Quelques familles de castors récemment établies dans une rivière du Devon en Angleterre, ainsi que 150 autres individus de la même espèce qui eux bucheronnent en Ecosse depuis quelques années, tous sont menacés d’expulsion par les autorités sanitaires du gouvernement de sa Majesté. On soupçonne ces nouveaux immigrants venus d’on sait où d’être vecteurs de diverses parasitoses transmissibles aux humains. Dans un premier temps il est envisagé de capturer les rongeurs pour s’assurer moins de leur état de santé que du risque infectieux qu’ils représentent. S’il est avéré qu’ils sont porteurs de germes, on les transférera dans des lazarets où ils finiront leur jour.
Face aux autorités sanitaires du pays, une association locale d’écologistes, les Amis de la Terre, s’indigne et récuse l’argumentaire officiel. L’un des parasites dont on les accuse d’être porteurs sains (Echinococcus multilocularis) est très fréquent chez le chien et le chat ! Par ailleurs, les modes de capture des animaux ne manqueront pas de stresser les rongeurs, d’autant qu’ils seront ensuite transférés dans des lieux peu propices à les rassurer.
Au nom de l’histoire biogéographique du peuple des Mammifères qui vit et prospère – péniblement – dans les Iles Britanniques, je me range sans hésiter à leurs côtés.

Derek Yalden a dressé en 1999 un tableau très précis des vicissitudes qu’ont connu les Mammifères des Iles Britanniques depuis le réchauffement climatique qui, provoquant l’élévation du niveau des mers, les a isolés du continent (1). Jusque là on y croisait les mêmes espèces que dans le reste de l’Europe : loup, ours, auroch, cerf, castor et tant d’autres. Ces derniers ont été exterminés du Royaume-Uni voici plus de 400 ans. En cause une chasse intensive pour les dépouiller de leur douillette fourrure et prélever leur musc huileux censé guérir mille maux. Les deux cartes suivantes témoignent de leur présence et de leur appartenance entière à la faune locale et du souvenir qu’ils ont laissés dans la toponymie.

A plusieurs reprises, on a tenté de les réintroduire, et chaque fois des débats sans fin s’en sont suivis. En cause la réticence des autorités sanitaires qui refusent d’avaliser leur présence permanente : les permis de séjour qu’on leur accorde doivent sans cesse être sujet à révision, contestation, et les castors Britanniques restent sous la menace d’une reconduite à la frontière qui privera le pays de leur ingéniosité d’hydrauliciens.http://www.francetvinfo.fr/monde/europe/le-castor-l-arme-secrete-des-britanniques-contre-les-inondations_529027.html
Pourtant les mêmes autorités sanitaires se sont montrées moins sourcilleuses à l’endroit de deux autres espèces de rongeurs de même taille et qui ont des mœurs voisines : le rat musqué d’Amérique du Nord et le ragondin qui lui est originaire d’Amérique du Sud. Il est vrai que l’un et l’autre ont été introduits entre les deux guerres en Angleterre aux fins d’élevage et de marchandage de leur chair et peau. Beaucoup se sont évadés de leurs bagnes et gambadent, fourragent et nagent si librement dans la campagne anglaise qu’on les considère aujourd’hui intégrés à la faune de l’Ile.
Pourquoi ne pas accorder même statut au castor qui lui ne fait que regagner ses pénates après une trop longue absence ?
Je crois que là où le bat blesse est que dans toute l’Europe continentale, le castor a statut d’espèce protégée. Et si le Gouvernement britannique accorde une carte verte de résident permanent au castor, il faudra bien qu’il prenne position à son sujet dans le cadre de cette législation, et justifie de sa décision. Pour les gouvernants, naturaliser le castor c’est courir le risque de devoir à terme lui accorder ce privilège, et d’une certaine façon devoir l’anoblir. Plutôt que de consulter les autorités sanitaires, pourquoi ne pas adresser la question à la Chambre des Lords ?
Pour partager quelques instants la vie de famille du castor anglais, voyez cette vidéo de la BBC.
https://www.youtube.com/watch?v=uib1obUFs0s#t=17
(1) Derek Yalden. 1999. The history of British mammals. Poyser Natural History Ed.