Le dingo, chien sauvage d’Australie, est le plus grand prédateur de la faune de mammifères de ce continent immense. Ce statut lui vaut d’être étroitement surveillé : considéré à juste titre comme un migrant de fraiche date, il est arrivé sur l’ile continent voici 10 000 ans, on s’interroge de façon récurrente sur son rôle : est-il utile ou nuisible ? Certains affirment qu’il est un bon régulateur des espèces invasives, par exemple le chat, le renard, le lapin et tant d’autres. A l’inverse il en est qui prétendent qu’il met en péril la faune endémique de Marsupiaux du pays en s’attaquant aux plus fragiles, entre autres les koalas et les petits kangourous.

 

Si les débats sont passionnés, c’est parce que l’animal est très populaire, et depuis longtemps. Ce grand chien de près de 20 kg, fin de gueule et à longue pattes, toujours en mouvement, dégingandé et fantasque, a d’emblée été bien accueilli par les population aborigènes qui l’avaient précédé de quelques dizaines de milliers d’années. C’est eux qui l’ont nommé dingo. Le mot apparaîtra dans les dictionnaires anglo-saxons en même temps qu’est colonisé le continent par les européens, peu après la première visite de Cook en 1770. En France, il est adopté par Jules Verne : les enfants du Capitaine Grant  (1868) sont réveillés par  « les hurlements lamentables des « dingos », qui sont les chacals de l’Australie ».  Il faudra attendre la fin de la Grande Guerre pour que dingo fasse partie aussi de notre argot hospitalier où il qualifie un fou léger. Il est probable que le contingent australien engagé dans le conflit l’a amené dans ses bagages.

 

Les dingos d’Australie sont probablement issus de chiens semi domestiques venus d’Asie du Sud Est dont ils sont proches par la morphologie et la silhouette. On a la certitude par divers témoignages archéologiques que d’emblée ils furent bien accueillis par les populations humaines qui les avaient précédés. On trouve leurs traces prés des campements, et ces restes osseux, souvent de chiots, n’ont pas été cuisinés. Ils sont représentés dans l’art pariétal de plusieurs grottes. Surtout on a trouvé des sépultures anciennes de dingos qui suggèrent qu’ils étaient sinon l’objet d’un culte, au moins respectés (1). Et les ethnologues qui déchiffrent les mythes et traditions des aborigènes, constatent que les dingos y occupent une place de choix : les légendes leur attribuent le pouvoir d’éloigner les esprits mauvais.

A gauche, un dingo représenté dans une grotte situé à 200 km au Sud Est de Darwin. A droite une autre représentation qui suggère que le dingo avait un statut d’animal domestique (d’après réf. 1)
A gauche, un dingo représenté dans une grotte situé à 200 km au Sud Est de Darwin. A droite une autre représentation qui suggère que le dingo avait un statut d’animal domestique (d’après réf. 1)

Avant d’aller plus loin il est utile de faire un rappel sur l’histoire récente du peuplement mammalien d’Australie.

Par comparaison avec celles des autres régions du globe, la faune de Mammifères d’Australie est celle qui a connu le plus de remaniements et de déboires dans la période récente. Il y a seulement une centaine de milliers d’années, les seuls hôtes de ce continent isolé des autres depuis plus de 50 ma étaient les Monotrèmes, une dizaine d’espèces, et surtout des Marsupiaux. Ces derniers étaient très diversifiés, de toute taille et on en comptait plusieurs centaines d’espèces, la plupart herbivores ou omnivores, mais aussi des insectivores et carnivores, en particulier la thylacine, loup marsupial dont je reparlerai, et qui fit longtemps le plus grand prédateur.

A la fin du Pléistocène, les ultimes fluctuations climatiques conjuguées à l’arrivée des premières populations humaines (50 000 ans) sont les causes d’une vague d’extinction qui a effacé des registres plus de 40 espèces de Marsupiaux, en particulier celles de plus grande taille.

Lui a succédé un autre événement d’importance, qui lui est directement lié à l’arrivée des premiers européens, avec l’introduction de tout un contingent de Placentaires : dans leurs bagages, les colons ont amené toute une ménagerie d’animaux domestiques et sauvages, au total 25 espèces nouvelles pour le continent, qui ont rapidement proliféré et concurrencé jusqu’à les repousser les espèces autochtones (2).

