Le sourire enjôleur d’Anne d’Alègre princesse de Laval (1565-1619) portraituré par François Quesnel en 1595 n’ est-il qu’une façade ? C’est probable : sa sépulture révèle que sa vie durant la princesse a souffert de maux dentaires sévères, plus ou moins palliés par une prothèse originale maintenue par des fils d’or et complétée d’une fausse dent taillée dans de l’ivoire d’éléphant (1).

L’adage « il faut avant tout paraître pour être » ne date pas d’hier. Il a suscité et suscite toujours misère et douleur chez ses adeptes, mais fait la fortune de leurs coiffeurs, maquilleurs, esthéticiens de toutes disciplines y compris les plus dolentes, en particulier les chirurgiens-dentistes, autrefois barbiers et arracheurs de dents dont il va être question. Et l’on n’échappe pas à la règle si l’on vit au XVI ième siècle dans une France gangrenée par les luttes religieuses comme ce fut le cas de notre héroïne.
Anne de Tourzel d’Alègre était la fille de Christophe d’Alègre, seigneur de Saint-Just et de Antoinette du Pratt . Elle fut élevée dans le protestantisme naissant sous l’égide de sa mère. Pour autant sa vie durant, elle sera ballotée entre ses convictions huguenotes parfois contestées par les calvinistes bretons, et les parties catholiques tout aussi sectaires qui la contraindront à pactiser avec les familles et grands noms d’alors, et pour cette raison eut à souffrir de multiples vexations, jusqu’à mettre en péril son statut et bien sûr être privée et de ses biens et ses droits.
Comme aujourd’hui en ce temps là, bonne mine et bonne apparence étaient une assurance pour faire front afin de maintenir son rang et ses revenus. La chirurgie esthétique, et en particulier l’orthodontie et les implants dentaires contribuent de nos jours à figer dans des pauses attractives les sourires de nos actrices et acteurs favoris et autre héros de la vie moderne. Anne d’Alègre a du assumer son rôle pour maintenir son rang : sourire et être belle en faisant appel aux meilleurs barbiers de son temps.
Les archéologues qui ont pu étudier ses restes ont dévoilé en même temps que ses probables souffrances les techniques d’odontologie qui lui ont permis de faire bonne figure.
Des fils d’or sont le réseau qui maintient sa denture, et afin de masquer la perte d’une dent les barbiers d’alors qui pratiquaient dit-on tambour battant pour assourdir les plaintes de leurs patients, ont glissé une prothèse animale, en l’occurrence un morceau d’ivoire de dent d’éléphant en guise d’incisive. Cette technique est dit-on venue d’Italie à la Renaissance. Cependant Ambroise Paré (1510-1590) en fait état dans ses oeuvres dès 1561 et prodigue ses conseils (2). Mais il est vrai que les prothèses qu’il suggère sont moins faites pour épanouir le sourire des princesses que réparer les mâchoires fracassées par les coups d’arquebuses. Chacun sa clientèle !
Une vue rapprochée de la denture réparée de la Princesse permet de mesurer les souffrances qu’elle dut endurer chez son barbier prothésiste : le percement de près d’une dizaine de trous minuscules dans les prémolaires et incisives de la Princesse ont du être une longue et rude épreuve. Et au quotidien, il est probable que chaque repas était un calvaire.

Depuis les techniques de dentisterie ont fait bien des progrès. Mais les patients souffrent-ils moins ?
- Rozenn Colleter et al. 2023. Dental care of Anne d’Alègre (1565–1619, Laval, France). Between therapeutic reason and aesthetic evidence, the place of the social and the medical in the care in modern period, Journal of Archaeological Science: Reports, 2023, https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S2352409X22004576
- Julien Philippe, 2014. La chirurgie dentaire d’Ambroise Paré.. Actes. Société française d’histoire de l’art dentaire, 2014, 19 Disponible en ligne sur http://www.biusante.parisdescartes.fr/sfhad1277-7447 – © 2015 Société française d’histoire de l’art dentaire.