Les écureuils volants qui hantent les forêts tropicales humides de l’île de  Hainan dans le sud de la Chine font des réserves des glands de chêne glauque dont ils sont friands. Pour préserver leur récolte des attaques des champignons et de l’humidité et pouvoir les déguster à la saison sèche,   chaque noix est maintenue hors sol dans une fourche d’arbrisseau, et pour prévenir sa chute le cueilleur pratique une entaille circulaire sur le fut du gland.  Ce système tenon-mortaise sécurise et sauvegarde chaque coque (1). 

Tous les écureuils de par le monde en prévision des pénuries hivernales font des réserves de fruits secs, glands, noix et autres graines, qu’ils accumulent en régions tempérées dans des creux d’arbre ou de rocher. Il en va de leur survie et cette réputation d’épargnant leur colle aux basques, et en font de réputés banquiers.  En région tropicale, on vient de découvrir que deux espèces d’écureuils volants, Hylopetes phayrei electilis et  Hylopetes alboniger, ont certes les mêmes soucis, mais  ces animaux utilisent, climat oblige,  une technique plus élaborée pour maintenir à l’abri du pourrissement leurs récoltes : ils creusent une encoche sur le fut les coques des glands qu’ils déposent ensuite sur la fourche d’arbrisseaux de leur voisinage. Ce système tenon-mortaise sécurise et évite la chute de la noix et la maintient hors sol des attaques de l’humidité et des champignons. Qui plus est, eu égard leur fragilité, ces brindilles ne peuvent supporter le poids d’animaux plus lourds qu’eux qui ne dépassent guère les 250 g.

Hylopetes alboniger (Photo Ngueyen Truong son et un gland creusé d’un sillon (photo in Wen Hao) sur l’ile de Hainan


Les chercheurs ont été surpris de la méticulosité avec laquelle ces petits animaux mettaient à l’abri les glands de leurs récoltes. Par l’entremise de caméras infrarouges, c’est essentiellement de nuit qu’oeuvrent ces écureuils volants, ils ont pu les suivre de A à Z depuis la récolte des glands, leur transport sur une distance appréciable (10 à 20 mètres), le creusement de l’encoche sur le cylindre de la coque, le choix des fourches d’arbrisseaux situées au moins à 2 mètres du sol et faisant un angle de 25 à 40°, la pose du gland et les vérifications de la solidité de l’assemblage. La vidéo qui suit montre que les zoologistes se sont eux aussi assurés de la robustesse de cette « charpente grenier » improvisée en secouant vigoureusement le branchage…sans obtenir la chute du gland ! https://youtu.be/tgheT3XzYTI

Cette innovation adaptative n’est pas que bénéfique pour son auteur en lui assurant des réserves alimentaires pour la saison sèche, mais aussi  grâce aux écureuils il en résulte une meilleur dispersion des glands de chêne glauque et cette large dispersion permet à plusieurs de leurs familles de bénéficier de ces réserves. Sans le savoir et encore moins le clamer, les écureuils volants s’avèrent outre d’habiles charpentiers, de très clairvoyants  écologistes.

  1. Han Xu er al. 2023. Flying squirrels use a mortise-tenon structure to fix nuts on understory twigs. eLife (2023)  https://doi.org/10.7554/eLife.84967