Il vaut mieux sourire à la crémière plutôt que la bouder : ses fromages n’en seront que plus gouteux. Telle est la leçon que propose une équipe internationale qui travaille au « Buttercups Sanctuary of Goats », sis entre Douvres et Londres (1), ouvert au public tous les jours de 11 am à 4 pm :  http://www.buttercups.org.uk.

Certes les chèvres ont beaucoup de succès dans la littérature, chez les fromagers et sur la toile. Mais peu dans les revues scientifiques. Et il était temps que l’on se penche sur leur bien-être, car cela fait au moins 10 000 ans qu’elles nous régalent de leur productions aussi crémeuses que variées, appréciées dans tous les pays du monde : on leur a fait traverser l’Atlantique  peu après 1492, et en Australie elles ont leur Ministère qui ne plait pas à toutes : certaines ont pris la clé des champs et recouvré la vie sauvage.

Ce qui n’est guère surprenant, car tout campagnard qui les a fréquentées, et j’en suis, leur reconnaît un esprit d’indépendance, souligné de hochements de tête qui visent moins à opiner que dissuader la voisine, le chien, son maitre ou sa maitresse de leur lâcher le sabot. Il n’y a guère qu’au moment de la traite que, pis gonflés et douloureux aidant, elles acceptent qu’on les soulage. Mais le répit est aussi bref que le mot l’indique, et il peut arriver qu’un coup de patte renverse la crème avant l’heure au grand dam du chevrier ou de la chevrière.

Pas étonnant dès lors que l’on s’assure de leur confort. Ce fut le projet de ce groupe d’éthologues aguerris par l’expérience aux fantaisies caprines de leurs pensionnaires, et bien inspirés, c’est sourire aux lèvres qu’ils ont abordé le problème.

Christian Nawroth et l’une de ses pensionnaires

 

Rappelons d’abord que les chèvres sont certes des animaux domestiques, mais qui ne fréquentent que de loin les humains, à l’inverse des chiens et chevaux qui nous sont plus proches, jusqu’à nous imiter en tout, et même partager nos émotions et les lire sur nos visages. Pour les chèvres, comme brebis, bovins et cochons, ce sont des animaux utilitaires, et il n’y a pas de complicité comme celle qui s’est instaurée au fil du temps avec nos compagnons de route et de longue date cités plus haut.

Leur domesticité est peu éloignée du servage, et l’image que nous propose Christian Nawroth l’un des auteurs de l’étude en question n’est pas commune.

La fréquentation quotidienne des biquettes qu’il dorlote avec ses amis dans ce coin du Kent où est établi ce centre expérimental  de capriculture lui a suggéré une expérience

Dans un espace contrôlé que la vingtaine de chèvres de leur élevage a coutume de fréquenter, ils ont disposé sur l’un des murs d’enclos deux types de portraits de bergères ou bergers en noir et blanc, les uns grimaçants et hostiles, les autres à l’inverse avenants et souriants. https://figshare.com/articles/ESM_video_from_Goats_prefer_positive_human_emotional_facial_expressions/6989216

Cette fréquentation de la décoration murale de leur écurie ainsi rénovée a provoqué chez les chevrettes un arrêt sur images qui les a dans un premier temps laissées interdites de mouvement. Puis c’est l’image d’un berger ou d’une bergère souriante qu‘elles ont préférée  rejoindre, et même à l’occasion gratifié d’un coup de langue ou plus simplement flairer : coucou monsieur ou madame Seguin …, je vous ai reconnues !

Mais  pour l’heure, cette savante étude ne répond pas à la question que tout amoureux des chèvres se pose : monsieur Seguin était-il un berger souriant ou au contraire revêche ? Alphonse Daudet ne le dit pas. Et si l’humeur de son maître avait désespéré son innocente blanche chevrette aux sabots de jais et à la barbiche de sous-officier jusqu’à la jeter dans la gueule du loup ?  Le syndrome de la dépression caprine, après tout cela peut se rencontrer.

Comme je l’annonçais  voici quelques mois, d’évidence nous avons encore beaucoup à apprendre à l’école des chèvres.https://scilogs.fr/histoires-de-mammiferes/lecole-des-chevres-un-succes-3

 

(1) Nawroth C, Albuquerque N, Savalli C, Single M-S, McElligott AG. 2018. Goats prefer positive human emotional facial expressions. R. Soc. open sci. 5: 180491. http://dx.doi.org/10.1098/rsos.180491