Pour quelles raisons l’odeur de marée suscite-elle tant d’excitation chez nos chats ? Cette frénésie ébouriffée accompagnée de miaulements stridents et vigoureux signes caudaux peut se résumer en trois voyelles et une consonne bissée : umami (1), qui n’est pas loin de miaou…

Miaou, miaou, du thon ! Svetlana Sultanaeva/iStock (2)
Depuis les millénaires où ils ont rejoint nos foyers, les chats de longue date carnivores, d’abord de maraude, n’ont plus à se préoccuper de leur pain quotidien… qui n’est pas fait de céréale. Dans un premier temps ce furent des restes de cuisine carnés qu’on leur servit agrémentés à leur goût, distribués à heure fixe à moins de récriminations sonores soutenues. Mais depuis plus d’un demi-siècle toute une industrie s’est créée pour leur offrir une nourriture abondante, variée, équilibrée, facile d’emploi pour leurs sujets empressés de les bien assister entre deux siestes, les leurs pas les nôtres ! Et depuis, nous tous pauvres humains savons que les chats ont le palais délicat, et les fabricants de pâtées et granulats qui concoctent les produits destinés à nos chers animaux de compagnie ne l’ignorent pas. Ce n’est pas sans doute pour rien que 5% des produits de la pêche dans le monde finit comme ingrédient des composants des aliments pour chats : on les voit déjà dévorer du poisson dans les peintures et gravures de l’Ancienne Egypte 1500 ans avant notre ère.
Aussi un groupe de chercheurs a décidé de se pencher sur les papilles gustatives de nos petits félins et les principes chimiques qui les gouvernent.
Les cinq saveurs primaires auxquelles les papilles des Mammifères sont sensibles sont le sucré, le salé, l’amer, l’acide citrique et l’umami. Et les chats ont un palais unique : s’ils sont incapables de percevoir le sucré, ils sont hypersensibles à l’umami.
Cette saveur n’est entrée dans le répertoire des goûts que récemment, identifiée et caractérisée dans les cuisines du Japon. Son étymologie est simple, umaï = délicieux et mi = goût, et les gastronomes nippons ajoutent que c’est ce qui fait saliver, est rond et long en bouche. Et nous devrions tous en garder le souvenir car c’est la saveur dominante du lait maternel ! Il n’empêche que l’umami n’a reçu ses lettres de noblesse qu’au début du XXème siècle grâce à Kikunae Ikeda, professeur de chimie de l’Université Impériale de Tokyo.
Les analystes avancent que le composant principal de ce goût est un glutamate, acide aminé présent dans les protéines végétales et animales. Dans le bagage génétique des humains, deux gènes, Tas1r1 et Tas1r3, codent des protéines, acides aminés et nucléotides, qui s’assemblent dans les papilles gustatives pour former un récepteur qui détecte l’umami. Et chez le chat ?
Pour répondre à cette question Scott J. McGrane et ses collègues ont pratiqué des études poussées sur les papilles gustatives d’un chat. Ils ont constaté que dans la séquence génétique révélée par ses cellules gustatives on pouvait identifier les gènes Tas1r1 et Tas1r3, ce qui démontrait pour la première fois que les chats possèdent toute la machinerie moléculaire pour détecter l’umami, mais avec des différences par rapport à ce que l’on observe chez les humains. Ils ont poursuivi leur expérimentation avec un groupe de 25 chats dont ils ont testé les goûts en leur proposant pour les abreuver deux types de bols d’eau, l’un contenant diverses combinaisons d’acides aminés et de nucléotides, l’autre seulement de l’eau claire. Les chats ont montré une forte préférence pour les bols contenant des protéines.
Pour les chercheurs il apparait que l’umami est aussi important pour eux que l’est le goût sucré chez nous. Qui plus est en poursuivant leur enquête ils constatent que les chats montrent une préférence pour l’eau parfumée avec des composés mono phosphatés de type histidine et inosine, composés que l’on trouve à un haut niveau de concentration dans le thon. D’ailleurs une expérimentatrice de l’équipe, hôte de chats difficiles à satisfaire lorsqu’elle était apprentie vétérinaire, a rapporté qu’elle avait réussi à faire manger ses chats sans appétit en saupoudrant leur nourriture de flocons séchés de bonite, un ingrédient umami courant au Japon et poisson proche parent du thon.
Mais pourquoi le thon est-il si prisé des chats ? Ils sont originaires de contrées du Moyen-Orient éloignées des mers et océans, et ils ont fréquenté il y a 10 000 ans d’abord des éleveurs, cultivateurs qui n’avaient guère souvent l’occasion de mettre du poisson à leurs menus.
Alors on peut imaginer que s’est en poursuivant rats et souris qui suivaient au plus près les convois de blé et d’orge destines à l’exportation qu’ils ont pris le chemin des ports d’où l’on convoyait les céréales d’un pays l’autre. Et dans ces ports ils ont appris à aimer le poisson, et comme sur l’image ci-dessous qui nous invite à visiter les îles grecques à patiemment attendre le retour des pêcheurs, et autrefois on on leur servait de la perche du Nil, comme l’illustre cette peinture murale d’une tombe de l’Egypte Ancienne.

Une anecdote « souvenir d’enfance » me revient. Peu après la fin de la Guerre et celle des « restrictions », je fus campagnard d’occasion le temps d’un printemps et d’un été afin de me remplumer chez des parents qui habitaient au pied des Cévennes. Mon grand-oncle était un fervent pêcheur à la ligne. Presque tous les matins à l’aube il allait attraper des fritures de chevesnes, perches et autres ablettes vendues tout fraiches dans les mas des alentours. Mais l’oncle gardait toujours quelques pièces dans son panier pour ses chats. Et lorsque vers midi avec ma grand-tante nous les voyions se précipiter la queue dressée vers le portail du jardin, et bien avant qu’il n’y apparaisse suant et soufflant en poussant son vélo chargé de son attirail de pêche, nous savions qu’il était temps de dresser la table ! Les chats l’avaient-ils senti ou entendu venir ? Je crois qu’en fait le goût pour l’umami aiguise tous les sens…
Un conseil pour conclure : s’il advient que vous deviez faire avaler une pilule de médicament à votre chat sans risquer de perdre un doigt, servez lui la drogue diluée dans une cueillèrée d’umami !
- Scott J. McGrane et al., 2023. Umami taste perception and preferences of the domestic cat Felis catus, an obligate carnivore. Chemical Senses, 2023, 48, 1–17 https://doi.org/10.1093/chemse/bjad026