Pour les lamantins et les dugongs, l’avenir est sombre : on vient de signaler leur disparition des fleuves et côtes de Chine (1) ; en Floride heureusement « protégés » dans des parcs naturels, ils ne doivent leur survie qu’à des suppléments alimentaires . Ailleurs dans le monde, dans les grands fleuves et estuaires des zone intertropicales d’Amérique et d’Afrique et d’Asie où ils ont longtemps prospéré, leurs populations décroissent inexorablement, et l’Union pour la Conservation de la Nature considère que les quatre espèces actuelles de Siréniens sont menacées à court terme d’extinction. Et on ne peut oublier le plus énorme des représentants de ces vaches marines, dix tonnes, la rhytine de Steller qui périt à peine découverte et signalée en 1741.
Pourquoi ces disparitions anciennes et celles annoncées de ces herbivores aquatiques aussi paisibles que discrets ?
Les humains et leurs industries en sont les premiers responsables, soit comme prédateurs primaires lorsqu’ils les chassent de façon outrancière alors que leur démographie est indolente, soit en modifiant les milieux qu’ils fréquentent, par exemple en mettant à mal les délicates plantes aquatiques qui les nourrissent.
Parlons chasse en premier lieu.
C’est en 1728 que le danois Vitus Béring au service du Tsar explore et cartographie la géographie des côtes d’Asie et d’Amérique qui jouent à touche-touche aux latitudes extrêmes. Un zoologiste l’accompagne, Georg Willem Steller (1709-1746), qui profitant d’une escale sur une ile qui parsème le détroit signale la présence d’une énorme vache de mer, plus de de 10 tonnes. Cette population insulaire comptait alors quelques milliers d’individus. 27 ans plus tard le braconnage l’ avait exterminée et elle était déclarée fossile à peine connue.
La figure suivante est un portrait de famille des Siréniens actuels et de leur répartition.

Le gigantisme de la première disparue de la famille ne peut qu’étonner eu égard son habitat : la rhytine vivait sous des latitudes boréales alors que toutes les espèces actuelles de lamantin et dugong se plaisent dans la zone inter tropicale…. comme se plaisaient à y séjourner leurs ancêtres nés dans la Tethys au début du Cénozoïque et à qui Johann K. Illiger (1777-1813) accorda le rang ordinal de Sirenia en 1811 par référence aux mythologies grecques et scandinaves qui évoquent les troubles que connaissaient les nautoniers antiques entrainés sur des écueils par les chants d’affriolantes et lascives créatures .
De nos jour il ne reste que quatre espèces de ces paisibles herbivores aquatiques. Les lamantins et dugongs sont des animaux de poids, mafflus, lippus et moustachus, pourvus de deux palettes natatoires antérieures pour les guider dans les eaux alors qu’une queue aplatie les propulse. Mais attention : à des vitesses sénatoriales…Gourmands d’herbes aquatiques et d’algues, certains ne rechignent pas dans les marais proches des plantations de cannes à sucre à poursuivre les esquifs lourdement chargés de cette récolte pour en chiper les feuilles au ras des embarcations. Mais leur plat préférée est la laitue d’eau, hélas partout mise en danger par les adjuvants nocifx de l’agriculture industrielle.
Le registre fossile montre que de nombreuses lignées de « vaches de mer » ont autrefois prospéré et le grand spécialiste de ces fossiles est Darryl P. Downing. Les plus anciennes ont vécu voici 47 millions d’années sur les rives de la Téthys (2). En France un gisement dans les Préalpes , entre Barème et Castellane, dévoile sur un parcours facile d’accès une dalle calcaire parsemée d’ossements ayant appartenu aux plus anciens Siréniens http://bassesalpes.fr/castelanne.html. A ce jour il n’a malheureusement fait l’objet que d’une étude préliminaire qui signale la présence de l’espèce Halitherium taulanense (3) Est-elle la seule présente en ces lieux ?
L’histoire du groupe doit être mise en parallèle avec celle des éléphants. Ces deux ordres, Siréniens et Proboscidiens, l’un aquatique, l’autre terrestre ont divergé voici une cinquantaine de millions d’années et leur origine téthysienne ne fait pas de doute. Une récente revue sur l’histoire des Siréniens évoque ses aléas (2). La limite Eocène -Oligocène il y a 34 ma est une date clé qui signe l’expansion du groupe. Tirant partie de cet événement climatique majeur, les Siréniens vont alors se répandre dans tous les océans et coloniser les côtes d ‘Afrique, d’Amérique du Nord et du Sud, s’installer durablement dans la région Caraïbe et gagner même les côtes du Pacifique et les deltas des grands fleuves d’Asie. Il se trouve que durant les derniers 20 millions d’années, de vastes territoires au Nord de l’Amérique du Sud étaient de plaines souvent inondées, et c’est alors que s’est installé le géant fluvial qu’est encore aujourd’hui l’Amazone. Partout dans ces régions les Siréniens prospèrent , et durant cette période qui de l’Oligocène au Miocène soit près de 25 ma , on s’est aperçu que dans les gisements où l’on croise leurs fossiles plusieurs espèces de taille différente de ces herbivores aquatiques coexistaient alors . Chacune avaient son propre mode de pâturage à un niveau différent de la masse végétale, s’attaquant à la végétation aquatique soit en piochant ou bêchant, ou plus simplement par faucardage.
Au fil des temps, un écosystème original et unique s’était forgée dans les grandes plaines alluviales et estuaires à une échelle globale dans lequel les Siréniens tenaient le haut du pavé. Véritables jardiniers de ces espaces, ils contrôlaient en s’en nourrissant les productions végétales subaquatiques qui s’ y développent.

. Mais voici une dizaine de millions d’années, plusieurs de ces espèces se sont éteintes, en particulier celles de petite taille, et une lente décrue des vaches d‘eau s’est amorcée.
Mouvements tectoniques alpins et surrections de massifs montagneux, puis épisodes glaciaires répétés vont mettre en péril le fragile équilibre que ces communautés avaient généré, et surtout limiter son extension Si bien que dans les 9 ma qui nous précèdent, de nombreuses espèces de Siréniens vont disparaitre. Il est possible que l’agriculture industrielles et ses pesticides assènent un coup de grâce à ces écosystèmes de longue date fragilisés. Ainsi l’effacement de ces paisibles bi pattes aquatiques qui dit-on auraient séduit les compagnons d’Ulysse s’inscrit dans la logique prédatrice de l’expansion humaine.
Mais alors qui après les Siréniens ? Ce sont les plus grands des Mammifères uqi sont le plus en danger, éléphants, girafes, ours et grands carnivores et grands singes ont toute chance de ne pas franchir ce siècle.
(1) Lin M et al. 2022 Functional extinction of dugongs in China. R. Soc. Open Sci. 9: 211994.
https://doi.org/10.1098/rsos.211994
(2) Heritage S, Seiffert ER. 2022. Total evidence time-scaled phylogenetic and biogeographic models for the evolution of sea cows (Sirenia, Afrotheria). PeerJ 10:e13886 DOI 10.7717/peerj.13886
(3) Sagne C., 2001. Halitherium taulannense, nouveau sirénien (Sirenia, Mammalia) de l’Éocène supérieur provenant du domaine Nord-Téthysien (Alpes-de-Haute-Provence, France). Compte Rendu de l’Académie des Sciences de Paris, Sciences de la Terre et des Planètes/Earth and Planetary Sciences, 333 : 471-476.
Terrible ! Ces dernières informations, après la tragédie des rythines, me consternent tellement que j’en reste sans voix.
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