Au milieu du désert du Fayoum en Egypte,  à 250 km au sud-ouest du Caire, gisent des dizaines de squelettes de baleines et de siréniens de mer fossiles. Au pied des collines de sables et grès de faible altitude, les vents tour à tour révèlent ou ré-ensevelissent les restes de ces géants du passé qui ont couru les mers de la Tethys ancêtre de notre Méditerranée voici 30 à 40 millions d’années. C’est un spectacle grandiose qui s’offre à l’oeil des visiteurs, si remarquable qu’il a été inscrit au Patrimoine de l’Humanité par l’UNESCO (1). 

Ci dessus une vue panoramique du site  de Wadi Al-Hitan. Le fond de la vallée révèle la Formation Birket Qarum de l’Eocène et la flèche pointe l’un des squelettes de Basilosaurus en cours d’excavation (D’après réf. 1).

La découverte de ce site exceptionnel remonte, au moins officiellement, au début du XXème siècle lorsque des premières explorations géologiques aux fins de découvrir s’il existait des ressources pétrolières et hydrologiques dans cette contrée furent entreprises par les Egyptiens et les Anglo-Saxons. L’un des objectifs était de s’assurer s’il était possible de détourner une partie du cours du Nil lors de ses crues pour constituer une réserve d’eau douce proche du Caire. Le chef du projet était Hugh  J.L. Bendell ( (1874-1944) qui le premier rendit compte de la découverte de squelettes de cétacés fossiles dans la vallée de Wadi Al-Hitan sur la bordure sud ouest d’un horst composé de dépôts de l’Eocène. Cependant, eu égard la proximité des gisements d’un chemin de caravanes et le gigantisme de ces fossiles, de 5 à 15 mètres de long, il est possible que depuis l’Antiquité des bédouins en aient eu connaissance. Mais aucune preuve écrite n’existe à  ce sujet. 

La carte topographique et géologique  ci-dessous (a) situe le gisement de Wadi Al-Hitan (carré rouge) et les rivages successifs de la Tethys en bleu  avec coloriées en brun les zones émergées à l’Eocène. En b figure la zone protégée, les cercles bleus situant les quelques 500 squelettes de cétacés fossiles , en particulier de Basilosaurus aujourd’hui répertoriés dans le secteur. Ce cétacé anguilliforme atteignait une longueur de 15 à 20 mètres et pesait environ 50 tonnes.

Les sédiments qui révèlent le plus de fossiles sont des dépôts d’estuaires et de deltas faits de grés et sables  datés de l’Eocène supérieur (34 ma) accumulés au gré des tempêtes, marées, variations du niveau des mers et crues des fleuves d’alors. On y trouve échoués sur ces berges différents types de vertébrés marins pour la plupart mais aussi quelques animaux terrestres. Pour les poissons, il y a des restes de requins, raies, espadons et  poisson-chats. On y rencontre aussi de rares crocodiles et quelques tortues.Pour les oiseaux une seule espèce de pélican a été signalée. 

Pour les mammifères ce sont les cétacés du passé dits « Archéocètes »  les animaux les plus abondants et les mieux conservés :  à ce jour près de 500 squelettes de ces animaux  ont été répertoriés ainsi que  plusieurs siréniens. S’y ajoutent des restes peu nombreux de proboscidiens primitifs, le Moeritherium ancêtre  des éléphants qui fréquentait les pâturages de ce delta fossile. 

Les espèces de cétacés les plus fréquentes sont Dorudon atrox et Basilosaurus isis. Ci-dessous  un fossile de Basilosaurus de 22 m de long tel qu’exposé sur le site  ouvert aux visites organisées et présentés dans le musée proche. (Photo Véronique Dauge. UNESCO et Getty Muséum), et sur youtube existent de nombreuses vidéos qui commentent des visites virtuelles. 

Depuis les premiers signalements de Hugh J.L. Beadnell et des équipes de géologues égyptiens en 1905, d’autres expéditions paléontologiques organisées par l’American Museum of Natural History de New York et l’Egyptian Geological Survey effectuées d’abord à dos de chameaux ont permis de repérer et récolter de nombreux fossiles. Puis ce furent des expéditions de l’Université de Californie dans les années 1920 qui furent aussi très fructueuses. En 1960, Yale University avec Elwyn Simons à sa tête apportèrent d’importantes contributions. Et plus récemment c’est l’Université du Michigan et P.D. Gingerich qui firent à partir de 1985 en collaboration avec le Geological Survey d’Egypte les plus importantes découvertes, jusqu’à proposer et obtenir que le site soit déclaré « Patrimoine de l’Humanité » par l’UNESCO en 2005. Depuis un Musée de site existe à Wadi Al-Hatim et des visites organisées permettent aux visiteurs amateurs de paléontologie d’en mesurer la splendeur.

