Les transatlantiques que l’on empruntera pour ce voyage sont d’un modèle classique : quelques barres de bois dur entrecroisées qu’une forte bande de toile unie. Et attention de ne pas s’y pincer les doigts lorsqu’on embarque. Dans les bagages, deux ouvrages : « La mère, l’enfant et le lait en Égypte Ancienne » (1), et pour mieux s’imprégner de l’esprit des lieux et du temps une méthode de langue qui a fait ses preuves : « l’Assimil d’Égyptien hiéroglyphique » (2). Et nous voici échoués sur les rives du Nil au temps des Pharaons, pour découvrir que cette haute époque ne nous a pas laissés qu’une immense nécropole de pyramides et temples destinée aujourd’hui aux déambulations de hordes de touristes rougis de soleil. Inscriptions murales et papyrus révèlent une pensée et une pratique médicales et scientifiques éprouvées, où les savants de la Grèce puis de la Rome antiques ont puisé largement, avant d’être relayés par ceux de la Renaissance et des Lumières. De nos jours, des pratiques locales font encore appel à ses thérapeutiques et remèdes.
Pourtant il faut prévenir les futurs lectrices et lecteurs : « La mère, l’enfant et le lait en Egypte Ancienne » est un livre érudit, difficile de prime abord, bourré de références (près de 150 pages sur un total de 500), et on n’en vient pas à bout à l’issue d’une seule après-midi pluvieuse ou une nuit d’insomnie. Il faut envisager plusieurs escales. Le découpage en chapitres de ce traité de sénologie – spécialité médicale qui étudie les affections du sein – favorise ce type de lecture et permet de reprendre souffle. Pour le plan de l’ouvrage et son découpage, voir cette page.
Plus d’une centaine de figures et de nombreux tableaux illustrent le discours, et si j’ajoute que le livre que j’ai en main en est à sa 3ème édition, on comprendra qu’il est devenu un classique dans la catégorie « histoire des sciences » et n’est pas destiné qu’aux seuls fous de médecine, d’hiéroglyphes et d’égyptologie.

Des suppléments au voyage sous forme de leçons de langue puisées dans la méthode Assimil (2), seront des excursions bienvenues dans le monde merveilleux des hiéroglyphes, décrypté voici deux siècles par Champollion, le plus célèbre des Figeacois.

Au temps des Pharaons, les « Maisons de Vie » de la vallée du Nil où exercent les médecins, professeurs ou néophytes, ont accueilli durant des millénaires les peuples d’Égypte. Tous les hommes et les femmes d’alors n’étaient qu’en sursis, car les forces divines dominaient leur destin, et ils devaient y faire des stages pour soigner leurs corps et leurs âmes. Le médecin qui exerce alors est un médiateur entre le corps du patient dont il analyse les fonctions, et dont il sait très bien décrire l’anatomie des organes et comprendre la physiologie. Mais il doit tenir compte des forces divines qui décident de lui accorder tel ou tel crédit ou au contraire le punissent. Ainsi à une connaissance rationnelle des organismes vivants, s’ajoute pour le praticien la maitrise des croyances religieuses, entourées de magie et d’appels aux forces divines qui décident du sort des femmes et des hommes dont il a la charge. C’est tout cela que nous révèle papyrus et inscriptions hiéroglyphiques aujourd’hui traduites et ordonnées par des égyptologues qui sont aussi des médecins, et qui rendent accessibles à la lecture des « modernes » que nous prétendons être les préceptes et conseils d’hygiène en usage dans l’Égypte des Pharaons.

