Une expérience astucieuse vient de faire la démonstration qu’il est possible d’inventorier aisément la faune dans une région donnée : la pose de filtres à air suivie de l’analyse des traces d’ADN recueillies permet d’avoir une idée précise de la richesse en espèces de vertébrés terrestres qui y séjournent ou en sont voisins (1).

homme ADN chantant, réalisation Schäferie
Au cours de l’automne dernier, une courte mission de trois jours dans une forêts mixte du Danemark vient de produire des résultats étonnants. Alors que les six chercheurs n’ont aperçu que très peu d’animaux lors de leur séjour, les filtres à air susceptibles de capter les traces d’ADN que tout être vivant laisse sur son passage disposés sur des troncs d’arbres à cette occasion ont été beaucoup plus éloquents : l’analyse en laboratoire de ces 144 filtres révèlent qu’au moins 57 espèces de vertébrés sauvages terrestres fréquentent ce lieu ou en sont peu éloignés sur les 210 répertoriées à l’échelle du pays, et s’y ajoutent celles d’espèces domestiques courantes et bien sûr d’humains

Forêt mixte du Danemark, situation des filtres à air sur 2 transects (blancs et bleus). Au total ce sont 144 échantillons qui ont été analysés. D’après réf. 1.
Comme illustré sur la figure le terrain de cette expérience d’inspiration quasi policière dans sa méthode d’échantillonnage systématique a tout juste la taille d’un terrain de football. En l’arpentant ces trois jours et le quadrillant alors qu’ils disposaient les boites à filtres sur les troncs d’arbres, les six chercheurs n’ont aperçu qu’un écureuil, entendu un pic-vert à l’oeuvre et le cri d’un faisan, et vu un aigle les survoler. C’est tout. Mais les particules d’ADN recueillies sur les filtres durant cette même période ont révélé qu’outre quelques animaux domestiques et des humains, près d(une soixantaine d’animaux sauvages de toutes tailles, mammifères batraciens et oiseaux, avaient laissé des traces d’ADN : cerfs, chevreuils, blaireaux, renards, pygargues à queue blanche, différents campagnols, mulots, rats et souris, écureuils, rossignols, salamandres, crapauds, pics-verts, hérons, coqs de bruyère, et bien d’autres jusqu’à des poissons La plus inattendue fut la découverte de la présence d’ADN d’un paon en pleine forêt ! Après enquête auprès des habitants qui fréquentent la forêt, ceux-ci leur révélèrent que sporadiquement il leur était arrivé de croiser cet animal exotique en vadrouille, sans doute évadé d’un parc animalier ou d’une basse-cour voisins.
Cette présence dans l’air ambiant d’ADN d’animaux aussi divers à l’état diffus n’est guère surprenante. Ces marqueurs génétiques proviennent de fragments de poils et plumes ou de cellules de la peau et sont dispersées dans l’atmosphère, emportés par les vents tout comme les pollens des arbres et peuvent provenir de loin. C’est pourquoi cet outil pour inventorier la biodiversité à l’échelle locale ou régionale doit être utilisé avec prudence. Par exemple la présence proche du lieu d’expérience d’un zoo où existe une forte concentration d’animaux exotiques peut biaiser l’étude si l’on n’en tient pas compte. D’ailleurs pour leur interprétation, les chercheurs ont consulté les modèles météorologiques qui rendent compte des circulations aériennes.
Mais la crise de biodiversité que connaissent tous les pays industrialisés soumis à une surpopulation humaine qui tend à repousser toutes les autres espèces, voire les éliminer, nécessite que tous les outils pour en apprécier les variations doivent être mis en oeuvre. Grâce à de telles méthodes il sera possible de détecter des mouvements de migration improbables parce que liés au réchauffement climatique et tout autre anomalie dans les inventaires de biodiversité par comparaison avec de précédents bilans. Il est évident que des coopérations entre pays et la mise à disposition sur les réseaux de ces données factuelles s’impose pour constituer une base de données riche d’enseignement et aisément accessible.
Cette étude fait la démonstration qu’en un laps de temps réduit, trois jours, avec une équipe réduite suivi de quelques semaines d’études en laboratoire il est possible de mesurer l’état d’un quart de la biodiversité des espèces terrestres vivant sur une partie du territoire du Danemark.
La mesure de l’ADN « ambiant » est une méthode sensible et pertinente pour apprécier la diversité en vertébrés terrestres en un lieu donné. Elle s’ajoute à celles déjà en usage pour les plantes et les insectes qui utilisent aussi ce même ADN ambiant. Ainsi tout écosystème peut aujourd’hui être inventorié et suivi dans ses variations presque au jour le jour, et on peut dire que c’est là une approche révolutionnaire dans la manière dont nous pouvons appréhender l’évolution de la biodiversité sur notre planète.
(1) Christina Lynggaard, Tobias Guldberg Frøslev, Matthew S. Johnson, Morten Tange Olsen, Kristine Bohmann. 2023 . Airborne environmental DNA captures terrestrial vertebrate diversity in nature. Molecular Ecology Resources, 2023; DOI: 10.1111/1755-0998.1384