 

C’est entre ces deux épisodes, qui sont chacun de véritables séismes pour les écosystèmes des antipodes, que se situe l’arrivée du dingo. On suppose qu’il a profité d’un épisode de régression marine, à moins qu’il n’ait emprunté un radeau, ou peut-être fut-t-il passager invité d’une embarcation de migrants tardifs. Et il va acquérir sur son nouveau territoire le statut envié de super prédateur, peu après avoir y posé la patte, car il est au sommet de la chaine alimentaire.

 

Et depuis, il en est qui l’accusent des pires méfaits, alors que d’autres reconnaissent son utilité en tant que régulateurs de certaines populations de placentaires récemment introduites, en particulier les lapins, et surtout chiens et chats redevenus semi sauvages qui pillent les faunes d’oiseaux et de mammifères endémiques. La vidéo qui suit expose les deux points de vue : https://www.youtube.com/watch?v=wn2-Eri1oPY

 

Eu égard les conditions rocambolesques de son introduction, son goût du nomadisme, son allure dégingandée, et aussi il faut bien le dire son habileté à débusquer des proies et à s’en repaître, il est logique qu’on le soupçonne des pires méfaits. Il est le bouc émissaire parfait, le gitan venu d’ailleurs toujours en vadrouille que l’on peut accuser de tous les maux. A ce propos, il est possible qu’il ait accéléré voire contribué à la disparition de la thylacine. Le loup marsupial a disparu du continent voici 2000 ans. Pourtant c’était un animal nocturne, donc il n’était pas directement en compétition avec les dingos qui sont diurnes. Il est possible que de fait la raréfaction des proies suite aux extinctions de la fin du Pléistocène, puis l’arrivées de populations humaines aidées dans leurs chasses par leurs chiens soient les causes principales qui ont précipité la disparition de la thylacine, longtemps le principal prédateur des Antipodes. De fait, le dingo n’a fait que la remplacer dans cet emploi à haut risque qu’il assume très bien.

Ses principaux détracteurs sont les éleveurs de mouton. Dans la vidéo précédente il est rappelé que ce sont eux qui ont fait dresser à la fin du 19ème siècle une barrière en grillage de plusieurs centaines de kilomètres qui théoriquement protège la Galles du Sud de l’intrusion des dingos. (Une autre barrière celle la pour les lapins a été dressée dans l’Ouest de l’Australie : https://www.youtube.com/watch?v=pgPhn4tYxJQ )

Cela ne suffit pas à les satisfaire. Aussi les autorités en charge de la gestion des espaces naturels multiplient les études pour mieux cerner et comprendre comment bien gérer les populations dece grand chien sauvage.

 

Le dingo se sait, si ce n’est pourchassé, du moins surveillé, et comme il est facétieux, il prend soin de laisser trace de son passage sans pour autant fixer de rendez-vous.

Fèces de dingo en bord de piste (extrait de la vidéo signalée plus haut)
Fèces de dingo en bord de piste (extrait de la vidéo signalée plus haut)

 

Ce marquage de territoire est une aubaine pour les chercheurs qui s’interrogent sur la part qu’occupent dans son régime alimentaire les différentes espèces qu’il a à disposition. Mange-t-il autant de moutons que les éleveurs le prétendent ? Les koalas sont-ils souvent inscrits à son menu ?

Deux études récentes apportent des réponses sur le sujet, l’une sur les dingos qui vivent en périphérie des villes (3), l’autre sur ceux qui occupent l’ile Frazer, très prisée des touristes (4).

 

Que mangent les dingos qui vivent à la périphérie des agglomérations ? Sous-entendu, sont-ils ou non dangereux ? (En plus d’une occasion on les a accusés de s’attaquer aux jeunes enfants). La conclusion est claire : la même chose que ceux qui vivent loin des villes ! C’est-à-dire des petits marsupiaux (wallabies et bandiccoots), des koalas, des rats et des oiseaux (les dingos sont de bons dénicheurs), mais peu de moutons !

