Chaque année au début de la belle saison, biches, cerfs, chevreuils, wapitis et cerfs hémiones de l’Ancien et du Nouveau Monde s’élancent de leurs résidences d’hiver pour estiver plus au Nord dans un éden où l’herbe est plus grasse et plus verte. C’est le rythme de repousse des plantes qui déclenche la vagues de migration de ces herbivores vers des lieux plus riches en herbage que ne l’est leur séjour (1).
Dans les pays de montagnes, à la fin de l’hiver on ouvre les étables et libère le bétail : le temps de la remue est venu. Vaches, veaux, boeufs, chèvres, moutons et agneaux s’élancent alors sur les pentes pour gagner les pâtures d’altitude. Dans ces pairies d’alpage libérées de la neige, les attend la nouvelle herbe grasse et drue qui va satisfaire les appétits de ce bétail longtemps resté enfermé, arrondir leurs flancs et gonfler leurs pis.
A la même époque les herbivores sauvages des deux continents du Nord, chevreuils, cerfs de différentes espèces, élans et rennes, tous en rangs plus ou moins serrés migrent vers les territoires nordiques libérés de leur couvert neigeux hivernal.
Dans le premier cas, c’est le calendrier des hommes qui décide de la date de ce grand départ vers les alpages pour le séjour d’estive. Mais quel ressort sous-tend cette dynamique collective chez les animaux sauvages qui eux aussi se déplacent en masse vers de plus vertes prairies, à moins qu’ils ne choisissent de rester plus longtemps dans leurs stations d’hiver ?
Pour répondre à ces questions, un groupe de chercheurs s’est intéressé aux rythmes et dates de migrations annuelles de quatre espèces, deux d’Amérique du Nord, le cerf wapiti (elk) et le cerf hémione (mule deer) et deux d’Europe, le cerf élaphe (red deer) et le chevreuil (roe deer)

Ce sont au total 1696 individus de ces quatre espèces répartis dans 61 populations qui ont pu être suivis au jour le jour au cours de plusieurs saisons grâce au port d’un collier GPS, les uns dans les Montagnes Rocheuses en Amérique du Nord jusqu’en Alaska, les autres dans les zones alpines d’ Europe jusqu’en Scandinavie, alors que dans le même temps les observations satellitaires renseignaient sur l’état de la végétation, et de la vitesse de propagation de sa régénération printanière. Le but était de déterminer la date et les conditions du départ des herbivores migrants, et de préciser les circonstances qui font que suivant les années, il en est qui séjournent sur place plus longtemps, alors qu’à d’autres époques les mêmes populations se déplacent subitement, presque du jour au lendemain et en masse pour gagner de nouveaux pacages.
Les cartes suivantes localisent les populations étudiées sur les deux continents.

Se fondant sur ces données, les chercheurs ont pu mettre en évidence que c’est la dynamique de croissance des plantes au printemps qui déclenche cette vague de départ ou à l’inverse incite les herbivores à rester plus longtemps sur place. C’est le cas lorsque le printemps s’étire sur une longue période, ce qui incite les herbivores à ne pas se presser pour migrer. Inversement les grandes migrations se déclenchent à l’occasion des printemps courts et subits qui voient une « vague verte » qui régénère les prairies et gagne rapidement les hauteurs en altitude et en latitude. Et c’est ainsi que l’on peut dire qu’alors les troupeaux d’herbivores surfent sur ce regain floral qui en quelques jours les voient franchir des centaines de kilomètres à la poursuite de l’or vert….
C’est donc la repousse, la floraison, et plus généralement le rythme de développement plus ou moins rapide des plantes à la sortie de l’hiver qui déclenche les migrations plus ou moins brutales chez les herbivores sauvages. Ils sont au fait de la situation des ressources végétales de leur hivernage et des promesses de leur regain à plus ou moins long terme. Suivant les années; ils choisissent soit de rester sur place, soit de migrer dans un court laps e temps.
D’évidence ce sont les animaux des montagnes qui vivent dans les Rocheuses en Amérique et dans les Alpes en Europe, qui sont les plus susceptibles de se déplacer au printemps. C’ est le cas des wapitis et d’autres espèces de cerfs. Mais à l’inverse, le chevreuil en Europe qui fréquente plutôt les plaines est plus casanier.
L’occasion de cette étude est de mettre en évidence une forme de l’intelligence animale jusque là peu documentée. Les herbivores montagnards savent analyser, comprendre, mémoriser la phénologie de la végétation d’altitude et en déduire les comportements de migration les mieux adaptés face aux aléas climatiques annuels qui rythment la production fourragère. Au fil du temps, ils ont acquis une perception historique des conditions climatiques qui régulent l’éclosion des herbages où ils vivent et qui les nourrissent.
Bien évidemment ces résultats doivent inciter les « aménageurs de territoire » à laisser libre des espaces, des corridors, des drailles pour permettre aux herbivores sauvages de migrer vers leurs stations d’estive.
(1) Aikens et al., 2020. Wave-like Patterns of Plant Phenology Determine Ungulate Movement Tactics, Current Biology (2020), https://doi.org/10.1016/j.cub.2020.06.032
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