Chez les zèbres, il n’y a pas que 50 nuances de gris. Si le noir et le blanc suffisent à construire une identité pour chacun qu’il endosse à sa naissance, cela ne donne pas lieu à seulement cinquante, mais à des milliers et des milliers de robes, toutes différentes les unes des autres. Par l’épaisseur des rayures, de leurs arabesques et contours, des pleins et déliés qu’elles dessinent, de la densité des diverticules parfois sinueux des raies, cet uniforme est loin de l’être. Alors pourquoi il est des zèbres plus clairs que d’autres, à moins que ce ne soit l’inverse ? Parfois ce sont leurs pattes qui sont  plus claires, mais la robe de l’échine peut aussi être plus ou moins sombre. Ces questions ne datent pas d’hier, et ont fait couler beaucoup d’encre, noire bien sûr. Pour envisager de les résoudre il fallait multiplier les observations, les quantifier, et ce sur une longue période.  C’est à l’issue de longues études sur les populations de zèbres de plaine que l’on rencontre depuis le Cap jusqu’en Afrique Centrale,  dans des environnements variés, qu’un groupe de chercheurs vient de rendre son verdict. Ce ne sont que des soupçons, pas encore des certitudes, mais il semble que les raies du zèbre participent à la thermorégulation de son corps, et varient d’épaisseur en fonction du climat plus ou moins chaud où il vit (1).

Jetons d’abord un coup d’œil sur les tendances extrêmes que l’on peut observer chez ce peuple des savanes. Pour les zèbres de plaine, les pleins et déliés de leur costume, plus ou moins denses, sont illustrés ci-dessous. A leurs côtés, a vécu jusqu’à il y a peu le zèbre couagga du Cap, une sous espèce à la robe plus sombre. Elle fut  invitée pour un concours d’élégance à Versailles, et fréquenta la cour de Louis XVI. http://www.grandegaleriedelevolution.fr/fr/collections/specimens-phares/couagga-louis-xvi

Deux variations de la robe du zèbre de plaine et le zèbre couagga de Louis XVI peint par Nicolas Maréchal en 1793.
Deux variations de la robe du zèbre de plaine et le zèbre couagga de Louis XVI peint par Nicolas Maréchal en 1793.

Hélas, les colons sud africains, indifférents à sa beauté particulière, l’ont exterminé au 19 ème siècle, considérant que l’appétit du couagga pouvait entamer jusqu’à le couper celui des cheptels venus d’Europe qu’ils élevaient pour nourrir leurs comptes en banque.

 

Reconnaissons d’abord que la robe du zèbre a du chic. Pourtant il s’en est fallu de seulement 90° quelle ne se transforme en tenue d’infamie. Bien conseillé, ce peuple des savanes a choisi d’endosser un costume à raies verticales que Brummell aurait pu porter sans déchoir, au lieu d’horizontales en usage dans tous les bagnes du monde. Mais aussi seyant soit-il, un costume doit être pratique, de bon usage, surtout bien adapté à l’environnement que l’on fréquente. Pour les zèbres c’est d’abord le décor végétal où ils vivent et doivent se fondre, car ils ne sont pas les seuls à courir la savane, et y ont plus d’un ennemi. Il y a tous ceux qui aimeraient bien croquer du zèbre, et aussi ces nuées d’insectes piqueurs gourmands de leur sang.  Alors ces rayures noires et blanches sont-elles une tenue de camouflage qui à la fois permet de se fondre dans le paysage autant qu’elle déroute prédateurs grands et petits ?

