Si les testicules des mâles de bien des Mammifères sont enfermés dans un scrotum qui ballotte entre leurs pattes, n’allez pas chercher plus loin, c’est parce que voici 65 millions  d’années les Dinosaures se sont éteints laissant place à notre engeance. Depuis, nous, les Mammifères avons certes prospéré, grandi et nous sommes multipliés. Mais, en subissant de si rudes aléas climatiques, que nos réserves séminales pouvaient se voir stérilisées à tout moment par un coup de chaud brutal. Les mettre entre les jambes dans un petit sac et courir pour les rafraichir afin de perpétuer les espèces fut LA solution (1).

Ces quelques lignes résument la théorie avancée par un réputé biologiste sud-africain de l’université de Durban qui sur ce thème et ce sujet ne manque pas d’arguments (1). Il a par ailleurs signé bon nombre d’articles très pertinents sur la biologie des Mammifères où il montre que sa connaissance de leur histoire, leur écologie et phylogénie en fait l’un des meilleurs spécialistes.

Avant  de passer en revue les arguments qui soutiennent sa théorie, un rappel anatomique s’impose. Chez une grande moitié des mammifères, les gonades des mâles se situent dans une enveloppe située entre les pattes, le scrotum. Celui-ci  peut être assimilé à un petit sac isotherme qui abrite les testicules et les cellules  séminales qu’ils produisent. Ainsi, les spermatozoïdes sont maintenus à une température inférieure à celle du corps. Par exemple, le sperme chez l’homme est conservé à une température inférieure d’environ 2°7 par rapport à la température du corps. Rafraichir ses bourses préoccupe de nombreux mâles de différentes espèces comme illustré ici, étant entendu qu’en la matière on peut adopter différentes stratégies.

 

Jeune taureau de concours surpris par un paparazzi. Écureuil  exhibitionniste. La méridienne du Chimpanzé en milieu carcéral.
Jeune taureau de concours surpris par un paparazzi. Écureuil exhibitionniste. La méridienne du Chimpanzé en milieu carcéral.

Il faut noter que ce mode de stockage à basse température du sperme permet des économies d’énergie : la production de cellules germinales mâles peut ne pas être continue. Les spermatozoïdes sont mis en réserve, stockés et utilisés à la demande et donc à bon escient. Le protocole mis en place par la sélection naturelle exclut toute velléité de gaspillage.

Une autre précision s’avère nécessaire pour mieux juger de la pertinence de la théorie avancée par Barry Lovegrove. Les Mammifères modernes, dont nous sommes, surgissent voici 65 millions d’années, peu après, et même à l’occasion de la disparition des Dinosaures, à la fin du Crétacé. Cette fameuse limite Crétacé -Tertiaire est un tournant dans l’histoire des Mammifères, jusque là de petite taille et peu diversifiés : à compter de cette « catastrophe géologique » majeure qui a fait couler beaucoup d’encre, ils  envahissent tous les milieux, aussi bien le domaine terrestre que l’aérien et l’aquatique. Surtout plusieurs lignées augmentent de taille, et sur terre, les herbivores se multiplient. Les modèles d’alors apparus voici plus de 50 millions d’années, vont constituer jusqu’à nos jours l’épine dorsale des communautés de Mammifères telles qu’elles nous sont devenues familières.

Maintenant, nous sommes prêts à être confrontés aux faits et à répondre à la série de questions que s’est posée Barry Lovegrove : quels sont les Mammifères placentaires qui promènent leurs testicules dans un scrotum ? Quel est leur appartenance phylogénétique ? Quelles sont leurs préférences écologiques ?

L’enquête qu’il a mené  sur ces trois sujets lui a permis d’identifier et de classer les Mammifères en trois catégories :

1)    Ceux avec scrotum ;

2)    Ceux dont les testicules restent statiques, en même position que chez l’embryon ;

3)    Ceux dont les testicules tout en restant internes migrent dans la cavité abdominale.

 

La première catégorie, la seule qui nous intéresse ici, rassemble un ensemble d’animaux hétéroclites d’apparence, mais qui ont plusieurs caractéristiques communes :

1) Un métabolisme élevé et une température du corps moyenne de plus de 37 ° ;

2) Ce sont tous des animaux très actifs et beaucoup  sont de belle taille et dépassent les 100 kilos ;

3) Ils sont très vifs dans leurs mouvements, et presque tous sont bien adaptés à la course s’ils vivent à terre, ou s’ils sont arboricoles ou volants (chauve souris) se meuvent dans ces milieux à grande vitesse. En moyenne la température corporelle des animaux coureurs est 1°7 plus élevée, et cela est vrai aussi pour les arboricoles ou les aériens .

L’inventaire taxonomique de ce bestiaire aux qualités bien identifiées englobe les Primates, certaines Chauve-souris, les Lapins et lièvres, les Rongeurs de l’Ancien Monde, les Ruminants auxquels on peut ajouter les Équidés, et leurs prédateurs les Carnivores. Tous sont des animaux terrestres ou aériens, et comme on le voit cette série exclut les mammifères marins qui ont des besoins énergétiques bien différents.

