Le sexe des Cétacés va être sur la sellette, et le sujet : comment se dresse-t-il et parvient-il à ses fins ? C’est de celui des mâles bien sûr qu’il s’agira. Une réponse vient de tomber : l’érection du pénis des baleines, cachalots et dauphins est facilitée par  l’ancrage de la musculature de l’organe viril sur les os vestigiaux du bassin, témoin de leur passé terrestre plus qu’antédiluvien : il y a 50 millions d’années, les Archéocètes (=ancêtres des baleines) avaient des jambes (1).

L’itinéraire paléontologique de ces tétrapodes d’abord terrestres, qui peu à peu se sont adaptés au milieu aquatique, et sont devenus les géants des mers, est bien documenté http://www.dailymotion.com/video/x22uizv_incroyables-cetaces-visite-de-l-exposition_animals?start=51

C’est sur  les rives de la Téthys que commence leur histoire, cet océan du passé qui verra naître Alpes et Himalaya et dont la Méditerranée est le souvenir. Des prédateurs jusque là ordinaires animaux terrestres se jettent à l’eau. Au fil des millions d’années ils deviendront inféodés à leur nouveau  milieu.

D’abord ils ressemblent à de grosses loutres à museau de dauphin qui vivent dans les estuaires des fleuves et se nourrissent de poissons. On en trouve les restes dans les sédiments éocènes (50 millions d’années) du Pakistan et du nord de l’Inde. Leurs membres antérieurs, vont peu à peu se transformer en palettes natatoires. Pour leurs « jambes », devenus gouvernails dans un premier temps, elles régressent, et sont bientôt un poids inutile, jusqu’à disparaître. Pourtant, dans la cavité abdominale, on trouve les vestiges du bassin qui les soutenait, la ceinture pelvienne : ce sont quelques os flottants d’apparence inutile, situés à l’arrière du corps, sous la colonne vertébrale. Cette régression des membres inférieurs se produit en un laps de  temps assez court que  les paléontologues estiment à 8 millions d’années. Pour autant, les os résiduels du bassin eux sont toujours présents chez les espèces plus récentes, alors qu’elles ont perdu leurs membres inférieurs depuis plus de 30 millions d’années. Et pour les muséologues qui exposent des squelettes de baleine, ce pelvis résiduel  est un peu un défi : comment accrocher ces objets flottants sous la colonne vertébrale de ces immenses squelettes, en général suspendus aux cintres de la voute des galeries qui les abritent ? À Rouen on a résolu le problème.

Rorqual du Musée de Rouen. À l’arrière on peut voir les deux os pelviens suspendus sous la colonne vertébrale
Rorqual du Musée de Rouen. À l’arrière on peut voir les deux os pelviens suspendus sous la colonne vertébrale

 

Squelette de baleine. A = omoplate ; B = membre antérieur (humérus, radius, cubitus, main) ; C = os pelviens.
Squelette de baleine. A = omoplate ; B = membre antérieur (humérus, radius, cubitus, main) ; C = os pelviens.

Mais alors si ces os vestigiaux persistent chez tous les Cétacés  y compris les actuels (90 espèces, deux font  exception), il est probable qu’ils ont une fonction. C’est l’hypothèse faite par un groupe de chercheurs qui étudient la vie des baleines. Précisons d’emblée que leurs études et observations sont très scientifiques, et ont peu à voir avec ce tourisme animalier qui depuis quelques années prospère : des esquifs de tout type, chargés à ras bord de clients, poursuivent de leur curiosité dans leurs ébats les plus intimes baleines, dauphins et marsouins.

Dans le golfe du Saint Laurent, , sur les côtes d’Afrique du Sud et au large  de l’Ile Maurice on les assiège et filme. Ainsi une foule émoustillée de tout sexe et nationalité s’enthousiasme de ces exploits sexuels de grande taille. Un tourisme animalier « hot » a vu le jour, qui s’émerveille et se régale des glissades aquatiques, des sauts, pirouettes et de leurs conclusions : ces coïts révèlent la taille, l’agilité et la force du pénis des géants des mers, et suscitent l’admiration des spectatrices et spectateurs. http://www.youtube.com/watch?v=sjoufW5NyFk

 

Ici ce sont les cabrioles des dauphins de Maurice que l’on admire (2).

http://vimeo.com/87110249

Pour ma part, je n’ai jamais eu l’occasion, et l’indiscrétion,  d’assister à de tels sauvages accouplements. Mais je garde le souvenir de mes visites d’étudiant au musée d’anatomie de la faculté de médecine de Montpellier, il y a un demi siècle. C’était alors un lieu abandonné, poussiéreux, d’une grande tristesse.  Les vitrines au vernis écaillé offraient à la vue des visiteurs différentes catégories de « monstres » : des écorchés d’Honoré Fragonard, des bocaux avec des bébés ou agneaux mort-nés à plus d’une tête, différentes autres curiosités anatomiques pathologiques. Mais lorsque après avoir graissé la patte du concierge, nous réussissions à nous introduire et entrainer nos amies dans ce lieu hors du temps, l’attraction principale que nous les invitions à admirer était un objet naturalisé étiqueté « pénis de baleine », un pieu de plus d’un mètre. De nos jours, l’objet de collection le plus aisément visitable du lieu est sa magnifique porte en bois. Alors, faisons un petit voyage plus au nord pour jeter un œil sur le musé du pénis de Reykjavík.

