Pour camoufler l’entrée de son terrier des vues assassines des prédateurs aviens, un campagnol de Mongolie aménage sa végétation environnante et taille les hauts buissons pour empêcher les oiseaux de s’y percher et le guetter (1).  En Floride un rongeur souterrain est soupçonné de cultiver dans les boyaux de son terrier des racines, tubercules  et plantes comme autant de réserves alimentaires  (2). 

Jusqu’ici aucune forme de génie agricole n’avait été signalé chez les Mammifères alors que certains insectes, termites et fourmis par exemple, peuvent se montrer d’habiles agriculteurs au point de modifier leur environnement et aménager des cultures, principalement de champignons. Aussi dans ce domaine, les castors capables de construire des barrages pour la protection de leur huttes et terriers passaient pour exceptionnels, précédant de loin les aménagements de Primates et d’humains qui ont édifié des abris ou se sont réfugiés dans des grottes. Les deux rongeurs dont il va être question peuvent être considérés pour les Mammifères comme des pionniers dans le domaine du génie environnemental. Leurs travaux de jardinage sont sans aucun doute plus élaborés que ceux des éléphants qui après tout abattent les arbres et débroussaillent sans guère de discernement

Notre premier jardinier  est un campagnol (Lasiopodomys brandtii) qui vit dans les steppes de Mongolie Intérieure où il creuse des terriers pour s’y réfugier. Pour se nourrir il doit en sortir pour  récolter différentes graminées qu’il accumule comme réserves dans son terrier. Ces petits animaux, 15 cm de long, constituent de véritables colonies qui occupent ces réseaux de terriers et ont une démographie fluctuante au fil des années : au rythme de 4 portées par an, ils peuvent brutalement pulluler puis les saisons suivantes comme disparaitre du paysage en fonction des conditions météorologiques favorables ou non à la pousse des graminées dont ils se nourrissent; à moins qu’une épidémie virale ne les décime. 

Leurs principaux ennemis sont des pie-grièches du genre Lanius à juste titre dénommés oiseaux-bouchers : ces passereaux qui ne pèsent guère que 20 à 40 grammes,  après les avoir tuées empalent leurs proies de même poids sur une épine d’un buisson pour soit les consommer plus tard, soit à titre de trophées pour plaire à un ou une fiancée. Pour se percher et surveiller les allées et venues des campagnols, ces oiseaux se juchent sur des buissons d’une graminée qui forme des touffes et buissons dans la steppe. 

Pie-grièche en action. Photos Duncan Uscher Photos News.

Cette graminée (Achnatherum splendens) forme des taillis qui peuvent atteindre 1.80 m de haut, et elle n’a aucune valeur nutritive pour les campagnols. Il n’empêche que ces derniers par leurs activités souterraines sur les racines et en s’attaquant aux tiges et feuillage de ces buissons parviennent à réduire leur développement en même temps que la densité des branches  possibles postes d’observation qui permettraient aux oiseaux de se percher, et ce  dans une notable proportion : la pression de prédation et de mortalité des campagnols grâce à leur émondage se trouve réduite de moitié. 

Le deuxième exemple de mammifère jardinier nous vient d’un rongeur souterrain des savanes de Floride en Amérique du Nord :  le rat à bajoues (pocket goffer, Geomys pinetis). Ce petit animal, fouisseur impénitent, vit en solitaire dans des tunnels creusés à environ 40 cm de profondeur et qui forment in réseau pouvant atteindre 160 m de long. Cette vie de tunnelier implique que chaque individu doit déployer une énergie considérable pour se déplacer, beaucoup plus importante que s’il vivait à l’air libre. En fait de l’ordre de 340 à 3400 fois plus ! C’est ce besoin en calories qui a attiré l’attention des chercheurs, car ils ont remarqué qu’il ne pouvait pas être assouvi complètement par  la densité de racines et tubercules que l’animal peut croquer pour s’en nourrir dans ses travaux de terrassement souterrain.  

 Les racines de cette végétation de savane sont rares au niveau où il creuse, peu profondes, et elles ne peuvent fournir que 21% de ses besoins.quotidiens. Comment se procure-t-il le complément alimentaire nécessaire à sa survie ? 

En isolant des portions de tunnels, ces chercheurs ont ont pu suivre au jour le jour l’activité des rongeurs sur de longues périodes, et comptabiliser les racines et les plantes avoisinantes nourricières , en particulier les plants d’oseille (Rumex hastulatum) et une herbacée (Bidens alba). 

Ils notent que le réseau souterrain aère le sol sableux et que les animaux répandent leurs excréments sur toute sa longueur et ce fumier naturel enrichit cet espace (d’ordinaire les autres rongeurs souterrains réservent une portion de terrier pour leurs défécations).  Sporadiquement les chercheurs ont aussi observé que des touffes entières de végétaux sont « aspirées » dans les tunnels 

Et surprise,  ils ont constaté que les  racines de ces plantes poursuivent leur croissance dans ce milieu souterrain. Cette technique d’enfouissement du fourrages n’est pas qu’une forme  d’ensilage.  D’une part elle  évite aux animaux d’avoir à sortir de leurs terriers pour une cueillette qui peut s’avérer dangereuse, et d’autre part ce sont de véritables cultures que les animaux entretiennent dans la profondeur de leurs terriers dans ce milieu bien aéré en fumant leurs jardins de leurs excréments. Outre de fines racines, dans ces tunnels on trouve des tubercules, entre autres une euphorbe tropicale, certes aux feuilles urticantes mais aux racines succulentes, Cnidoscolus urens.  Comme nous, les rats à bajoues modifient leur environnement pour cultiver et conserver des réserves alimentaires dévorées au quotidien ou conservées en cas de disette,ou tout simplement lors des mises bas des jeunes. .

  1. Zhong et al., 2022, A rodent herbivore reduces its predation risk through ecosystem engineering. Current Biology 32, 1869–1874 April 25, 2022 a 2022 Elsevier Inc. https://doi.org/10.1016/j.cub.2022.02.074
  2. V. Selder & F.C . Putz, 2023 Root cropping by pocket gophers. Current Biology, https://www.cell.com/current-biology/fulltext/S0960-9822(22)00915-0