Survivants de l’âge glaciaire, ces petites boules de poil voisins des lapins que sont les pikas se sont réfugiés à la fin de la dernière glaciation, il y a une douzaine de milliers d’années, dans les steppes et les hauteurs, en Asie comme en Amérique du Nord. Las, le réchauffement climatique récent, qui voit l’isotherme 22°C gagner chaque année un peu en altitude, risque avant la fin du siècle d’effacer du monde vivant les espèces alpines. Pourtant, sans doute parce qu’ils sont de petite taille et vivent dans des régions reculées, ces animaux parmi les plus menacés par le réchauffement climatique n’ont pas été invités à un sommet qui les concerne au premier chef : la Conférence des Nations Unis sur le climat qui se tiendra à Paris en novembre prochain. Alors dans ce court exposé des motifs, je vais plaider leur cause.

De la taille d’un gros œuf velu au regard noir aigu surmonté de deux rondes oreilles, les pikas courent dans les rocailles des montagnes et des steppes en poussant de petits cris aigus, « pica, pica », qui les fit ainsi désigner par les peuples Tungusic de Sibérie, puis répertorier sous cet onomatopée par Pierre Simon Pallas (1741 –1811). Ce savant russe d’origine germanique les croisa au cours d’une de ses expéditions naturalistes dans les monts de l’Altaï. En français, pika n’a pas trouvé place dans nos dictionnaires « littéraires », et seulement depuis peu figure dans celui des Sciences animales (1). Il n’empêche que tous les enfants amateurs de Pokémon le connaissent bien : le petit animal a servi de modèle au célèbre et joyeux Pikachu.

Depuis l’époque de Pallas, une trentaine d’espèces ont été décrites et rapportées au genre Ochotona, nom scientifique des pikas ou lièvres siffleurs, aussi bien en Asie qu’en Amérique du Nord.

Beaucoup vivent dans les steppes. Ce sont des animaux qui pèsent entre 50 et 300 g, qui sont strictement herbivores, diurnes, et n’ont que un deux à quatre petits par portée une fois l’an, rarement plus. Il n’empêche que certaines espèces sont susceptibles de pulluler et faire des ravages aux récoltes, en particulier au Pakistan. La plupart résistent bien à l’invasion humaine.

A l’inverse, les espèces montagnardes d’Asie et d’Amérique du Nord sont aujourd’hui plus que sur le déclin, en voie d’extinction, et figurent sur la liste rouge des espèces en danger de l’IUCN (International Union of Conservation of Nature), quelles soient américaine ou chinoises.

L’une de ces dernières a resurgi récemment sur les tablettes des zoologistes alors qu’on la croyait disparue depuis plus de vingt ans. Ochotona iliensis avait été observée la première fois en 1983 dans les montagnes du Tianshan, et sa découverte officialisée en 1986, le patronyme iliensis faisant référence à Ili, préfecture Kazakh de cette région de la Chine (2). Dans les années 90 sa population fut estimée à 2000 individus. Mais sa répartition était fragmentée en isolats sur les plus hauts sommets, au dessus de 2800 mètres d’altitude jusqu’à la limite des neiges éternelles, à 4000 mètres. Les années suivantes, il fut constaté que ces populations déclinaient, avaient tendance à gagner les hauteurs, bien au dessus de leur limite de vie antérieure, et on les observa fréquenter les rocailles à plus de 3000 mètres. En 2005 le constat tragique que l’espèce avait disparu de près de 60% des sites qu’elle occupait jusqu’alors fut dressé. Et on la considéra même éteinte. Et puis une bonne nouvelle vient de nous être annoncée en 2014 : lors d’une expédition récente, des chercheurs chinois ont pu à nouveau surprendre Ochotona iliensis au début du printemps, alors qu’il n’avait pas encore abandonné sa tenue hivernale. https://www.youtube.com/watch?v=MbGoKJk-5Uo

Pika du Tianshan posant pour la collection d’hiver 2015 d’un couturier local. Photo Li Weidong, 2014, Association écologique du Xinjiang.
Pika du Tianshan posant pour la collection d’hiver 2015 d’un couturier local. Photo Li Weidong, 2014, Association écologique du Xinjiang.