 

Une vue de la collection du  Musée du pénis de Reykjavík (Islande) où l’on peut admirer plusieurs pénis de Cétacés naturalisés aisément identifiables.
Une vue de la collection du Musée du pénis de Reykjavík (Islande) où l’on peut admirer plusieurs pénis de Cétacés naturalisés aisément identifiables.

La taille du membre viril de ces animaux marins laisse imaginer une puissance sexuelle en rapport avec la difficulté que l’on suppose à embrasser un partenaire au milieu de l’eau. Car où et comment s’agripper l’un l’autre, et s’arque bouter pour arriver à ses fins alors que l’on est quasi manchot et qu’il faut se tenir à flots ? Il n’est guère que la vigueur d’un pénis bien soutenu et musculeux pour assouvir  son désir et faire l’amour.

C’est en résumé la question que ce sont posés les scientifiques de différentes universités et institutions (1).

Ils constatent en premier lieu que toutes les espèces de Cétacé vivantes, à deux exception près (2 sur 92), possèdent deux os pairs du pelvis. L’étude anatomique précise des os pelviens et des organes qui s’y attachent montre que chez le mâle ils ont une importante fonction lors de l’érection du pénis : c’est sur la paire d’os pelviens que s’enracinent les deux corps caverneux du pénis. Ceux-ci devenus turgescents par un afflux sanguin au moment du coït, gonflent et roidissent le pénis. Ainsi son érection a-t-elle une forte assise, et comme on a pu l’observer sur la vidéo précédente, les baleines en particulier « manoeuvrent » leur pénis  avec une habileté certaine leur membre,  qui est d’ailleurs très souple : à l’opposé d’autres mammifères, en particulier les carnivores, le pénis des cétacés n’est pas soutenu par un os pénien (baculum).

 

Anatomie d’un grand dauphin mâle. Les pattes arrières sont absentes, et le bassin est réduit  à deux os pairs de 11 centimètre de long, alors que la longueur totale de l’animal est d’environ 3 mètres. En médaillon (B) on a figuré un des os du pelvis (couleur crème) et le corps caverneux du pénis qui s’ancre sur le pelvis ainsi que le muscle rétractile (rose). En C des photos scanner des deux os pelviens en vue dorsale. Figure 1 in référence (1).
Anatomie d’un grand dauphin mâle. Les pattes arrières sont absentes, et le bassin est réduit à deux os pairs de 11 centimètre de long, alors que la longueur totale de l’animal est d’environ 3 mètres. En médaillon (B) on a figuré un des os du pelvis (couleur crème) et le corps caverneux du pénis qui s’ancre sur le pelvis ainsi que le muscle rétractile (rose). En C des photos scanner des deux os pelviens en vue dorsale. Figure 1 in référence (1).

Des études statistique montrent que, à l’échelle du groupe, la longueur du pénis est fonction de la longueur des os pelviens : les espèces pourvues d’os pelviens les plus longs ont aussi le pénis le plus allongé. Mais la morphologie générale du bassin chez les cétacés reste assez monotone, et en général les os pelviens sont d’une taille comparable aux dernières côtes de la cage thoracique.

 

Silhouettes des os pelviens (bas) et des dernières côtes thoraciques (haut) de différents Cétacés. De gauche à droite : baleine bleue, rorqual, baleine à bec, dauphin de l’Amazone, marsouin, orque, grand dauphin, dauphin du cap. (taille non respectée). D’après partie de la figure  2 in référence (1).
Silhouettes des os pelviens (bas) et des dernières côtes thoraciques (haut) de différents Cétacés. De gauche à droite : baleine bleue, rorqual, baleine à bec, dauphin de l’Amazone, marsouin, orque, grand dauphin, dauphin du cap. (taille non respectée). D’après partie de la figure 2 in référence (1).

Mais alors qu’en est-il des femelles qui elles aussi ont des os pelviens ? Ce sont les muscles et autres tissus clitoridiens qui y sont ancrés. Mais pour le moment on ignore si cette situation anatomique favorise les qualités d’accueil de l’organe sexuel féminin. Il ne faut guère s’étonner de cette lacune dans les connaissances : les chercheurs impliqués dans ces études sont tous du genre masculin. En féminisant les équipes, peut-être avancera-t-on sur la question.

En conclusion, cette étude montre que la sélection sexuelle peut avoir une incidence sur l’anatomie interne, en particulier celle qui contrôle les organes génitaux mâles. Cette importante et nouvelle fonction  qui accorde un rôle de soutien aux tissus érectiles du pénis, peut expliquer pourquoi les Cétacés n’ont pas perdu au cours de leur histoire et leur évolution les os pelviens

 

(1) Dines, J. P, E. Otárola-Castillo, P. Ralph5, J. Alas, T. Daley, A. D. Smith, M. D. Dean.  Sexual selection targets cetacean pelvic bones. Evolution (sous presse).

 http://dx.doi.org/10.5061/dryad.[NNNN)

 

(2) Pour plus d’aventures baleinières avec de nombreuses vidéos :

http://www.reseaucetaces.fr/