Ce que montre bien cette étude est que d’évidence le dingo est une menace pour les koalas. De façon statistique, on peut conclure qu’un dingo dévore en moyenne un koala tous les 100 jours, soit 3 ou 4 par an. Etant donné le faible rythme de reproduction du koala, les petites populations sont menacées par ce prédateur.

Par ailleurs, il faut noter que dans les régions péri urbaines, les dingos ne sont pas attirés par les déchets et poubelles. Mais on sait que les dingos apprécient les croquettes des chiens domestiques, et divers témoignages rapportent que la nuit venue, certains font la tournée des popotes de leurs cousins domestiques.

 

Pour ce qui est des dingos de l’ile Frazer, d’emblée je me dois de rassurer : ils se portent bien. Si l’on a pu craindre que certains des résidents de cette villégiature recherchée étaient en péril, après un cycle d’études débutées en 2000 et qui vient de se conclure, les responsables de ce parc naturel prisé des touristes ont constaté que la population de dingos était prospère : le poids moyen des animaux de l’ile est même supérieur à celui relevé chez ceux du continent.

Située à 200 km de Brisbane, sur la côte Ouest du Queensland, l’ile Fraser est la plus grande ile de sable au monde avec une superficie de 1840 km2 qui s’étire sur 123 km. Classée au patrimoine mondial de l’UNESCO, sa faune et sa flore originales sont l’objet de toute l’attention des écologistes. On peut y rencontrer 230 espèces d’oiseaux, et 24 de mammifères, et quantité de touristes embarqués sur leurs 4X4 sillonnent plages et dunes en toutes saisons. Si la population de dingos qui vit dans l’île est l’objet d’une attention particulière c’est parce que les spécialistes considèrent qu’elle est un témoin de l’histoire biogéographique du continent australien qu’il faut absolument préserver et protéger parce que l’on est quasiment sûr qu’ils n’ont pas eu l’occasion de se croiser dans la période récente avec des chiens domestiques.

Dingo sur une plage de l’île Frazer (Photo Dept. Environment Heritage Protection, Queensland)
Dingo sur une plage de l’île Frazer (Photo Dept. Environment Heritage Protection, Queensland)

 

Le but de ces études est bien sûr de mieux connaître les mœurs du dingo pour mieux le protéger, mais aussi prévenir les touristes : cohabiter avec un prédateur exige vigilance et prudence. Par ailleurs si l’on a pu constater que les dingos de Frazer sont de bons nettoyeurs des plages qu’ils débarrassent des mammifères marins échoués et tout autres cadavres, leur régime alimentaire est essentiellement le même que sur le continent, et ici aussi les koalas, les rats et nids d’oiseaux font partie de leur régime alimentaire, sans oublier les restes de pique nique abandonnés par les touristes.

 

Pour l’heure s’il s’avère que le temps n’est pas encore venu d’envisager une régulation des populations de dingos, il importe de surveiller et quantifier précisément et de façon régulière leur impact sur les faunes de Marsupiaux. Mais il ne faut pas perdre de vue que  les éléments les plus perturbateurs des écosystèmes terrestres d’Australie, et de loin, sont les grands herbivores redevenus sauvages : chameaux, chevaux, ânes, chèvres, buffles d’eau, sangliers, et chiens et chats redevenus sauvages sont des prédateurs au moins aussi actifs que les dingos.

 

 

 

 

(1) R.G. Gunn, R.L. Whear and L.C. Douglas. 2010. A dingo burial from the Arnhem land Plateau. Australian Archaelogy. 71 :11-16.

 

(2) Mammifères placentaires introduits en Australie depuis 1770. Les espèces domestiques redevenues sauvages sont soulignées. Rats, souris, deux écureuils, lapin, lièvre, renard, chien, chat, âne, cheval, buffle d’eau, bœuf de java, chèvre, mouton, chameau, sanglier, six espèces de cervidés.

 

(3) Allen, B. L. et al. Diet of dingoes and other wild dogs in peri-urban areas of northeastern

Australia. Sci. Rep. 6, 23028; doi: 10.1038/srep23028 (2016).

 

(4) Rapport anonyme. 2013. Fraser Island dingos. Conservation and risk. Managment. strategy. Ecosystem Services, Department of Environment and Heritage Protection

© State of Queensland, 2013