Dans le Muséum d’Histoire Naturelle de l’Université du Michigan  qui a organisé de nombreuses et fructueuses expéditions dans cette région.sont présentés un Dorudon atrox au premier plan et Basilosaurus isis

On peut noter que les deux cétacés possèdent des membres antérieurs qui sont des palettes natatoires qui leur permettaient de se diriger. Pour les membres postérieurs, ils sont très réduits alors que les os du bassin ne sont pas attachés à la colonne vertébrales et sont flottants. 

Basilosaurus (= roi – lézard) fut signalé pour la première fois et nommé en 1834 en Amérique du Nord et ces premiers restes attribués de façon erronée à un grand reptile. Par la suite il s’est avéré qu’il s’agissait d’un mammifère marin  ancêtre des cétacés (Archéocètes) et d’autres espèces furent découvertes  en Egypte; au Maroc, en Tunisie, au Pakistan. et au Pérou dans des dépôts côtiers de la Tethys, cet océan qui a précédé la Méditerranée. Les adultes pesaient entre 50 et 60 tonnes.

Basilosaurus est probablement le plus ancien cétacé pleinement aquatique et a  un aspect et une façon de se mouvoir  qui évoque une anguille géante, sa colonne vertébrale étant animée principalement de mouvements verticaux. Les mâchoires possèdent une denture  avec canines et molaires tranchantes, et le contenu stomacal de certains spécimens révèle qu’il se nourrissait de poissons et requins.

Dans le crâne, l’oreille moyenne et interne  sont incluses dans  une bulle tympanique faite d’os dense, et l’ensemble des caractéristiques anatomiques indique que ces animaux avaient la capacité d’écouter sous l’eau et de se diriger,  repérer des proies et aussi leurs partenaires.

Trois autres espèces moins fréquentes sont présentes : Ancalecetus simonsi, Masracetus markgrafi  Aegicetus gehennae. Toutes ces espèces appartiennent à a famille des Basilosauridés qui furent des grands carnivores marins aux dents acérés à tête de dauphin et  et à allure d’anguilles de mer. 

Le site de Wadi Al-Hitan est important pour trois raisons. En premier lieu pour le nombre et la qualité de conservation des fossiles qu’on y a trouvés et que l’on continue à découvrir chaque année. Il a révélé les restes squelettiques les plus complets des ancêtres des Cétacés. Qui plus est on a aussi des traces de l’environnement dans lequel vivaient ces animaux : invertébrés (oursins, crabes, coquillages) et autres vertébrés y sont abondants et variés : poissons, reptiles siréniens, un mammifère terrestre et même un oiseau ! Nous avons jusqu’ici beaucoup appris mais il reste encore d’autres découvertes à faire. 

Le second point qui fait que ce site est important est qu’il permet de comprendre l’histoire géologique de la région et le développement par accumulation des dépôts successifs d’une séquence stratigraphique qui illustre une période géologique riche d’événements de tout type, qui constitue un livre ouvert qui permet d’envisager dans quelles conditions se forment les réserves pétrolières au gré des variations du niveau de la mer.

Enfin et non des moindres, l’interêt du site est que les visiteurs peuvent d’une part voir en place des squelettes de ces animaux du passé et dans un musée de site trouver tous les commentaires et explications qui leur permettent de comprendre les conditions et les modalités de ce grand moment de l’Histoire des Mammifères : l émergence des baleines et cachalots qui pont colonisé toutes les mers du globe. D’abord ce furent des loutres géantes à tête de dauphin qui se reproduisaient à terre, puis des anguilles énormes au mode de vie entièrement marin, et aujourd’hui baleines, cachalots et narvals courent les océans. C’est donc un moment important de l’histoire de la Vie sur Terre qui est illustré à Wadi Al-Hatim

  1. P.D. Gingerich 2023. Wadi Al-Hitan or ‘Valley of Whales’ – an Eocene World Heritage Site in the Western Desert of Egypt . From: Clary, R. M., Pyle, E. J. and Andrews, W. M. (eds) Geology’s Significant Sites and their Contributions to Geoheritage. Geological Society, London, Special Publications, 543,
    https://doi.org/10.1144/SP543-2022-203