Examinons maintenant dans quel contexte thermique à l’échelle globale s’est réalisée la radiation, l’explosion des Mammifères après la disparition des Dinosaures, à la fin du Crétacé. Les conditions climatiques qui régnaient au début du Tertiaire, ont nécessité pour les occupants de la planète d’être bien adaptés à la chaleur et l’humidité : le climat global était tropical humide durant les 10 premiers millions d’années du Tertiaire, et ce à l’échelle planétaire, avec un pic plus élevé voici 55 millions d’années qui a vu la limite de la zone tropicale grimper de près de 20° en latitude vers le Nord.  C’est dire que les animaux au métabolisme élevé comme ceux que je viens de citer,  furent plongés d’emblée dans un environnement  qui favorisait tout, sauf une activité sexuelle soutenue : on l’a vue, la chaleur ne favorise ni la spermatogenèse, ni la conservation des spermatozoïdes. Confrontés à un tel défi,  les Mammifères à température corporelle élevée ont du s’adapter : pour mieux assurer leur descendance, il fallait « réfrigérer » leurs testicules. C’est ainsi que fut inventé pour certains le scrotum isotherme. Depuis lors le succès de cette innovation ne s’est pas démenti. C’est grâce à lui que les grands mammifères ont pu prospérer sous climat chaud, puis franchir à la fin de l’Éocène l’épisode de refroidissement climatique drastique que fut à l’échelle globale la Grande Coupure. Ensuite au Miocène et au début du Pliocène puis au Pléistocène se sont succédés plusieurs réchauffements suivis de refroidissements qui ont façonné les faunes de Mammifères en éliminant ou favorisant tels ou tels groupes. Si certains ont survécu et se sont perpétués, Barry Lovegrove laisse à penser que c’est parce qu’ils ont su protéger leur avenir dans un scrotum isotherme.

Les esprits chagrins feront remarquer que la situation anatomique du scrotum en fait un point faible, très vulnérable,  en cas d’attaque de tiers, voire lors des courses et sauts auxquels se livrent au quotidien ses possesseurs. Il faut les rassurer. Bien sûr il est une légende qui voudrait que lièvres et lapins par exemple, lors de leurs joutes sexuelles tentent de s’émasculer. Ce n’est qu’une légende. On peut voir dans cette vidéo  que leurs combats ressemblent à ceux qu’organise dans un autre cadre la World Boxing Association.  http://www.youtube.com/watch?v=niPTEPyJk5c

Pour les autres mammifères, d’ordinaire les luttes entre mâles sont des affrontements au sens propre du terme, des têtes à têtes. Il n’y a guère que chez les humains que les coups bas sont monnaie courante, y compris et même surtout dans les compétitions sportives. Aussi, depuis l’antiquité, le port de la coquille leur est-il recommandé, au cas où le fairplay ne serait pas au rendez-vous.

Par ailleurs, il y a aussi un avantage : étant très visibles, un coup d’œil suffit aux femelles pour être renseignées des capacités sexuelles de futurs partenaires, et choisir ceux qui leur paraissent les mieux pourvus. Aussi, tous comptes faits, il semble bien que cette situation des testicules qui les rend très apparents, et même les met en montre, a plus d’avantages que d’inconvénients.

Au terme de ce compte rendu en forme d’enquête, je dois avouer un certain malaise, malgré la pertinence des arguments avancés par Barry Lovegrove. Certes la matière qu’il expose est riche. Mais faut-il à toute force mettre en parallèle les deux volets de l’argumentaire ?

Le premier consiste à faire un  rappel de l’histoire de l’environnement à l’échelle globale de notre planète depuis la fin du Crétacé, et il est bien documenté : les faits géologiques énumérés participent à la doxa que l’on enseigne et diffuse dans toutes les écoles.

Le deuxième dénombre une succession de caractéristiques biologiques avérés, indiscutables.

Faut-il à toute force établir un lien de cause à effet entre ces deux catalogues frappés du sceau de l’empirisme et construire une théorie ? Je n’en suis pas sûr. D’abord parce qu’un tel  modèle n’est guère réfutable. Et puis, il me semble que Barry Lovegrove inscrit sa réflexion dans la  perspective plus générale d’une sorte de nouvelle « théorie du chaos »  à l’échelle géologique : d’une certaine façon l’acquisition du scrotum chez les Mammifères serait, selon lui, l’effet papillon, la conséquence à très long terme de l’extinction des Dinosaures. J’ai plus qu’un doute.

 

(1) B. G. Lovegrove 2104. Cool sperm: why some placental mammals have a scrotum. Journal of Evolutionary Biology. Volume 27, Issue 5, pages 801–814, May 2014 DOI: 10.1111/jeb.12373