Bientôt Noël, la fête des tout petits invités ce jour là à redoubler leurs jeux, même si souvent ce sont les parents qui s’amusent le plus. Pourquoi ne pas proposer en guise de cadeau à sa progéniture son double : un jeune animal bien vivant, en plumes ou en poils, et tout aussi espiègle, voire insupportable que la chair de sa chair ? Et c’est ainsi que dans bien des souliers de France et d’ailleurs, de jeunes enfants vont découvrir le 25 décembre au matin qui un chiot ou un chaton, un lapereau ou un cobaye, voire un serin ou un couple de perruches. Il n’est pas sûr que soit joint un mode d’emploi. Mais en général, l’invité surprise est bien accueilli, gagne un patronyme et voit sa situation de sans papier régularisé sans plus d’encombre : nourri, logé, câliné, parfois un peu trop shampouiné, il n’a à craindre que le rituel des visites au vétérinaire voisin.
Quelques précautions d’hygiène sont à inculquer d’emblée : pas de bisous réciproques, des lits et écuelles séparés, gare aux parasites externes et internes, morsures et griffures seront rapidement désinfectées.
En offrant son double à un enfant, c’est comme si on lui proposait un exutoire à ses humeurs : les tourments imposés à la poupée vivante vont faire office de passeport de tranquillité pour les parents. Dans le même temps ces derniers souhaitent transmettre à leurs enfants cette forme d’amour qui leur semble naturelle : en tant qu’Homo sapiens et fiers de l’être, ils considèrent que la possession et la fréquentation d’animaux de compagnie fait partie intégrante de la Culture de notre espèce. Aussi, cette forme d’empathie de l’autre mérite d’être transmise aux générations futures, au même titre que d’autres traditions. En résumé, le propre de l’homme c’est aussi aimer les bêtes.
À peine débarqué dans son nouveau foyer, le petit animal va devenir le compagnon de jeu préféré des enfants et, reconnaissons-le, l’esclave de leurs caprices. Car ils n’auront aucune peine à le dominer. Peu de chances en effet que lors des échanges ludiques, le petit d’homme se retrouve perdant. Aussi la fonction d’un animal de compagnie a pour corollaire de rassurer l’enfant : il gagne à tout coup face à ce nouvel adversaire qui n’en n’est pas un. Au cas où dans son entourage scolaire il serait en butte à de mauvais camarades, il trouvera dans la fréquentation d’un nouvel ami animal un réconfort.
Les humains ne sont pas les seuls mammifères qui font cadeau à leur progéniture de partenaires d’une autre espèce pour qu’ensemble ils jouent. C’est chez les Primates, nos cousins, et même peut-être nos frères, que l’on a relevé des contacts entre jeunes de deux espèces différentes que l’on peut qualifier de jeux, suscités par des parents soucieux de distraire et éduquer leurs enfants, sans que la rencontre se conclut par un diner où l’on dévore l’invité surprise. Dans la forêt de Guinée, à Bossou, on a pu assister à la capture par des chimpanzés adultes de jeunes damans (1). Enlevés par des parents chimpanzés, les damans ont été transportés auprès des enfants des singes et y ont séjourné quelques jours. Après avoir été tripotés à l’envie, suçotés, câlinés par les jeunes singes, les mêmes qui les avaient fait prisonniers, ont relâché ces jouets vivants.
D’autres cas similaires ont été signalés dans les mêmes lieux où cette fois les « captifs » provisoires étaient de jeunes babouins.
De l’autre côté de l’Atlantique, dans la forêt d’Amazonie, ce sont les sapajous qui vont à la rencontre des coatis et en font des compagnons de jeu pour leurs petits : guidés par leurs parents, de jeunes singes épouillent à cette occasion des petits carnivores de même âge dans leurs nids, parfois des adultes (2). Ils vont découvrir rapidement que leurs puces et tiques sont différentes des leurs, et au plan pédagogique cet exercice constitue une discipline d’éveil à part entière. Que le seul mercredi après-midi soit dévolu à sa pratique n’est pas sûr.
Il est bien d’autres rencontres, plus improbables les unes que les autres, qui bien que n’ayant pas donné lieu à des compte rendus scientifiques précis méritent que l’on s’y attarde le temps d’un clin d’œil :
http://www.funpedia.net/amazing-animal-friendship-pics/
Cette galerie de portraits a un côté rassurant : la Nature n’est pas toujours synonyme de lutte pour la vie avec à la clé des luttes fratricides, interspécifiques et j’en passe. Elle préserve aussi des moments de bonheur tranquille qui préfigurent un avenir radieux. Le pape n’a-t-il pas déclaré que les chiens aussi pouvaient gagner le paradis ? A condition de ne pas trop mordre bien sûr.