On a peu de nouvelles des deux autres espèces qui vivent en Chine, Ochotona argentata et O. koslowi qui ont des aires de répartition confinées à quelques sites. L’IUCN formule de grandes craintes sur leur avenir  : la déforestation les chasse de leur habitat qui se réduit d’année en année comme peau de chagrin

On connaît mieux le pika des Montagnes Rocheuses d’Amérique du Nord , Ochotona princeps, qui n’est pas moins en danger que ses frères chinois, bien que ces images illustrent une certaine insouciance de sa part.

http://www.arkive.org/american-pika/ochotona-princeps/video-00.html

A plusieurs reprises des associations d’écologistes ont tenté d’alerter les autorités afin que des mesures de protection soient envisagées pour assurer la survie de cette espèce. En vain. Ce qui est trompeur en l’occurrence est la carte de répartition à grande échelle du petit animal. Elle laisse croire qu’il est présent dans les Montagnes Rocheuses, sur tout l’Ouest de l’Amérique du Nord, de l’Arizona à la Colombie Britannique.

Répartition à grande échelle de Ochotona princeps.
Répartition à grande échelle de Ochotona princeps.

Loin d’être uniforme, leur répartition est très éparpillée. Tous les sites où ils résident sont de faible superficie, quelques kilomètres carrés, et ces populations sont éclatées sur de grands espaces, chacune à la merci de la moindre catastrophe. Autrement dit l’image de sa répartition à plus petite échelle est un nuage de points, souvent éloignés l’un l’autre de plusieurs kilomètres.

De fait Ochotona princeps n’aime pas la chaleur, et au dessus de 22°C tombe en léthargie, puis succombe. Aussi n’occupe-t-il que les zones les plus élevées des montagnes dans les régions méridionales, mais on peut le rencontrer au niveau de la mer plus au Nord, par exemple en Colombie Britannique. Comme pour les espèces d’Asie, cet isotherme est sa frontière naturelle.

Pika américain en pleine moisson Photo Brian Crawford
Pika américain en pleine moisson Photo Brian Crawford

Aussi l’espèce supporte très mal le réchauffement climatique constaté à l’échelle globale depuis le début du siècle. Le thermocline de 22°C lui est fatal. Et on en a la preuve tangible à l’échelle d’une région bien circonscrite, et surveillée de longue date par les naturalistes : dans le Great Basin, à l’est de la Sierra Nevada, sur une période qui court de 1999 à 2005 et où initialement Ochotona princeps était répertorié dans 24 localités, ils ont constaté qu’en moins d’une dizaine d’années il a disparu de 8 d’entre elles.

Il y a toute chance pour qu’une succession d’étés torrides entrainent la mort de l’espèce. Et les pikas des montagnes sont tout aussi menacés que les mammifères qui vivent près des régions polaires et qui y sont inféodés : ours blancs, renards polaires, narvals, phoques marbrés, bélugas, antilopes saïgas pour ne citer que ces exemples.

La cause de ces extinctions programmées est connue : notre addiction aux énergies fossiles. Sur le sujet je n’ai rien à ajouter, si ce n’est conseiller une lecture : Climat. Relever le défi du réchauffement climatique. Dossier Pour la Science n°89. 2015.

 

 

(1) Meyer C., ed. sc., 2015, Dictionnaire des Sciences Animales. [On line]. Montpellier, France, Cirad. [30/09/2015]. <URL :http://dico-sciences-animales.cirad.fr/

 

(2) Li and Ma, 1986 : A new species of Ochotona, Ochotonidae, Lagomorpha. Acta Zoologica Sinica, vol. 32, n. 4, p. 375-379