans plus d’un cas sur 10.

(1) Boris V. Schmid, Ulf Büntgen, W. Ryan Easterday, Christian Ginzler, Lars Walløe, Barbara Bramant, Nils Chr. Stenseth. 2015. Climate-driven introduction of the Black Death and successive plague reintroductions into Europe. Proc. Nat. Acad. Sciencewww.pnas.org/cgi/doi/10.1073/pnas.1412887112

 (2) Frédérique Audouin-Rouzeau. (alias Fred Vargas) 2007. Les chemins de la peste , Le rat, la puce et l’homme. Poche texto.