Dans les montagnes des Himalaya, depuis 66 ans aucun spécimen vivant de ce petit herbivore n’avait pu être approché ni vu. Et voilà que le très paisible et sautillant « vampire » du Cachemire vient de refaire surface en Afghanistan, au Nuristan (1). Son surnom il le doit aux deux belles défenses antérieures que portent seuls les mâles : au moment du rut, pour affronter l’adversaire et assurer leur lignage, c’est un atout dont ils jouent. Mais en dehors de ces matchs sexuels, les chevrotains porte-musc sont de fort inoffensifs et très agiles herbivores qui courent les forêts d’altitude des Himalaya aux Indes, en Afghanistan au Pakistan et en Chine et on en trouve aussi en Sibérie. Au total on en compte cinq espèces rattachées au genre Moschus. Au fil des années elles se sont toutes raréfiées, au point d’être aujourd’hui toutes considérées espèces en danger.

Leurs 15 kilos de viande ne mériteraient pas le coup de fusil si ne s’accrochaient au derrière des mâles 20 grammes de glande à musc : ses vertus médicinales supposées sont un des fonds de commerce de la pharmacopée asiatique depuis l’antiquité. Comme tous les autres remèdes phares traditionnels, corne de rhinocéros, graine de ginkgo, ambre gris, et tout produit « naturel » pourvu qu’il soit rare, cher, visqueux et malodorant, le musc de chevrotain est un de ses must aux vertus aphrodisiaques qui ne souffrent pas discussion. Pourtant le retour sur investissement est plus qu’aléatoire. Mais ses résultats restent ignorés : curieusement les faillites sont tues. À l’époque moderne, quand est venu le temps de l’industrie de la parfumerie et des cosmétiques, le succès du musc de chevrotain s’est affirmé et sa cote a grimpé : entre 45 000 et 65 000 $ le kilo.
Pour tenter d’enrayer le massacre annoncé des chevrotains porte-musc, la FAO voici déjà plusieurs années a engagé des programmes pour favoriser l’élevage du petit animal à des fins commerciales : http://www.fao.org/docrep/q1093f/q1093f03.htm . Et au Népal, en Chine et aux Indes ses suggestions ont été suivies d’effet : on y trouve des élevages de chevrotain que l’on « trait » régulièrement de leur musc pour fournir la demande.
Certains en concluront que c’est là le résultat marqué de la réussite d’une « gestion d’une ressource naturelle » raisonnée et bien comprise. Pourtant, lorsqu’on a l’occasion d’observer à l’état de nature les chevrotains, ici en Sibérie http://www.youtube.com/watch?v=nw5HZ3uQwO0 on ne peut que s’interroger. Ce cher Jean-Jacques eut sans doute défailli : voilà l’un des animaux les plus paisibles et discrets qui ne se régalent guère que de lichens, d’écorces et quelques feuillages, et le voici si menacé qu’il faut l’emprisonner pour le protéger ?…Alors, on se dit que, comme à propos de tant d’autres, la geôle ne sied guère au chevrotain porte-musc.
Quelles fautes ont commis toutes ces bêtes pour mériter qu’on les enferme derrière des grilles ?
(1) Stephane Ostrowski et al. Musk deer Moschus cupreus persist in the eastern forests of Afghanistan. Oryx, published online October 22, 2014; doi: 10.1017/S0030605314000611