Que l’on se rassure, il ne sera pas question ici de drames humains, et ni Sophocle ni Shakespeare ne seront convoqués. La sémelparité n’affecte que quatre espèces de Mammifères sauvages, toutes de la gent marsupiale, et cantonnées à l’Hémisphère Sud (Australie, Tasmanie). Chez ces carnivores, à la saison des amours, les mâles s’épuisent dans des coïts au long cours, au point de succomber d’inanition : de toute leur vie, c’est la seule occasion qu’ils ont de se reproduire. Ils en usent et abusent jusqu’à en mourir.
Sémelparité est un néologisme un peu pédant construit avec le nom d’une héroïne antique, Sémélé, et le verbe latin pario = enfanter : au cours de leur vie, les individus d’une espèce ne se reproduiront qu’une seule et unique fois.
Sémélé fut une des nombreuses maitresses de Zeus. Bien sûr au grand dam de sa régulière, Héra. Pour se venger, cette dernière conseilla à la jeune conquête de son époux de lui demander d’apparaître à ses yeux dans toute sa gloire, et bien sûr munis de ses attributs fulgurants. Ce qui devait arriver arriva : Sémélé fut foudroyée. Un peu gêné, Zeus eut tout de même le temps de l’accoucher du petit garçon qu’elle portait. Ainsi naquit Dionysos qui devait faire carrière dans la viticulture et l’œnologie (1). Mais sa maman, après cette unique parturition prit le chemin des Enfers et n’eut plus l’occasion de se reproduire.
Dans le règne animal, l’exemple le plus connu de sémelparité est celui du saumon : né dans les eaux vives des continents, les jeunes saumons les dévalent jusqu’aux océans et plusieurs années s’y nourrissent et prospèrent. Après cette vie d’errance en milieu marin, ils entament un ultime voyage vers leur lieu de naissance : mâles et femelles s’y rencontrent pour se reproduire et…mourir.
Chez les Mammifères la sémelparité a été décrite chez quatre espèces de Marsupiaux : deux espèces d’Antechinus d’Australie et deTasmanie de la taille d’une musaraigne, et deux autres l’un de la taille d’un gros rat, Phascogale, et Dasykaluta qui lui pèsent entre 20 et 40 grammes, toutes deux vivant dans le sud de l’Australie,
Pesant moins de 20 gr ammes, Antechinus stuarti est un animal très actif, toujours sur la brèche pour récupérer des proies, repousser tout envahisseur afin d’assurer son hégémonie sur son territoire.
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Il vit dans un environnement très programmé par le rythme des saisons : le milieu tropical humide régit l’abondance saisonnière des proies qui nourriront les prédateurs, en l’occurrence les dits Antechinus, grands amateurs d’insectes gras du bide et aussi d’araignées, et par voie de conséquence définit et programme le rythme des naissances chez ces amateurs de chair fraiche. Il a fait l’objet de nombreux travaux de la part des chercheurs australiens (2).
Il se trouve que mâles et femelles depuis la nuit des temps occupent des résidences séparées de plus d’un kilomètre. Sans qu’il y ait mésentente originelle prouvée, leurs terrains de chasse sont donc très éloignés. Mais pour procréer ils doivent se rencontrer et la période du rut se décide d’une année l’autre afin qu’un maximum de nourriture soit disponible pour les femelles. Comme chez toute autre mammifère, ces dernières consacrent l’essentiel de leur énergie à assurer leur descendance. Elles doivent ovuler, porter et nourrir les œufs fécondés puis allaiter leur portée, et ce sur une très longue durée, plus de 14 semaines. A la naissance le petit Antechinus ne pèse que quelques décigrammes et devra être longuement allaité avant d’atteindre l’adolescence et l’autosuffisance alimentaire. La mère a des portées d’une dizaine d’individus, et ce qui détermine le moment de la reproduction est la période de plus grande abondance de proies : bien nourries, elle pourra allaiter dans les meilleures conditions sa nombreuse progéniture.

De leur côté les mâles ont pour unique souci de transmettre leur gènes, et pour ce faire, le moment de la reproduction venu, ils changent de résidence et se précipitent tout près de celle des femelles. Ils sont alors tout juste âgés de 11 mois et viennent d’atteindre la maturité sexuelle. Pendant toute la période du rut, très courte, ils ne lâcheront pas les femelles au risque d’être supplantés par un concurrent. Certains coïts peuvent durer de 12 à 14 heures, et épuisés les mâles meurent. Car un processus endocrinien complexe s’est mis en place qui à la fois leur coupe l’appétit et donc leur interdit tout retour sur leurs terrains de chasse très éloignés, en même temps qu’il favorise la consommation de leurs réserves en glucose. Jusqu’à les entrainer dans la mort. Ils meurent en général d’ulcères digestifs.

Si la durée de vie maximale des mâles est de l’ordre de 11 mois, celle des femelles est un peu plus longue, au moins 14 mois pour assurer l’élevage des portées, et il en est qui survivent après avoir élevé leurs petits, ce qui n’est pas le cas des mâles qui tous succombent après s’être accouplés.
Cette forme de sélection sexuelle a nom compétition spermatique : si une femelle s’accouple avec deux mâles, ce sont les spermes les plus agiles de l’un des deux qui la féconderont. En pratiquant le « coït au long cours », le mâle d’Antechinus, plutôt que de s’épuiser dans des combats au corps à corps avec des rivaux, leur fait obstacle de son corps autant qu’il lui est possible…jusqu’à mourir d’amour.
Chez les 5000 espèces que comptent les Mammifères, seules donc quatre d’entre elles ont adopté cette stratégie de reproduction que d’aucuns qualifient de suicidaire. Pour elles, la mort est le prix à payer par les mâles pour transmettre leurs gènes. Toutes les autres espèces versent dans l’itéroparité : quelle que soit leur longévité, la durée de gestation et le nombre de petits par portée, chaque adulte mâle ou femelle, à plusieurs reprises dans le cours de sa vie copulera, enfantera, élèvera des portées plus ou moins nombreuses pour perpétuer sa lignée. Malgré tous les soucis qui les attendent au seuil de leur vie adulte, on peut quand m^me penser que pour elles la vie sera plus belle.
(1) Bacchus dans la mythologie romaine.
(2) D. O. Fishera, C. R. Dickman, M. E. Jones, S. P. Blomberg. 2013. Sperm competition drives the evolution of suicidal reproduction in mammals. P.N.A.S. |vol. 110 : 17910–17914. http://www.pnas.org/content/110/44/17910.full