Quand on se pose ce genre de question, on a une petite idée derrière la tête. Et depuis longtemps déjà on a remarqué que les variations de la robe du zèbre dans les espaces qu’il parcourt sont graduelles du Sud au Nord comme illustré ci dessous. Les rayures des populations qui vivent près du Cap sont moins marquées. Elles gagnent en densité au fur et à mesure que l’on se rapproche de l’équateur. On soupçonne donc que la température a une grande influence. Cependant il est d’autres données environnementales qui elles aussi varient du sud au nord. Aussi les chercheurs ont réalisé des simulations qui prennent en compte dans 29 sites la température locale et d’autres paramètres : pression de prédation exercée par les lions, densité des insectes piqueurs en particulier la mouche tsétsé, épaisseur du couvert végétal etc. Il s’avère que les plus pertinentes pour rendre compte des observations sont les données environnementales thermiques (température locale moyenne et autres). Ceci semble indiquer que les raies plus ou moins denses du zèbre lui permettent de maintenir la surface de son corps à une température d’environ 29.2°C, alors que dans les mêmes conditions, chez les autres herbivores, la température s’élève à 35.5°C.

 

Au centre la variation graduelle de la robe du zèbre telle qu’elle est constatée. Les cartes résument quelles épaisseurs les raies des pattes et du corps sont attendues en fonction des paramètres testés. Les plus pertinents sont ceux qui ont pris en compte la température moyenne locale des différentes localités.
Au centre la variation graduelle de la robe du zèbre telle qu’elle est constatée. Les cartes résument quelles épaisseurs les raies des pattes et du corps sont attendues en fonction des paramètres testés. Les plus pertinents sont ceux qui ont pris en compte la température moyenne locale des différentes localités.

 

Pourtant ce sont là des résultats préliminaires : il faudra les compléter par des études plus précises sur la physiologie de la thermorégulation du zèbre, en particulier tester si les raies du pelage et les réseaux sanguins capillaires du derme se superposent, et quel mode de ventilation rafraichit l’animal.

Il semble que courir en plein soleil dope l’énergie et la vigueur de ces champions du galop en habit de soirée. Où réside le secret de ces coureurs à pied, vierges de toute suspicion de prise de drogue illicite ?

En guise de conclusion, et pour en savoir plus sur les raies du zèbre et des autres pelages des mammifères, j’invite à consulter un article de Pour la Science : on y évoque les travaux d’Alan Turing sur la morphogenèse et son modèle de réaction diffusion. http://www.pourlascience.fr/ewb_pages/a/article-chimie-des-formes-et-motifs-de-pelage-22308.php

 

A moins que l’on ne préfère une autre histoire de zèbre qui me fut conté il y a bien longtemps :

« Lorsqu’il créa les animaux, Dieu décida d’abord qu’ils auraient tous un même pelage gris. Et puis un jour, pris d’inspiration, il inventa de nouveaux habits de toutes les couleurs avec des dessins tout aussi variés. Il demanda alors aux animaux de venir retirer ces nouveaux attraits afin de revêtir la robe de leur choix. Tous répondirent à l’appel et se précipitèrent pour réclamer un nouvel habit. Sauf le zèbre qui, distrait, s’arrêta à peine de brouter. Alors qu’une girafe croisait son chemin avec son nouvel uniforme, le zèbre, dans son fors intérieur, se dit qu’elle était bien belle, et qu’il devrait lui aussi aller chercher un nouveau costume. Mais pour autant il ne cessa pas de se sustenter. Pas plus qu’il n’interrompit son repas lorsque successivement le lion, le guépard, le koudou passèrent par là. Il préféra poursuivre ses agapes en se délectant de délicieux herbages. Lorsqu’il arriva enfin au rendez-vous fixé pour retirer un habit, il ne restait plus qu’un simple costume noir. Mais il avait entre temps tellement grossi, que lorsqu’il l’endossa, il craqua de toute part. Pourtant, bien que revêtu maintenant de lambeaux et guenilles, le zèbre décida qu’il était tout de même plus seyant que son vieux costume gris, et c’est ainsi que le zèbre gagna une robe rayée. »

  1. Larison B., Harrigan R.J., Thomassen H.A., Rubenstein D.I., Chan-Golston, A.M. Li E., Smith T.B. 2015. How the zebra got its stripes : a problem with too many solutions. R. Soc. open sci. 2: 140452. DOI: 10.1098/rsos.140452