Ces connaissances et pratiques ont fait tâche d’huile dans le monde antique. Huit siècles avant notre ère, on dit qu’Homère avait une confiance aveugle – ah ! ah ! – dans la médecine égyptienne. Hippocrate (460-370) a voyagé en Égypte et s’y est instruit. Aristote (384-322), précepteur d’Alexandre le Grand, quant à lui a aussi visité le delta du Nil, et il dit avoir compris que le pays des Égyptiens est l’oeuvre du fleuve qui le parcourt. Comment douter que cet encyclopédiste avant l’heure n’ait puisé pour son « Histoire des animaux » dans les connaissances et propositions de la médecine et de la science égyptienne (il existe aussi des papyrus qui traitent de médecine vétérinaire). C’est en ethnographe qu’Hérodote rend compte des multiples facettes de la culture égyptienne. Quant à Pline l’Ancien, nous savons qu’il a parcouru l’Égypte, et entre autres s’est enthousiasmé de sa réussite démographique : il constate dans ses écrits que les chances de survie des bébés y sont largement supérieures à celles de ceux qui naissent dans le Latium. Il note aussi que l’on pratique dans la vallée du Nil un test chez les nouveaux nés : leurs lèvres sont frottées d’un mélange du placenta de la mère et du lait qui va les nourrir. Ainsi d’évidence, les médecins de l’Égypte des Pharaons ont conceptualisé, compris tout ce qui fait que nous sommes mammifères : l’allaitement prolonge ex utero le nourrissage de l’enfant dans son enveloppe placentaire.
Cet ouvrage s’il est un éloge du sein, de l’allaitement et de la maternité, nous éclaire aussi sur le sens caché des hiéroglyphes dont les variations sont nombreuses, subtiles, parfois empreintes d’humour et toujours pleines de poésie. En commençant sa lecture, je me suis embarqué avec ce livre dans un voyage initiatique et avoue n’être qu’à mi-course…Alors pour conclure cette recension, et proposer une sorte de récréation, c’est un autre livre que je conseillerai : de Marylin Yalom, « le sein, une histoire » (3). Il est beaucoup plus facile de lecture et tente de répondre à cette question difficile : à qui appartiennent les seins ? Cette historienne des mentalités, et féministe, donne à voir suivant les époques et les cultures, les multiples « propriétaires » qui ont décidé des fonctions voire des formes du sein. Sa lecture commence à l’Antiquité, évoque le sein divin du Moyen âge mais aussi le sein érotique d’Agnès Sorel, le sein domestique de la nourrice du XVIIe siècle auquel succède le sein très politisé de Marianne torse nu. Puis le commerce et l’industrie vont l’enfermer dans des corsets et soutiens gorge, avant que les féministes n’en reprennent le contrôle à la fin du siècle dernier, et que les femmes en jetant ces lingeries à la poubelle ne se décident à se réapproprier leur poitrine. Et pour conclure une citation de Madame Yalom : « La poitrine a été, et continuera d’être, un marqueur des valeurs de la société. Au fil du temps, elle a porté et rejeté les divers voiles des tendances religieuses, érotiques, domestiques, politiques, psychologiques et commerciales. Aujourd’hui, elle reflète une crise médicale et globale. Nous sommes inquiets pour nos seins comme nous sommes inquiets pour l’avenir de notre monde.»
- Richard-Alain JEAN, Anne-Marie LOYRETTE, La mère, l’enfant et le lait en Égypte Ancienne. Traditions médico-religieuses. Une étude de sénologie égyptienne, Paris, S.H. Aufrère (éd.), éd. L’Harmattan, coll. Kubaba – Série Antiquité – Université de Paris 1, Panthéon Sorbonne, 2010-2014 (ISBN 978-2-296-13096-8). 518 p. Voir aussi : http://medecineegypte.canalblog.com/pages/la-gynecologie-en-egypte-ancienne—iii—la-senologie–avec-resume-et-table-/25923071.html
- Jean-Pierre Guglielmi, Jean Louis Goussé. L’Égyptien hiéroglyphique. la méthode inductive. Éditions Assimil, collection « Sans Peine », 2010, 864 p.
- Marilyn Yalom. Le sein, une histoire. Collection le livre de poche.2013. 432 p.
1-comment évolue le taux de potassium dans le lait maternel ?
2-trouve-t-on des traces de la culture de la banane en Egypte (voire en Mésopotamie ) ?
Sans oublier la symbolique du régime de banane.
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1-Je l’ignore.
2- La banane est originaire d’Asie du Sud Est. Asexuée, on peut la qualifier de plus grande herbe du monde. Sa culture ne s’est répandue que tardivement dans le reste du monde. Elle a migré d’abord vers la péninsule indienne, l’Afrique de l’Est et le Pacifique. Elle est arrivée en Angleterre en 1826 . Dans « 100 ans de solitude », Garcia Marquez évoque son arrivée en Colombie au début du siècle dernier.
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