Dans le désert de Californie, le cinéma nous a appris que les duels au soleil sont fréquents. Mais il s’agit de fictions, si peu vraisemblables d’ailleurs que toujours le bon triomphe du vilain. Au ras du sol, se déroulent des combats tout aussi violents et meurtriers, mais en revanche plus incertains. Ils opposent depuis des millénaires deux hôtes de ces lieux désolés qui se haïssent, se défient et se combattent avec âpreté dès qu’ils se croisent : l’écureuil des rochers et le serpent à soRnette (Otospermophilus beecheyi et Crotalus oreganus). Et la surprise est double : à l’issue de ces joutes, bien que d’évidence peu armé pour combattre, le vainqueur est le plus souvent l’écureuil ; qui plus est, c’est lui qui engage le combat. Et il arrive même qu’il tue et se repaisse du serpent !

C’est l’attitude provocatrice de l’écureuil qui intrigue les chercheurs. Souvent ils ont pu observer que le petit animal, à peine a-t-il aperçu son éternel adversaire, qu’il commence une danse autour de lui, véritable ballet sarabande fait de sauts, agrémenté de projections de sable à coups de main et pied, et ce quelle que soit la position du crotale, qu’il soit enroulé et en position de frappe, ou le corps déployé en train de se déplacer (1). Dans cette vidéo, qui pourrait s’intituler « conduite de Grenoble », on voit que le panache de la queue agité de droite et de gauche est le leurre qui permet à l’écureuil de tromper son adversaire jusqu’à le dérouter : https://www.youtube.com/watch?v=PKIrwwBjhgs
En fait, pour localiser ses proies, le crotale se fie aux signaux thermiques qu’elles diffusent. Pour les atteindre, son rayon d’action est limité : il doit s’approcher à moins de 30 cm pour frapper à coup sûr et inoculer son venin, et c’est alors en 70 milliseconde qu’il projette ses crocs. Et d’ailleurs, on peut voir que l’écureuil reste très prudent, et se tient hors de portée de la tête du crotale.
Au quotidien, la survie de l’écureuil dépend impérativement de sa vigilance : il ne doit en aucun cas être surpris lors d’une rencontre inopinée.
Le plus souvent, les écureuils, même s’ils vivent dispersés, sont attentifs, et leurs panaches en s’agitant sont autant de signaux qui leur permet de communiquer.
On a pu vérifier que, à peine l’un d’eux a repéré un adversaire qu’un afflux sanguin à la fois hérisse les poils de sa queue et envoie des signaux thermiques : en l’agitant devant le serpent, il diffuse des vapeurs et fluides qui le déroutent, et dans le même temps il prévient ses congénères du danger. De plus il saute ici et là pour éviter tout coup de tête qui lui serait fatal.
Pour mieux comprendre les stratégies de défense du petit rongeur, les chercheurs ont disposé des fusils à bouchons près des lieux fréquentés et par les écureuils et les serpents, leurs prédateurs. Des vidéos successives des réactions des animaux dans différentes situations ont été réalisées.
https://www.youtube.com/watch?v=uTZqVPvcT1I
Les sauts et esquives diffèrent suivant que l’animal n’a pas été confronté récemment avec un serpent, ou si l’appareil est placé près d’une cache où a résidé son ennemi. Dans le premier cas, il grimpe, galope sur une trajectoire linéaire, dans l’autre il réalise des sauts acrobatiques pour échapper à cet ennemi virtuel. Autrement dit, l’expérience acquise au cours de rencontres antérieures avec son ennemi guide le mode de réaction qu’il adopte.
On constate que dans les 60 à 70 % des cas où il est avéré que la victoire en terme de survie revient à l’écureuil, proie recherchée par le crotale, les « vainqueurs » sont des écureuils qui ont acquis de l’expérience, et sont des adultes que l’on peut qualifier de matures. En d’autres occasions ils ont fait preuve de qualités de sociabilité certaines, ne cherchant pas à s’isoler et participant à la vie du groupe qui les a vu naître.
Arrivé à ce point de votre lecture, il est temps que je vous livre le vrai secret de l’écureuil des rochers, celui qui lui permet de résister, voire parfois combattre jusqu’à la mort son adversaire. Au fil des générations, il a acquis une résistance immune au venin du serpent à sornette. On a pu même montrer que dans les zones où réside beaucoup de crotales, les écureuils montrent une plus grande résistance au venin. Ainsi cette cohabitation « forcée » entre un prédateur et sa proie constitue une pression de sélection qui favorise chez la victime l’acquisition de résistances naturelles au venin (2). C’est sans doute fort de son bagage immunitaire que cet écureuil, héros de cette vidéo, asticote, puis agresse jusqu’à le blesser à mort un adversaire d’apparence mieux armé, et même redouté des fiers cow boys des sierras de Californie.
https://www.youtube.com/watch?v=s7IhYbWDD8Y
Monsieur de La Fontaine fut mon maître et le reste. Qu’il me soit permis de le parodier en guise de conclusion : Intelligence et longueur de temps font mieux que force ni que rage.
(1) B. J. Putman and R. W. Clark. 2014. The fear of unseen predators: ground squirrel tail flagging in the absence of snakes signals vigilance. Behavioral Ecology (2014)
(2) Poran NS, Coss RG, Benjamini E. 1987. Resistance of California ground squirrels (Spermophilus beecheyi) to the venom of the northern Pacific rattlesnake (Crotalus viridis oreganus): a study of adaptive variation. Toxicon. 1987, 25(7) :767-77.
Post scriptum : Je dédie cette chronique aux dix sept du sept, huit et neuf janvier deux mille quinze.