L’explosion de la centrale de Tchernobyl ? Un désastre pour l’humanité, une chance pour les mammifères sauvages. C’est en résumé ce que j’ai retenu d’une étude récente des populations de grands mammifères qui vivent dans la zone interdite autour de la centrale atomique d’Ukraine après son explosion en 1986 (1). Une information qui souffle le chaud et le froid, curieusement associée dans des agences de presse à une autre annonce du même acabit qui elle concerne Fukushima : on nous dit que dans ces lieux désolés « la nature reprend ses droits » !

Pour l’heure, concentrons notre attention sur Tchernobyl.

Dois-je me désoler de ma condition humaine mise en danger voici près de 30 ans, ou à l’inverse me rassurer de ce boom démographique constaté chez la sauvagine qui vit libre et heureuse de l’être sur le périmètre de 4200 km2 qui nous est interdit ?

Un rappel s’impose qu’illustre la carte ci-dessous. On y voit que outre le périmètre de Tchernobyl, il y a plusieurs autres zones tout aussi polluées en Ukraine et Biélorussie, et la surface totale affectée par la radioactivité artificielle provoquée par l’explosion de la centrale est de l’ordre de 42 000 km2. Pour combien de temps ? La demi vie du césium 137 est de 30 ans, mais ses effets nocifs pourraient perdurer entre 180 et 320 ans http://ex-skf.blogspot.fr/2011/08/ecological-half-life-of-cesium-137-may.html.

Carte de la contamination au césium 137 dressée en 1996
Carte de la contamination au césium 137 dressée en 1996

 

Au fait le chiffre de 30 ans date les récents travaux qui tendent à nous rassurer sur la bonne santé des mammifères de Tchernobyl. En gros ils disent que l’affaire Tchernobyl est à mettre au « rayon » des mauvais souvenirs, et que si encore les humains en souffrent, la Nature est proche de surmonter ce que l’on doit considérer comme « accident » nucléaire.

 

Et ils laissent à penser que les humains seraient de bien pires ennemis pour les grands mammifères que ne le sont les radiations comme ne craint pas de l’asséner le très sérieux magazine scientifique Science photos à l’appui : http://news.sciencemag.org/biology/2015/10/humans-are-worse-radiation-chernobyl-animals-study-finds

 

J’avais déjà noté que la BBC au printemps dernier dressait un tableau idyllique de la vie animale qualifiée de secrète à Tchernobyl

http://www.bbc.com/news/science-environment-32452085

Des caméras cachées ont surpris des loups, lynx, sangliers, cerfs, chevaux de Prezwalski et autres courant insouciants dans la forêt.

 

Tout le monde n’est pas de cet avis, et je ne m’attarderai pas sur la galerie des « monstres » de Tchernobyl que l’on peut aisément trouver sur le web.

Mais il se trouve que l’année dernière un biologiste newyorkais, Timothy Mousseau, qui étudie depuis des années la vie animale dans le périmètre de la centrale ukrainienne a livré un tout autre point de vue https://www.youtube.com/watch?v=TG-nwQBBfmc

Avec un chercheur d’Orsay, Anders Møllers du CNRS, qui suit aussi la question, ils avaient donné une conférence en 2013 disponible sur le web.

https://e-nautia.com/kna/disk?p=5217062

 

J’en extrait ce copié collé de leurs conclusions qui concernent les études faites à Tchernobyl et Fukushima et je pense qu’elles n’ont pas pris une ride.

 

1) La plupart des organismes étudiés montrent une augmentation significative des taux de dommages génétiques, en proportion directe du niveau d’exposition aux contaminants radioactifs.

2) De nombreux organismes présentent des taux accrus de malformations et anomalies du développement en proportion directe avec les niveaux de contamination

3) De nombreux organismes montrent des taux de fertilité réduits …

4) De nombreux organismes montrent des durées de vie réduites …

5) De nombreux organismes montrent des tailles de population réduites …

6) La biodiversité a significativement diminué … de nombreuses espèces

sont localement éteintes.

7) Les mutations sont transmises d’une génération à l’autre, et montrent

des signes d’accumulation au fil du temps.

8) Les mutations migrent en dehors des zones affectées dans des

populations qui ne sont pas exposées (à savoir par effets de proximité des populations).

 

Par ailleurs, dans toutes leurs interventions, les deux chercheurs soulignent le peu d’enthousiasme des agences de recherche, qu’elles soient nationales ou internationales, pour susciter des projets de recherche qui permettraient d’effectuer un suivi serré des populations animales et végétales dans les zones irradiées, que ce soit à Tchernobyl ou à Fukushima. Et ils ne sont pas les seuls.

Que craignent –elles ? Que l’on découvre que le nucléaire est dangereux pour la santé ?

 

 

 

  • G. Deryabina, S.V. Kuchmel, L.L. Nagorskaya, T.G. Hinton, J.C. Beasley, A. Lerebours, and J.T. Smith. 2015.Long-term census data reveal abundant wildlife populations at Chernobyl. Current Biology 25, R811–R826, October 5, 2015.