Toutes les rencontres que provoquent des parents à quelque espèce qu’ils appartiennent et qui sont soucieux du bien être de leurs petits, ont pour dénominateur commun : le jeu. Pour les adultes, à quelque espèce qu’ils appartiennent, c’est un exercice formateur, éducatif, et il est naturel que la barrière des races soit transgressée. On présuppose que dans le même temps que s’exerce cette forme juvénile de liberté débridée, va naître naturellement entre les partenaires une complicité, une empathie qui font que bêtes et gens, bêtes et bêtes, gens et bêtes s’entrecroiseront, s’embrasseront sans distinction de genre et espèce : « l’amour gouverne le monde » est la maxime que l’on souhaite voir s’inscrire au dessus des terrains de jeu des uns et des autres, et sous toutes les latitudes : https://www.youtube.com/watch?v=JE-Nyt4Bmi8
Pourtant, le darwinien que je suis, pose la question : pour quel(s) bénéfice(s) pour notre espèce accordons nous tant d’attentions, de soins et d’argent à nos ménageries domestiques, d’évidence plus encombrantes qu’utiles ? Bien sûr notre passé de chasseur, puis de berger éleveur, enfin de paysan peut expliquer la grande place, plus qu’une simple niche, qu’occupe par exemple les canidés dans la vie des hommes modernes. Les chats sont entrés plus récemment dans nos foyers en nous débarrassant des pillards de récolte que sont rats et souris, puis en combattant les mêmes parce qu’ils sont vecteurs de pestes. Poules, lapins et cobayes justifient leur présence à nos côtés en tant que réserves alimentaires aisément disponibles. De plus ils débarrassent notre cuisine de ses déchets verts.
Il n’empêche que à l’échelle de notre pays, le nombre d’animaux de compagnie frise les 30 millions d’amis. Cela fait beaucoup de monde à nourrir et cajoler. Comme l’a souligné crûment mon collègue Pierre Jouventin, dans plus d’un foyer de France, un chien , un chat et leurs maîtres, cela fait un total de trois prédateurs qui cohabitent dans le salon (3). Chacun peut y trouver pitance, et c’est tant mieux, mais surtout se pose rapidement le problème de la gestion d’un territoire où aucun des occupants ne parle la langue de l’autre. Il faut s’attendre à ce que naissent des conflits et s’y préparer.
Pour conclure en ne m’adressant qu’aux veinards qui possèdent un coin de jardin, je livre ce conseil : pour Noël, offrez à vos enfants une jolie poule pondeuse, ou deux. Elles sont des poubelles vertes vivantes et vous débarrasseront de vos déchets organiques ; leur achat peut être subventionné par nos chers élus ; chacune peut donner 200 œufs coque par an. Il ne reste plus qu’à préparer les mouillettes.
- Hirata, S., Yamakoshi,G., Fujita, S., Ohashi,G., andMatsuzawa, T. (2001). Capturing and toying with hyraxes (Dendrohyrax dorsalis) by wild chimpanzees (Pan troglodytes) at Bossou, Guinea. Am. J. Primatol. 53: 93–97.
- Briseida de Resende, M. Mannu, P. Izar, E. B. Ottoni. 2004. Interaction between Capuchins and Coatis: non agonistic behaviors and lack of predation. International Journal of Primatology, 25 (6) : 1213-1224.
- Pierre Jouventin ; 2014. Trois prédateurs dans un salon. Une histoire du chat, du chien et de l’homme. Édition Belin.
Il y a un avis beaucoup moins sympathique sur la vidéo montrant l’ours jouant avec un husky enchaîne, puis un autre passage ou un husky est maintenu prisonnier par un ours.
Malheureusement le dessous de l’histoire semble être de la cruauté et de l’avidité.
Merci pour les autres exemples charmants dont je ne connaissais pas l’existence.
J’aimeJ’aime
Merci de l’information. En visionnant d’autres vidéos du même auteur, je me suis aperçu qu’effectivement il ne se préoccupe guère du stress subi par les chiens, et peut-être pire.
J’aimeJ’aime