Panama n’est pas qu’un havre de paix pour ploutocrates en péril. Depuis plusieurs millions d’années, la lente édification de l’isthme a fait le bonheur de nombreux Mammifères, les uns d’Amérique du Nord venus coloniser le continent du Sud, et dans le sens inverse de nombreuses familles s’en évadant pour aller voir au Nord si l’herbe y est plus verte.

Des mises au point récentes apportent de nouvelles précisions (1, 2). Mais il faut souligner que cette grande vague d’immigrations réciproques que nos collègues dénomment « Great Biotic American Interchange » est depuis les travaux pionniers de G.G. Simpson, l’objet de nombreuses publications. Et on peut recommander à tous ceux qui souhaitent approfondir le sujet le site que Wikipedia (anglais) lui consacre.

Le schéma suivant que je lui emprunte dresse un état des lieux sommaire. Il est daté de la fin du Pléistocène, peu avant que les humains ne viennent s’installer aux Amérique et y chasser. Depuis, toutes les espèces de plus de 100 kg qui figurent ici ont été éliminés, à l’exception notable du lama qui lui a été domestiqué.

En vert les sudistes venus en Amérique du Nord (tatous et paresseux géants, capybaras, porc épic etc…) En bleu les nordistes venus en Amérique du Sud ( lamas, proboscidiens, chevaux, cerfs, raton laveurs, etc..)
En vert les sudistes venus en Amérique du Nord (tatous et paresseux géants, capybaras, porc épic etc…) En bleu les nordistes venus en Amérique du Sud ( lamas, proboscidiens, chevaux, cerfs, raton laveurs, etc..)

 

 

Les récentes études mettent en évidence la complexité de ces mouvements migratoires et leur ancienneté. On sait aujourd’hui que les échanges ont commencé plus tôt que l’on envisageait. Dès le début du Miocène (20 ma), les premiers nord américains colonisent l’autre continent. Surtout, il apparaît que les migrations Nord Sud et celles Sud Nord ont des dynamiques et donc des causes différentes. Suivant les conditions climatiques, ce sont plutôt les nordistes ou les sudistes qui se répandent sur l’un ou l’autre continent. Si aujourd’hui il apparaît qu’en terme de bilan les nordistes ont été plus nombreux à « réussir » plus au Sud, leur succès est relativement récent. Jusqu’à la fin du Pliocène (3 ma) les échanges étaient équilibrés.

Les premières glaciations de la fin du Cénozoïque marquent une prépondérance d’arrivées de nordistes au Sud et ces « envahisseurs » sont nombreux, et surtout ils réussissent dans les nouveaux milieux qu’ils occupent et et s’y diversifient. C’est en particulier le cas de petits rongeurs, des cricétidés voisins de nos rats et souris, qui vont bientôt pulluler et d’une certaine façon supplanter les rongeurs locaux.

Résumé de l’histoire des Mammifères aux Amérique à travers la trajectoire de leur diversité, du bilan apparition extinction, et du succès relatif des lignées nordistes et sudistes sur le « l’autre continent ».
Résumé de l’histoire des Mammifères aux Amérique à travers la trajectoire de leur diversité, du bilan apparition extinction, et du succès relatif des lignées nordistes et sudistes sur le « l’autre continent ».

En terme de bilan au terme de cet échange, les faunes de deux sous continents sont plus diverses et se sont donc toutes deux enrichies. Qui plus est, comme le montre la figure B, plus les échanges s’intensifient, plus les gains augmentent sur les deux continents. Chez les Mammifères, se déplacer, immigrer, coloniser, est une vertu synonyme de prospérité.

 

Dans les derniers 5 ma, la proportion de lignées nordistes qui immigrent en Amérique du Sud par rapport aux sudistes qui gagnent le Nord 0 est largement supérieure (figure C). Ce succès relatif peut être mis en corrélation avec les grands épisodes glaciaires qui clôturent le Cénozoïque : d’une certaine façon, les épisodes de rafraichissement dopent les lignées nordiques qui souhaitent partir en vacance au Sud !

 

 

 

 

 

 

 

Dans les derniers temps du Pléistocène, l’arrivée des humains il y 15 à 20 000 ans va provoquer des coupes sombres aussi bien au Nord qu’au Sud, et la plupart des grands mammifères de part et d’autre de Panama vont être exterminés. Et ce bien avant que Christophe Colomb parachève le désastre, en écrasant  de sa vindicte les Amérindiens, pourtant nos frères et soeurs. Il est vrai qu’à Valladolid, les juges n’étaient pas prêts pour recevoir leurs doléances.

 

 

 

(1) Christine D. Bacon, Peter Molnar, Alexandre Antonelli, Andrew J. Crawford, Camilo Montes, and Maria Camila Vallejo-Pareja. 2016. Quaternary glaciation and the Great American Biotic Interchange. Geological Society of America April 4, 2016, doi:10.1130/G37624.1

 

(2) Christine D. Bacon, Daniele Silvestro, Carlos Jaramillo, Brian Tilston Smith, Prosanta

Chakrabarty, and Alexandre Antonelli. Biological evidence supports an early and complex

emergence of the Isthmus of Panama. 2015, Proc Natl Acad Sci USA (112:6110–6115, doi 10.1073/pnas.1423853112